Les images manquantes
La question de l’Image Manquante, posée par le cinéaste Rithy Panh dans son film éponyme, a donné son titre à notre journée d’échanges et de réflexion.qui a exploré les vécus invisibilisés dont la persistance dans la Mémoire résiste à l’effacement et au silence.
Image tabou, image interdite, image-preuve, image en contrepoint de l’image officielle.
Quand l’image manque, l’imaginaire reste un terreau fertile pour la production de représentations et d’incarnations.
D’où la mobilisation des imaginaires cinématographiques et visuels pour incarner des réalités dépossédées d’images.
Depuis le siècle passé, les régimes dictatoriaux, autoritaires ou coloniaux s’évertuent au contrôle strict de la production d’images. Documentaristes, scientifiques ou philosophes n’ont eu de cesse d’enquêter, analyser, dévoiler et fait ressurgir la rémanence d’une iconographie occultée. Leurs travaux contribuent à la construction d’une mémoire collective, contre l’injustice et l’indignité.
Le programme de la journée s'est également penché sur les notions d’« image de comblement ». L’accès croissant aux technologies de l’intelligence artificielle apporte de nouvelles perspectives. L’algorithme est-il une issue ou un leurre ?
Lors du dernier débat de la journée, des réalisatrices ont échangé sur la question de l’absence ou la difficile représentation de certaines réalités et récits chers aux femmes qui depuis longtemps font défaut à l’imaginaire collectif.
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Programme
11h : Keynote – Dialogue entre Raphaëlle Branche – historienne, réalisatrice, et Camille Ménager – réalisatrice, autour des images de la torture en Algérie, un travail sur les images de Jean-Philippe Charbonnier notamment.
11h20 : Table ronde en présence de Rithy Panh – réalisateur et auteur (en visio), avec Christophe Bataille – éditeur et auteur, animée par Fabrice Puchault – directeur de l’unité Société et Culture chez ARTE
14h20 : Étude de cas avec Mathias Théry – réalisateur et Jean-Michel Frodon – auteur et critique, autour des documentaires Isaac Asimov, l’étrange testament du père des robots, La Sociologue et l’ourson et La Cravate.
15h20 : Table ronde « Femmes, les récits manquants » avec Marie Bottois – réalisatrice, Diane Sara Bouzgarrou – cinéaste et plasticienne et Camille Froidevaux-Metterie – philosophe, animée par Elodie Font – journaliste et autrice
Raphaëlle Branche
Professeure d’histoire contemporaine et réalisatrice, ses travaux portent essentiellement sur les violences en temps de guerre, de leurs conceptions à leurs perpétrations et à leurs mémoires. Centrés sur la guerre d’indépendance algérienne, ils s’articulent autour de la nature des armées engagées, des normes mobilisées dans ces conflits particuliers que sont les guerres de guérilla et des dimensions genrées des conflits armés en général. Pour son prochain livre, elle se consacre aux liens entre expériences de guerre et familles françaises, autour de la guerre d’Algérie. Elle entreprend, enfin, de creuser plus spécialement l’histoire des frères et des sœurs. Elle coréalise en 2022 la série documentaire en six épisodes « En guerre(s) pour l’Algérie » et publie « En guerre(s) pour l’Algérie : témoignages ».
Camille Ménager
Historienne de formation, spécialiste de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de l’image de guerre à l’époque contemporaine. Elle est autrice et réalisatrice de documentaires d’histoire pour la télévision. Pendant plusieurs années, elle a été réalisatrice et rédactrice en chef du magazine d’histoire « L’Ombre d’un doute », diffusé sur France 3, ce qui lui a permis de se familiariser avec la narration spécifique et l’esprit de vulgarisation nécessaires à tout documentaire d’histoire pour le grand public. Depuis une dizaine d’années, avec un goût certain pour l’histoire contemporaine, elle a écrit et/ou réalisé des documentaires portant sur des thèmes, personnages, ou époques différentes, comme « Rudolf Noureev, le prix de la liberté » ; « La Traque de Klaus Barbie » ; « Au cœur du procès Barbie », « La Tragique histoire de l’éléphant Fritz ». Elle mène parallèlement des activités de recherche et d’enseignement, en animant depuis 2011 un atelier artistique sur la fabrication des images de guerre et leur réutilisation dans le film documentaire à Sciences Po Paris.
Rithy Panh
Né en 1964 à Phnom Penh au Cambodge, Rithy Panh échappe aux camps de la mort des Khmers rouges alors qu’il n’a que 15 ans. Dans les années 1980, il vient étudier en France à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC). À la suite de sa formation, il signe son premier documentaire, « Site 2 » (1989), qui se concentre sur les camps de réfugiés cambodgiens. Dès lors, il n’aura de cesse de montrer la tragédie de son pays à travers des documentaires. En 2013, il reçoit le prix Un Certain Regard pour « L’Image manquante ». Avec Christophe Bataille, il coécrit un essai du même nom. En 2020, Rithy Panh obtient le prix du meilleur documentaire à la Berlinale pour « Irradiés ». Le même festival lui dessert l’Ours d’Argent en 2022 pour son œuvre « Everything will be ok ». Parallèlement à ses activités d’auteur et de réalisateur, il crée le centre Bophana, dédié à la restitution, la protection et la mise en valeur du patrimoine audiovisuel cambodgien.
Christophe Bataille
Écrivain et éditeur aux éditions Grasset depuis 1995. En 1993, il publie son premier roman, « Annam » aux éditions Arléa et obtient le prix du Premier roman et le prix des Deux Magots en 1994. « Absinthe », son deuxième roman, obtient le prix de la Vocation en 1994. Depuis ses romans sont publiés aux éditions Grasset. Après sa rencontre avec Rithy Panh en 2005, ils coécriront deux ouvrages et coréaliseront deux films. Le premier, « L’Élimination », est un récit intensément personnel mêlant des fragments de son itinéraire dans l’enfer Khmer rouge et une réflexion sur le travail de cinéaste qu’il a mené par la suite au Cambodge auprès des bourreaux. Il sera adapté en film sous le nom de « L’image manquante ».
Mathias Théry
Réalisateur français né en 1980. Lors de ses études aux Arts Décoratifs de Paris, il s’intéresse à la photographie puis se tourne vers le documentaire. « La Vie après la mort d’Henrietta Lacks », son premier film, a été primé dans de nombreux festivals. Il a ensuite réalisé presque tous ses films avec Étienne Chaillou. Ensemble, ils explorent de nouvelles formes de narration et se tournent vers le cinéma avec « La Sociologue et l’ourson » puis « La Cravate ». Il réalise, en 2022, « Isaac Asimov, l’étrange testament du père des robots ».
Jean-Michel Frodon
Journaliste, critique de cinéma et enseignant, notamment à Sciences Po Paris (SPEAP, Programme d’expérimentation en art politique), et professeur honoraire de l’université de Saint Andrews (Écosse). Il a été responsable des pages cinéma du « Monde » et a été directeur des « Cahiers du cinéma », il collabore aujourd’hui régulièrement aux sites d’information « Slate.fr » et « AOC » et à de nombreuses publications françaises et étrangères. L’ensemble de ses textes est accessible sur son blog « Projection publique ». Il est l’auteur ou le directeur d’une trentaine d’ouvrages sur le cinéma dont « Le Cinéma français de la Nouvelle Vague à nos jours », « La Projection nationale », « Le cinéma et la Shoah », « Robert Bresson », « Conversation avec Woody Allen », « Le Cinéma chinois », « Gilles Deleuze et les images », « L’Art du cinéma », « Le Monde de Jia Zhang-ke », « Cinémas de Paris », « Chris Marker », « 13 Ozu », « Abbas Kiarostami, l’œuvre ouverte », « Le Cinéma à l’épreuve du divers ». Il est également commissaire d’exposition, auteur d’installations vidéo et programmateur.
Marie Bottois
Réalisatrice et monteuse. À la suite de sa formation à l’École documentaire de Lussas, elle réalise « Slow-ahead » (Le Grec, 20’, 2015). En parallèle de son travail de monteuse, elle explore les techniques artisanales du cinéma argentique au sein de deux laboratoires partagés : l’Etna et l’Abominable. Elle produit et réalise « Le Passage du col » en 2022. Le film remporte le prix du Meilleur court-métrage attribué par Doc Alliance en 2023 et est présélectionné pour le César 2024 du court-métrage documentaire.
Camille Froidevaux-Metterie
Philosophe, Camille Froidevaux-Metterie travaillent sur les thématiques liées au corps des femmes dans une perspective phénoménologique. Elle est notamment l’autrice de « La révolution du féminin » (2015, Folio 2020), « Seins. En quête d’une libération » (2020, Points 2022), « Un corps à soi » (2021, Points 2023) et « Un si gros ventre. Expériences vécues du corps enceint »(Stock 2023). Attachée à la diversification des registres d’expression et de diffusion, elle est aussi l’autrice d’un premier roman, « Pleine et douce » (Sabine Wespieser, 2023), qui explore de façon littéraire ses thèmes « corporels ». Enfin, étudiant la question des répercussions des luttes féministes sur les hommes, elle a été la conseillère scientifique de deux documentaires, « Les mâles du siècle » (Lamproduxion 2021) et « Les petits mâles » (Lamproduxion 2023).
Diane Sara Bouzgarrou
Elle réalise des films qui placent l’expérience intérieure au cœur d’une œuvre traversée par la question de la solitude, l’histoire du corps, et la mémoire. En 2017, elle réalise le documentaire « Je ne me souviens de rien », plongée vertigineuse dans son propre trauma dont elle choisit de rassembler les fragments à la manière d’un film de « found footage ». En 2020 sort son premier long-métrage, « The Last Hillbilly », coréalisé avec Thomas Jenkoe, qui fait sa première à l’ACID Cannes et connaît un grand succès en festivals. Lauréate de la Villa Albertine en 2023, elle travaille sur son deuxième long-métrage avec Thomas Jenkoe, ainsi que sur « Mon cœur ne bat pour personne », un moyen-métrage coproduit par ARTE.