Jamais un pacte avec le diable n’aura été aussi satisfaisant. Dans HellSlave, dernier né du studio lyonnais Ars Goetia, le joueur tente de combattre l’invasion démoniaque qui déferle sur la Terre en passant à son tour du côté obscur. À la suite d’un pacte faustien avec l’un des seigneurs des enfers –Leviathan, Lucifer ou encore Belzébuth – ce mélange entre RPG (Role Playing Game – jeu de rôle) au tour par tour et « dungeon crawler » nous propulse dans la bourgade médiévale de Byleth, point de départ de l’aventure. Dans la veine typique du « dungeon crawler », le joueur doit ensuite explorer les ruines, temples et autres forteresses alentour afin d’éliminer les créatures qui se tapissent dans l’ombre. Au fil des combats, le héros gagne en expérience et découvre des équipements nécessaires à l’avancement de sa quête.
Pour son deuxième jeu, deux ans après le point’n click aux accents cyberpunks The Blind Prophet, Baptiste Miny, scénariste, directeur artistique, illustrateur, codeur et game designer du jeu, souhaitait revisiter ce genre qui permet au joueur « de s’enfoncer dans un donjon, de s’aventurer seul dans un endroit qui va le mettre au défi ». Dans HellSlave, le joueur se déplace grâce à une carte vue du dessus et peut interagir avec les différentes pièces qui composent les donjons. À défaut d’être matérialisés en trois dimensions, les niveaux sont « incarnés » par des illustrations et de courts textes, à la manière d’une bande dessinée interactive. Ces éléments de contexte permettent de retracer pas à pas l’histoire des lieux avant que les démons n’y emménagent. Cette narration suggestive remonte aux origines du « dungeon crawler » vidéoludique et à l’influence du « tabletop RPG » (jeu de rôle sur table). « Le genre s’inspire des RPG papier avec un MJ (maître du jeu) qui s’occupe de la narration et des livres dont vous êtes le héros, explique Baptiste Miny. Le premier prototype d’HellSlave ressemblait vraiment à une BD interactive. Le décor était composé de cases sur lesquelles on devait cliquer pour se déplacer. Il n’y avait pas encore vraiment de carte. »
Aux racines du genre
L’histoire du « dungeon crawler » est en effet indissociable de celle du « tabletop RPG ». En 1975, le père du célèbre Dungeons and Dragons, jeu de société RPG multijoueur, Gary Gygax, introduit Solo Dungeons Adventures, permettant ainsi de s’aventurer en solitaire dans les couloirs labyrinthiques de son univers médiéval fantastique. La même année, Gary Gygax collabore avec David R. Megarry pour créer Dungeon !, un jeu d’aventure sur table qui pose les bases du « dungeon crawler » vidéoludique moderne : les joueurs explorent un donjon peuplé des monstres et de richesses. Les mondes imaginaires inventés par Gary Gygax et ses collaborateurs, à l’aide d’un simple crayon à papier, se sont matérialisés sur les écrans dès 1975, sur le système informatique de l’université de l’Illinois. Rusty Rutherford y crée le jeu vidéo pedit5, aussi appelé The Dungeon, dans lequel les créatures et les butins sont générés aléatoirement. Bien que rapidement effacé du serveur universitaire en raison de son caractère non pédagogique, le jeu aura une influence indéniable sur la popularisation du « roguelike » (sous-genre où le joueur explore un donjon infesté de monstres) et du « dungeon crawler ». Les années 1980 marquent d’ailleurs l’avènement du genre avec des titres comme Cosmic Soldier (1983), The Bard’s Tale (1985) ou encore Might and Magic Book One : The Secret of the Inner Sanctum (1986).
Si de nombreux « dungeon crawlers » adoptent un système de combat au tour par tour, d’autres optent pour un gameplay plus nerveux, à l’instar de Diablo, la saga de « hack’n slash » (où chaque combat augmente les capacités du joueur mais aussi le niveau de difficulté des affrontements). Son premier opus, développé par le studio américain Blizzard North en 1997, plonge le joueur dans le royaume de Khanduras et lui permet de contrôler son personnage en temps réel dans les phases d’affrontement. Le but du jeu est d’occire les ennemis qui peuplent les quinze donjons disponibles afin d’accumuler de l’expérience et du loot (butin), dans le but de vaincre le puissant démon Diablo. Si Diablo diffère d’HellSlave par ses combats chaotiques, il n’en reste pas moins une source d’inspiration majeure pour Baptiste Miny et son équipe. « Je me suis beaucoup inspiré de l’esprit old school de Diablo dans les illustrations. Ma porte d’entrée mentale vers les jeux vidéo, c’est toujours l’ambiance et ce qui en ressort artistiquement », déclare le game designer au sujet de ses influences. Visuellement, HellSlave multiplie les clins d’œil aux « comics books » de Frank Miller (Sin City, 300...) et du père d’Hellboy, Mike Mignola, ainsi qu’aux coups de crayon du dessinateur belge Didier Comès et du bédéaste italien Sergio Toppi. Quant aux jeux vidéo, HellSlave puise dans les incontournables du genre comme Darkest Dungeon (2016) et Persona (1996 – 2020), autant que dans Sunless Sea (2015), pépite lovecraftienne du studio londonien Failbetter Games.
Paradis perdu
En dépit de la prévalence de l’image dans sa narration, HellSlave se nourrit énormément des lectures de son auteur, à commencer par celle de l’Ars Goetia, un grimoire du XVIIe siècle répertoriant les 72 démons et leurs rituels d’invocation. « Je suis fasciné par la mythologie chrétienne au sens large, par cette opposition entre le paradis et les enfers. J’ai eu un grand plaisir à lire La Divine Comédie de Dante dans la magnifique traduction en vers d’Antoni Deschamps. Je me suis aussi inspiré du Paradis perdu, où John Milton raconte la rancœur infinie des démons envers Dieu pour les avoir enfermés en enfer et leurs manigances pour lui nuire », souligne Baptiste Miny.
Du côté du gameplay, HellSlave reprend le livre de recettes du RPG classique en proposant une diversité foisonnante dans l’approche stratégique des combats. Le côté « défouloir » d’un jeu basé sur le plaisir d’anéantir des groupes de monstres à la chaîne pourrait être son talon d’Achille. Afin d’éviter l’écueil de la répétitivité, Baptiste Miny s’est notamment inspiré de la saga japonaise Persona pour introduire une adaptation constante à de nouveaux types d’ennemis. « Je voulais aussi offrir des combats de boss plus longs, avec plusieurs phases qui vont obliger le joueur à changer sa façon de jouer de manière réactive. » Un arbre de compétences passives et actives permet d’étendre cette dimension tactique et expérimentale : « L’un des plaisirs propres au RPG est d’avoir de la pâte à modeler sous la main pour pouvoir rejouer au jeu en faisant des choix différents, dans l’histoire ou dans les combats. On va modifier les pouvoirs actifs et passifs, essayer différents types de stratégie, équiper les objets et les armes que l’on récolte. Tout ce processus de test des interactions entre les pouvoirs et l’équipement (ce qu’on appelle le build) récompense la créativité du joueur », conclut le développeur d’HellSlave.
HellSlave
Développement : Ars Goetia
Édition : PID Games, Gamersky Games
Soutien du CNC : Fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) – Aide à la production.