To Hell With the Ugly raconte l’histoire farfelue de Rock Bailey, jeune homme aussi beau que superficiel, qui refuse systématiquement toutes les avances qui lui sont faites : il se réserve obstinément jusqu’au jour de ses 20 ans. Drogué par une cigarette empoisonnée à la sortie du jazz club le Zooty Slammer, à Los Angeles, il se réveille dans un étrange hôpital. Décidé à remonter la piste de ses kidnappeurs, Rocky va se retrouver mêlé à un complot d’une envergure insoupçonnée…
De tous les livres de Boris Vian, pourquoi avoir choisi d’adapter Et on tuera tous les affreux ?
David Duriot : le sujet farfelu du livre était complémentaire avec la ligne éditoriale de La Poule Noire et son rythme était déjà celui d’un jeu vidéo. Son sujet, bien qu’écrit en 1948, était aussi très actuel. Il nous a paru évident de l’adapter.
Par quoi avez-vous commencé ? Une ambiance graphique ? Des idées de mise en scène ? De gameplay ?
Nous avons débuté le projet par une bible graphique ainsi qu’un découpage du livre, pour savoir quoi garder et quoi enlever. Enfin, la troisième « première » étape a été d’imaginer un système de combat.
Qu’est-ce que le jeu vidéo peut apporter à la littérature ?
Le jeu apporte une interactivité qui rend le parcours de l’histoire moins figé, moins linéaire. Mais avant même de parler d’un jeu, il faut parler d’une adaptation qui souhaite remettre en lumière une œuvre lointaine.
Justement, comment fait-on résonner un roman datant de 1948 avec des thématiques actuelles ?
En étant malheureusement conscient que les problématiques de 1948 sont celles de 2023 : celles de la culture du paraître, de la course à une beauté très homogène et une ambiance misogyne très persistante. Le livre dénonce des aspects dont nous sommes encore trop souvent témoins.
Le livre de Boris Vian est un pastiche. Comment avez-vous transposé cet humour parfois totalement absurde ?
Cet humour était déjà le nôtre à La Poule Noire avec notre premier jeu, Edgar : Bokbok à Boulzac. Nous avons voulu garder les grandes lignes humoristiques du livre en apposant notre manière d’écrire des dialogues.
Quelles libertés vous êtes-vous autorisées par rapport au roman ?
Nous avons décidé de combler les ellipses avec de petites choses bien à nous, mais nous avons aussi souhaité ne pas mettre certains passages du livre que nous trouvions trop violents. Nous avions compris le message de Boris Vian, mais nous avons préféré laisser le choix aux joueurs et joueuses d’aller voir par eux-mêmes de quoi il s’agit. Le travail avec les ayants droit de Boris Vian a été des plus simples, nous présentions nos avancées tous les trimestres et avions des retours dans la foulée. Ne souhaitant pas dénaturer le livre, la cohérie nous a fait très vite confiance dans ce travail d’adaptation. Nous sommes aujourd’hui très heureux d’avoir pu travailler avec les Éditions Fayard, ainsi que Nicole Bertolt, la représentante de la cohérie.
To Hell With the Ugly est à la frontière entre le visual novel et le point & click. Ces choix de gameplay se sont-ils imposés naturellement ?
Oui, car c’est ce que nous aimons faire à La Poule Noire. Cela a été une évidence, mais aussi la plus belle façon de rendre hommage à ce livre, qui décrit une époque et une ville de manière magistrale. Nous sommes aussi clients de dialogues léchés, et pouvoir prendre son temps dans une scène pour parler avec tout le monde nous semblait encore une fois la meilleure façon de rendre hommage à Boris Vian.
Certaines séquences laissent la place à du combat au tour par tour, ainsi qu’à de l’infiltration. L’idée était-elle de rythmer l’aventure, tout en restant accessible au plus grand nombre avec une prise en main très simple ?
Tout à fait, le livre ne fait que cela, casser le rythme. C’est ce que nous avons décidé aussi de faire dans le jeu, sans que cela devienne une prise d’otages. Les combats ainsi que l’infiltration sont réduits au plus simple pour ne pas ressentir de frustration, tout en prenant une pause dans la narration et les dialogues.
La direction artistique, visuelle et sonore, fait penser aux films et romans noirs des années 1950. À quel point a-t-il été compliqué de « trouver » l’univers du jeu ?
Les films noirs des années 1950 ont été une source très importante pour les recherches graphiques et sonores du jeu. Avec une telle matière, placée dans les mains d’Amélie Guinet, notre directrice artistique, et de Clément Duquesne, notre compositeur, nous avons pu très vite définir ce que nous voulions, notamment pour imaginer le Los Angeles de cette époque. Comme l’intrigue se déroule le matin tôt, nous avions déjà la tonalité orangée en tête. Ainsi, quand Amélie Guinet nous a proposé une palette de couleurs avec beaucoup de rouge, orange et jaune, il était évident de l’utiliser massivement dans le jeu. Cette esthétique donne l’impression qu’une douce chaleur d’été nous parcourt pendant toute la durée du jeu.