À l’origine, il y a Mika Tanguy et Gilles Aujard, deux anciens du monde des effets spéciaux du cinéma et de l’animation, qui décident d’allier leurs forces pour imaginer un jeu vidéo, Darwin’s Paradox, influencé par la science-fiction des années 50. Rapidement rejoints par Cédric Lagarrigue, fondateur et ex-président de l’éditeur Focus Home Interactive, ainsi que Romuald Capron, ancien directeur du studio Arkane, ils fondent à quatre ZeDrimeTim, studio de jeu vidéo aux racines multiples. Une levée de fonds plus tard (au cours de laquelle la BPI devient un partenaire financier décisif), l’objectif est clair : « Proposer une aventure fun, pour tous, non violente, avec une animation des personnages plus poussée, et une narration linéaire et immersive comme fil conducteur. »
Qu’est-ce que la création de ZeDrimeTim raconte des rapprochements – surtout technologiques mais parfois plus philosophiques – entre les mondes du jeu vidéo, de l’animation et des effets spéciaux ?
Mika Tanguy (codirecteur créatif) : Les dernières technologies de moteurs 3D, tel que l’Unreal Engine d’Epic, effectuent un vrai bond en avant et se retrouvent, en termes d’images, au coude à coude face aux solutions 3D « traditionnelles » ou dites offline. Le rendu des images en temps réel des moteurs de jeu permet désormais de conceptualiser rapidement des visuels étonnants de réalisme.
Gilles Aujard (codirecteur créatif) : Nous avons constaté ce changement il y a déjà cinq-six ans en utilisant ces nouveaux outils. Et on a pu sentir que les logiciels conventionnels allaient se retrouver en difficulté et souffrir de la comparaison sur beaucoup de sujets. Nous nous en sommes progressivement servi dans nos métiers respectifs, en faisant sauter les barrières techniques. Les dernières innovations de ces outils en termes de dynamique, de destruction et de fluides, parlent d’elles-mêmes. Nous sommes aussi à l’aube du streaming des jeux directement sur TV, sans passer par une console, ce qui va encore pouvoir repousser les limites matérielles et donc les dernières contraintes du temps réel.
Mika Tanguy : Les métiers des graphistes et des animateurs vont évoluer : ceux qui pouvaient rester dans le cercle fermé du cinéma, par exemple, vont désormais pouvoir utiliser tous leurs talents ultra spécialisés pour tous les autres supports. À l’inverse, dans les métiers du jeu vidéo, la notion d’optimisation – pour garder une expérience de jeu fluide – qui est primordiale pourra profiter aux demandes d’effets spéciaux pour les films. Ou même prendre des raccourcis plus efficaces pour un rendu visuel identique, voire meilleur. Cette situation est enrichissante pour tout le monde.
Combien de salariés travaillent aujourd’hui chez ZeDrimeTim ?
Romuald Capron (producteur exécutif) : Nous sommes encore seulement quatre à ce jour, mais nous sommes en plein recrutement et devrions atteindre douze salariés d’ici début 2023, complétés par quelques sous-traitants sur des sujets spécifiques. L’annonce de la création du studio nous a déjà permis d’attirer des candidats très talentueux, y compris venant de très gros studios.
Vous faites donc le choix d’une entreprise à taille humaine. Est-ce une réponse à l’évolution du marché du jeu vidéo qui, à l’exception de quelques blockbusters, se tourne de plus en plus vers les titres indépendants ?
Romuald Capron : Le choix de cette taille d’équipe est surtout dicté par le jeu en lui-même et son ambition : nous voulons offrir une expérience riche et intense, mais qui ne demande pas des dizaines d’heures d’engagement. Cela nous permet également de rester très réactifs et agiles dans notre processus de développement.
C’est ce que nous faisons, par exemple, en développant un système d’animations du personnage fortement basé sur la physique en temps réel. Je pense aussi que chaque membre de l’équipe ressent plus l’impact de son implication sur le jeu : cette quête de sens dans son travail est parfois difficile à trouver dans les plus grosses structures.
Vous interdisez-vous avec ZeDrimeTim de sortir du jeu vidéo pour produire, par exemple, des séries d’animation ?
Mika Tanguy : Nous restons un studio de jeu vidéo, mais signer avec une société de production audiovisuelle peut être une opportunité. Il y a déjà les exemples de Cuphead ou d’Arcane sur Netflix.
Gilles Aujard : Lors de la création d’un jeu, c’est tout l’univers narratif et visuel qui est développé pour des besoins de gameplay et de cohérence. C’est finalement la même base utile pour la construction d’un scénario d’un film ou d’une série.
À quoi ressemblera Darwin’s Paradox, et en quoi l’addition de vos talents respectifs en fera un jeu différent ?
Romuald Capron : Darwin’s Paradox est un jeu d’aventure, en 3D vu de côté, combinant des séquences de plateformes, de puzzles mais aussi d’infiltration. Le gameplay est centré sur les capacités exceptionnelles du personnage principal, un poulpe. Notre objectif est d’en faire un jeu avec un gameplay simple et agréable à prendre en main, accessible à tous, basé sur un scénario et des animations riches.
La longue expérience de Gilles et Mika dans les effets visuels et le cinéma va nous aider à donner au jeu une touche unique sur les animations, les effets visuels, l’éclairage... mais aussi sur son traitement narratif avec des séquences animées pleines d’humour. Combiné avec mon expérience dans des jeux AAA où le gameplay offre une grande liberté mais aussi une forte cohérence avec l’univers, nous pensons que cela peut faire de Darwin’s Paradox une expérience de jeu très qualitative et unique.
Quand on ausculte un peu vos parcours respectifs, on ne pense pas forcément à un jeu de plateforme… Pourquoi ce choix ?
Romuald Capron : La mécanique de jeu est avant tout venue de l’idée d’utiliser les capacités exceptionnelles d’un poulpe pour se déplacer, s’accrocher sur toutes les surfaces, se déformer... Assez logiquement, cela nous a conduits à imaginer un jeu avec des séquences de plateforme mais pas uniquement, car le poulpe peut aussi nager ou se camoufler. L’aspect « vu de côté » du jeu est aussi un choix fait dès le départ pour assurer une certaine linéarité, et mieux maîtriser le déroulement narratif qui est l’autre axe fort du jeu. Personnellement, j’y trouve des bases communes avec les jeux sur lesquels j’ai travaillé depuis vingt ans.