Nouveaux supports, dématérialisation, e-sport ou encore cloud qui permet d’exécuter à distance des jeux vidéo : l’industrie vidéoludique s’est fortement transformée ces dernières années. Mais quelles sont les conséquences de ces mutations sur la créativité des studios et la popularité du jeu vidéo ? Eléments de réponse avec le journaliste spécialisé Jean Zeid, qui est également l’auteur du livre Game – Le jeu vidéo à travers le temps et le commissaire de l’exposition Design-moi un jeu vidéo.
Quel a été le point de départ des récentes mutations des pratiques telles que le streaming ou l’e-sport ?
Ces pratiques sont différentes mais un lien les relie. Il est évident que le tournant internet du milieu des années 2000 a changé la donne. Petit à petit, la dématérialisation est arrivée et les connexions entre joueurs se sont développées. Tout est basé sur une donnée vieille comme le monde qui est que le jeu vidéo est un média qui se regarde. Dans les salles d’arcade, on regardait déjà les parties des autres. La révolution YouTube, qui a eu lieu elle aussi dans les années 2000, a également eu une incidence : elle est digne pour moi du rock’n’roll et transforme tout le monde en média grâce à un peu de matériel. Enfin, la révolution informatique puis numérique s’est beaucoup appuyée sur le jeu vidéo pour montrer ce qu’était un ordinateur et ses applications techniques.
Si les consoles font toujours partie du paysage vidéoludique, d’autres supports tels que la tablette ou le smartphone sont désormais utilisés pour jouer. Cette diversité des supports a-t-elle eu une incidence sur la fréquence de jeu ?
Oui et passer de machines compliquées à des outils plus simples a également changé la popularité du jeu vidéo. La simplification des contrôleurs, grâce notamment au tactile, a également joué un rôle sur la fréquence de jeu puisque jouer avec une manette aux nombreux boutons, lorsqu’on est novice, est plutôt compliqué. Le tactile a donc permis de jouer plus simplement et plus facilement.
Le support n’est pas le seul élément à avoir changé au fil des années : les jeux se sont par exemple dématérialisés. Cette mutation a-t-elle permis de faire émerger des créateurs qui n’auraient pas eu les moyens de sortir un jeu physique ?
La dématérialisation (acheter un jeu en ligne qu’on télécharge pour jouer sur une machine) a mis les indépendants en avant. Initiée à la fin des années 2000, elle a permis à toute une vague de créateurs de se dire qu’ils pouvaient revenir à l’essence du jeu vidéo, c’est-à-dire, en caricaturant, réaliser un jeu seul dans son garage. La sortie physique est un luxe pour certains créateurs, les magasins en ligne leur ont donc facilité l’accès au marché du jeu vidéo.
Après le streaming et le jeu vidéo par abonnement, la tendance actuelle est au cloud gaming qui correspond à la vidéo à la demande mais pour le jeu vidéo (les jeux sont exécutés sur un serveur à distance, retransmis en streaming et peuvent être joués sur toutes sortes d’appareils). Google lancera d’ailleurs son service Stadia en novembre prochain. Le cloud gaming est-il amené à se généraliser ?
Je pense que oui car la promesse de dire : « J’ouvre mon navigateur et j’ai accès à 700-800 jeux sur mon ordinateur ou ma télé connectée avec un abonnement » est trop belle. Le cloud gaming permettra une nouvelle démocratisation du jeu vidéo si, et seulement si, tout le monde a accès à la fibre ou à un ADSL très puissant, ce qui n’est pas encore le cas dans toute la France. Apple propose par exemple une solution hybride avec un abonnement donnant accès à une centaine de jeux à télécharger, sans prendre le risque de passer intégralement par la 4G : ils ont compris les limites technologiques. Aujourd’hui se pose également la question du contenu : les jeux à proposer aux gamers sont un véritable enjeu pour les constructeurs. Ceux qui proposent le cloud gaming ont besoin de contenus, c’est de l’argent pour les studios donc de la créativité en plus.
Cette course à la technologie peut-elle mener à une démocratisation des casques VR pour jouer chez soi ?
Non, je ne pense pas. Cet accessoire a son succès car certaines expériences se démarquent et sont bluffantes. Mais nous sommes un peu dans la même configuration que pour les salles d’arcade dans les années 1970-1980 qui proposaient de meilleurs jeux que sur les consoles de salon. On peut certes acheter un casque VR pour son salon, mais il y a plus d’engouement pour les escape game VR ou les expériences proposées dans les musées.
Quel est pour vous le grand défi à venir pour le jeu vidéo ?
Il faudra voir comment l’industrie va s’appuyer sur le cloud gaming pour arriver à populariser encore plus le jeu vidéo. Nous n’en sommes qu’aux prémices de cette démocratisation : le cloud gaming va pousser d’avantage cette popularité et transformera le regard que portent les gens sur le jeu vidéo en tant que culture.