Cthulhu : Dark Corners of the Earth
Progéniture du mythe de Cthulhu, Dark Corners of the Earth s’inspire librement de la nouvelle Le Cauchemar d’Innsmouth, originellement publiée en 1936. Comme dans le récit de Lovecraft, le héros – dans le jeu, un détective privé instable – évolue dans le village côtier d’Innsmouth, bourgade autrefois prospère où règne désormais une odeur de poisson putride. Dans ce survival horror angoissant, les lubies de Lovecraft sur les cultes secrets sont explorées au même titre que son appétence pour les créatures marines. L’intrigue amène le joueur à explorer les bas-fonds d’Innsmouth et à découvrir le secret que cachent de monstrueux hommes-poissons. Dark Corners of the Earth emprunte d’ailleurs d’autres éléments narratifs à l’œuvre de Lovecraft, s’inspirant autant de L’Abîme du temps (les extraterrestres de la Grande Race de Yith) que de la campagne Escape from Innsmouth du jeu de rôle sur table Call of Cthulhu. Le jeu se distingue de la vision lovecraftienne dans la toute-puissance du héros, capable de se débarrasser des « êtres supérieurs » à grand renfort de missiles et de sulfateuse.
Eternal Darkness
Un manoir étrange, un passage secret, un livre fait à base de chair et d’ossements humains. L’introduction d’Eternal Darkness ne laisse planer aucun doute sur ses influences puisqu’elle fait référence à l’ouvrage fictif tout droit sorti de l’imagination de Lovecraft : le Necronomicon. Baptisé Livre des ténèbres éternelles dans le jeu du studio Silicon Knights, ce grimoire transporte le joueur à l’époque du centurion Pius Augustus. Lors d’une exploration d’une mystérieuse cité persane, le dignitaire romain découvre trois artefacts contenant l’essence d’êtres divins : les Anciens. En marge de ces références appuyées à la mythologie cosmique de Lovecraft, Eternal Darkness cultive son originalité – et la peur chez le joueur – grâce à la mécanique de « sanity » (santé mentale). À mesure que les ennemis repèrent le personnage principal, cette valeur diminue et engendre plusieurs modifications liées à sa perception de l’environnement. Souvent triviaux, ces changements vont d’un léger décalage dans l’orientation de la caméra à l’animation des têtes des statues que le protagoniste rencontre. Lorsque le joueur atteint un niveau critique, les illusions se renforcent (murs ensanglantés, fausses portes…), jusqu’à briser le quatrième mur. Afin de faire ressentir la folie qui s’empare du personnage jusque dans le canapé des joueurs, les développeurs ont poussé cette mécanique jusqu’à simuler une défaillance de la télévision ou de la console de jeu - messages d’erreur, écran noir, ou encore fausse suppression de la sauvegarde…
The Secret World
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’un des plus fidèles hommages au bestiaire lovecraftien est un jeu de rôle massivement multijoueur (MMORPG). Aux croisements de plusieurs influences – Stephen King et le cinéma de Spielberg pour n’en citer que quelques-unes – The Secret World, édité par Funcom, propose au joueur de visiter la mystérieuse île de Solomon. Ce territoire insulaire et la ville de Kingsmouth (clin d’œil à Innsmouth) auraient pu sortir de la plume du nouvelliste de Rhode Island. Cette petite station balnéaire se trouve truffée de Draugs, monstres marins dont la peau est couverte de coquillages. Ces trouble-fêtes terrorisent la population locale, prenant un malin plaisir à transmettre la folie et la maladie aux riverains. La ressemblance avec les nouvelles de Lovecraft ne fait que s’amplifier lors du combat épique contre le chef nommé Ur-Draug, cousin germain de Cthulhu. Les créateurs de The Secret World ont aussi puisé dans la mythologie lovecraftienne en créant l’Innsmouth Academy, où les bouquins d’exercices isométriques sont troqués contre des manuels d’occultisme et autres cours d’invocation démoniaques. Le clin d’œil ne s’arrête pas là puisque l’acteur Jeffrey Combs, qui avait interprété l’écrivain dans le film Necronomicon : Book of the Dead, prête sa voix à l’inquiétant principal de l’Académie.
Bloodborne
Le chef-d’œuvre d’Hidetaka Miyazaki embrasse les thèmes lovecraftiens, tant au niveau visuel que narratif. L’omniprésence des rêves et des cauchemars, perpétuellement entremêlés dans les mondes explorés par « le Chasseur », n’est pas sans rappeler Le Cycle du rêve. Si la première partie du jeu emprunte plus à l’imaginaire de Bram Stoker, avec ses lycanthropes et ses cathédrales gothiques démesurées, sa suite plonge le joueur dans les méandres de la folie humaine. Une thématique parfaitement personnifiée par le combat désorientant contre Micolash, l’hôte du cauchemar. L’introduction de la folie dans Bloodborne s’opère également par le gameplay grâce à la mécanique de « lucidité » (« Insight » en version originale). Cette statistique influe sur la résistance à la folie du personnage – comme chez Lovecraft, le savoir mène irrémédiablement à la démence. Le bestiaire créé par From Software rend aussi hommage aux créatures chères à l’écrivain américain. Les monstres tentaculaires vénérés par la population de Yharnam côtoient le Cerveau de Mensis, encéphale flanqué d’une multitude de globes oculaires (hommage indiscutable au Shoggoth) et une araignée géante répondant au nom d’Amygdala. Le joueur doit aussi se défaire d’une pléthore de bêtes difformes, dont le physique disgracieux est le résultat d’expériences peu recommandables. Et si tous ces hommages à l’univers de Lovecraft ne suffisaient pas, le passage de l’aventure principale au monde du DLC (contenu additionnel téléchargeable) se fait par l’arrivée d’une main géante : celle d’une entité cosmique ressemblant à s’y méprendre au divin Cthulhu.
* H.P. Lovecraft et le jeu vidéo de Carlos Gomez Gurpegui (Ynnis Editions)