Aux origines du studio Rundisc, il y a d’abord l’envie de créer un jeu vidéo. C’est armé de cette simple ambition que les deux fondateurs, Thomas Panuel et Julien Moya, se sont rencontrés en 2015. Trois ans plus tard sortait leur première création : Varion. Ce jeu d’affrontement en arène locale (un « brawler ») à quatre joueurs où l’on pilote des chars dans une ambiance de réalité virtuelle qui rappelle le film Tron : L’Héritage, a été conçu durant leur temps libre et avec leurs fonds propres. Le duo se heurte à la difficulté de lancer un jeu vidéo indépendant sans structure. « À l’époque comme aujourd’hui, sans une forte démarche marketing derrière, un jeu indépendant n’a aucune chance de fonctionner », souligne Julien Moya, graphiste formé à l’école Estienne. Varion a été lancé sans locaux, avec peu de budget et un certain système D. L’expérience leur montre que créer et distribuer un jeu vidéo est de l’ordre du possible, et que la création d’un studio va de soi. Dès 2019, le duo se remet au travail sur un nouveau projet. Cette fois, l’objectif est de trouver un partenaire français pour appuyer sa distribution.
De l’arène au « knowledge-vania »
Dès le départ, les choses sont claires : le nouveau jeu devra être radicalement différent du précédent. Il s’agira d’un jeu de réflexion pure, loin de l’action effrénée et ultra rapide de Varion. «Thomas et moi, on est fans de puzzle, détaille Julien Moya. Avec Varion, on a créé un jeu qui nous semblait facile à faire en quelque sorte. Un jeu compétitif qui dure trois à quatre heures maximum où il n'y avait pas besoin de scénario, et pas vraiment besoin d'IA ». C’est en passant devant la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse, que le jeune graphiste a l’idée d’un concept de huis clos où le joueur va devoir s’échapper d’une abbaye médiévale en imitant l’apparence de ses occupants : ce sera le point de départ de Chants of Sennaar. Mais peu à peu, le concept évolue, en s’inspirant notamment d’un jeu comme Heaven’s Vault (2019) où l’on incarne une archéologue qui doit décrypter les ruines d’une ancienne civilisation. Le personnage principal de Chants of Sennaar devient alors un voyageur muet qui apprend à déchiffrer les langages obscurs de la cité où il vient d’arriver. Julien Moya s’est inspiré de sa propre expérience lors d’un voyage en Corée : « Au bout de quinze jours, je savais dire bonjour, merci, lire le nom des stations de métro… Je voulais reproduire la sensation d’être un visiteur qui ne parle ni ne lit la langue, mais qui peu à peu se met à la comprendre ». Les caractères de la langue coréenne ont également servi d’inspiration visuelle aux glyphes de Chants of Sennaar. Le jeu est un « knowledge-vania », comme l’explique Julien Moya, qui cite également le jeu d’exploration spatiale Outer Wilds comme une influence majeure. Le « knowledge-vania », dont le nom dérive du jeu Castlevania : Symphony of the Night (sorti sur PlayStation en 1997), est un jeu d’exploration où la progression ne se fait pas en surmontant des combats ou en obtenant des objets permettant d’être plus puissant mais en enrichissant sa propre connaissance de l’univers, du fonctionnement, de l’histoire du jeu.
L’arrivée de Focus
Lancé comme une production artisanale, Chants of Sennaar prend une autre dimension en 2021, lorsque la société Focus Entertainment noue un accord avec Rundisc. « On s'est mis à la recherche d'un éditeur. On cherchait un partenaire pour nous aider sur la communication, éventuellement sur le budget son et musique. À notre grande surprise, Focus Entertainment nous aproposé de financer le reste du développement, c'est à dire une grande moitié du jeu, en plus du marketing et des autres services que fournit la société. » Créé en 1996 et basé à Paris, Focus Entertainment, acteur majeur du monde vidéoludique, a notamment produit et distribué A Plague Tale (Innocence et Requiem) ou de nombreux jeux dérivés des univers Games Workshop via leurs accords avec d’autres studios.
Entre Druillet et Schuiten
Chants of Sennaar se déroule dans une cité de fantasy qui évoque la tour de Babel, dont les couleurs dominantes sont le jaune et le rose, avec leurs variations. « Visuellement, on a d’abord cherché à prendre une direction artistique radicale pour se démarquer le plus possible du marché et éviter la comparaison avec les grosses productions. D’autant plus que notre équipe est très réduite. » Outre des références architecturales précises (l’encyclopédie de Viollet-le-Duc, les productions de l’école de Glasgow, les constructions mauresques médiévales…), les développeurs se sont inspirés du monde de la bande dessinée, avec comme influences majeures Moebius, mais également les couleurs très nettes et les designs cyclopéens de l’artiste Philippe Druillet, ainsi que les trames brutalistes des Cités obscures du dessinateur François Schuiten. Des choix artistiques qui irriguent le gameplay, puisque les glyphes déchiffrés sont consignés dans un petit carnet de dessin que griffonne le personnage (une idée venue du jeu d’enquête Return of the Obra Dinn, où l’on doit reconstituer une tragédie à bord d’un bateau échoué en associant des images à des mots dans un carnet).
La suite
Grâce à ses choix très tranchés en matière de design, dans lequel gameplay et esthétique parviennent à se rejoindre complètement, Chants of Sennaar a été extrêmement bien accueilli, par la presse spécialisée comme par les joueurs. De quoi envisager l’avenir du studio avec sérénité. Notamment en continuant le partenariat avec Focus Entertainment sur un nouveau projet, confidentiel pour le moment. « Notre objectif, si tout se passe comme prévu, c’est de passer à la vitesse supérieure », conclut Julien Moya. « Prendre de vrais locaux, embaucher, puis se mettre à temps plein tous les deux avec Thomas Panuel sur le nouveau projet. »
CHANTS OF SENNAAR
Développé par Rundisc, édité par Focus Entertainment
Disponible sur Steam depuis le 5 septembre 2023
Le jeu a bénéficié du Fonds d’aide au jeu vidéo (FAJV) du CNC