Quel est le point commun entre Alice Diop, Rithy Panh, Kaouther Ben Hania, Régis Sauder, Mariana Otero, Clément Cogitore ou encore Mati Diop ? Tous ces auteurs ont été accompagnés à leurs débuts par le Fonds d’aide à l’innovation documentaire (FAI doc). En effet, ce dispositif du CNC a pour vocation de renouveler la création documentaire. Pour cela, il accompagne les auteurs et les producteurs dans l’écriture et le développement de projets à fort parti pris artistique, aux univers singuliers, parfois hybrides. En raison de leur singularité, le FAI doc offre à ces projets la possibilité de faire leur preuve par l’image afin de convaincre partenaires financiers, distributeurs et diffuseurs.
Un lieu de recherche et d’expérimentation
« Le FAI doc est un fonds original créé afin d’aider les auteurs et les producteurs à aller vers des formes engagées, dans tous les sens cinématographiques du terme », rapporte l’auteur et cinéaste Régis Sauder (Nous, princesses de Clèves ; Être là…). « Il soutient la prise de risque sur des projets nécessitant un développement long et complexe, ou bien portés par des auteurs émergents. Trouver la forme d’un film, s’essayer à une écriture singulière, explorer différents types de mise en scène, trouver des financements pour ces projets innovants sont bel et bien des processus au long cours. »
Pensé comme un lieu de recherche et d’expérimentation pour des documentaires de création destinés autant au cinéma qu’à la télévision, le FAI doc est ouvert à tous les horizons (approche artistique, expérience, nationalité, typologie de documentaire…). « C’est sans doute l’un des fonds qui assume le plus fortement le fait de faire confiance aux auteurs et aux producteurs, et de participer au risque de la création. C’est une bulle d’oxygène, un espace protégé, devenu nécessaire à la survie d’une certaine pratique du documentaire et à l’émergence de certains talents. Sans ce soutien inconditionnel, il y aurait un vrai danger d’appauvrissement des propositions, de ralentissement du renouvellement des talents, et d’anéantissement progressif de toute prise de risque. C’est donc à mes yeux un fonds très précieux, qui n’est pas seulement synonyme d’argent mais qui a aussi un sens culturel et donc politique. », révèle Jean-Laurent Csinidis, producteur et membre de la commission du FAI doc 2023.
Un soutien en trois axes
Le Fonds d’aide à l’innovation documentaire est composé de trois axes. Une aide à l’écriture (AE) vient soutenir les auteurs, débutants ou confirmés, dès l’ébauche du projet, avec ou sans producteur. Elle est suivie d’une aide au développement (AD), qui permet de poursuivre les repérages, les essais techniques, l’écriture ainsi que la recherche de partenaires financiers. Cette aide s’adresse aux entreprises de production pour le financement du développement d’un projet ayant bénéficié de l’aide à l’écriture dans les douze mois précédents la demande. Une aide au développement renforcé (ADR) vise quant à elle à financer un premier tournage et un prémontage pour les œuvres particulièrement créatives et ambitieuses afin d’aller convaincre des diffuseurs, distributeurs et autres partenaires financiers. Cette aide peut être sollicitée directement, sans passer par les deux premiers axes.
« Le FAI m’a permis d'avancer dans la fabrication de mon film – Il n’y aura plus de nuit, ndlr – , et notamment de commencer à rémunérer l’équipe, réduite du fait qu’il s’agissait d’un film de montage. Cette aide a aussi été un levier pour convaincre nos interlocuteurs qu’il y avait là un long métrage de cinéma possible. », révèle la réalisatrice Éléonore Weber. « Ce dispositif est un laboratoire de création au sein duquel le documentaire se finance au fil du développement de l’écriture, quel que soit son format », ajoute Jean-Laurent Csinidis.
Pour solliciter le FAI, plusieurs conditions : le projet ne peut simultanément faire l’objet d’une autre demande au CNC ; il ne peut avoir bénéficié d’une aide de même nature dans le cadre du CNC ; le projet ne doit pas avoir encore de diffuseur ; enfin, une entreprise de production ne peut bénéficier que de cinq aides en cours au titre du développement ou du développement renforcé du Fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle documentaire.
Le rôle de la commission
Une fois les projets déposés au CNC, ils sont étudiés au cas par cas par la commission plénière. Cette commission du FAI doc est organisée en deux collèges, avec un président commun. Le premier collège, auquel siègent le président et six autres personnalités du cinéma et de la télévision, se réunit six fois par an pour examiner les demandes d’aide à l’écriture et au développement. Le second collège, composé du président et de quatre membres, se réunit deux fois par an pour examiner les demandes d’aide au développement renforcé. Lorsque la commission donne un avis favorable, elle propose un montant d’attribution au Président du CNC en fonction des nécessités argumentées du projet (le budget a été multiplié par 2 en 2023).
« Notre vocation, au sein de la commission, est de soutenir des regards particulièrement exigeants. Les débats sont libres et transparents », raconte Éléonore Wéber, membre actuel du second collège. « Nous discutons des projets de film sans posture ni préjugé. Les ultimes choix en plénière sont, il est vrai, difficiles, comme c'est le cas j’imagine pour la plupart des aides sélectives, on aimerait aider davantage de projets. Leur destin ensuite, notamment en festivals, montre à quel point il est essentiel de les aider. »
« Ce qui me réjouit au cours de ces commissions, c’est qu’il y a de plus en plus de points de vue inédits qui s’emparent du cinéma pour raconter leur propre histoire et questionner leur propre représentation. », complète Jean-Laurent Csinidis. « Nous recevons des propositions parfois sidérantes de force et de beauté. Sidérantes parce que notre monde et notre regard n’ont pas été façonnés pour les recevoir autrement ».
« Ce dispositif permet je crois de faire émerger des propositions fortes, parfois radicales. J'ai apprécié la manière dont nous avons mis en commun, avant même de recevoir les candidats, nos impressions au sujet des dossiers et des images qui nous avaient été transmises. Prendre le temps d’élaborer collectivement les critères de sélection et les questions que nous poserons aux candidats me semble important. J’apprends beaucoup en découvrant les projets des autres, ce qui est aussi très stimulant. Nos choix sont avant tout des prises de risque, en lien avec le risque que prennent les auteurs eux-mêmes. », poursuit Éléonore Weber.
Un soutien qualifiant
La transversalité du Fonds d’aide à l’innovation documentaire permet aux projets de s’orienter par la suite vers une diversité de financement en cinéma ou en audiovisuel. Avec un taux de concrétisation des projets de plus de 70 % (toute aide confondue), l’efficacité du dispositif est avérée. « J’ai croisé la route du FAI doc plusieurs fois dans mon parcours de cinéaste et producteur », raconte Régis Sauder. « Obtenir ce soutien, c’est en quelque sorte obtenir un label qualifiant, qui ouvre bien des portes, non seulement en termes de financement, mais également en termes de visibilité et de reconnaissance ».
En effet, 30 % des films aidés au développement renforcé depuis 2019 ont conclu une coproduction internationale. Quant au parcours des films, 80 % des projets soutenus par le FAI doc ont été diffusés en salles et en festivals, 20 % à la télévision. Parmi les œuvres récompensées dans les festivals français et internationaux, Soy Libre de Laure Portier et Little Palestine, journal d'un siège de Abdallah Al-Khatib ont été sélectionnés à Cannes et sont sortis en salles en 2022. À vendredi Robinson de Mitra Farahani a obtenu le prix spécial du jury au Festival international du film de Berlin 2022. Histoire d’un regard de Mariana Otero a reçu l’Étoile de la Scam, la mention spéciale du jury au Doc Festival Lisbonne et a été nommé au César du meilleur film documentaire 2021. Il n’y aura plus de nuit, premier film d’Éléonore Weber, a obtenu la mention spéciale et le prix des jeunes au Cinéma du réel 2021 et a circulé dans une trentaine de pays. Toute une nuit sans savoir, premier film de Payal Kapadia, a reçu l’œil d’or du documentaire au Festival de Cannes 2021…
Faisant la part belle aux premiers films – plus de 30 % des films aidés sont signés par de jeunes créateurs –, le Fonds d’aide à l’innovation documentaire soutient l’émergence de nouveaux talents tout en permettant le renouvellement des formes porté par des auteurs plus confirmés. « Le mot qui retient mon attention dans la dénomination du fonds, c’est “innovation”. Dans le sens d’explorer des nouvelles façons de faire du documentaire, de nouvelles formes, de nouveaux rapports aux personnages, à la narration, au réel… Mais aussi (peut-être même surtout) dans le sens de renouveler les talents. Les jeunes auteurs sont souvent dans une précarité qu’on a du mal à imaginer – ou dont on a du mal à se souvenir. Soit une pure précarité sociale, soit une précarité créative. Le fonds a de mon point de vue pour mission de veiller à soutenir ces nouvelles personnalités qui vont se colleter avec le monde d’aujourd’hui et celui de demain. », conclut Jean-Laurent Csinidis.
le fai doc en 2022
- 49 projets documentaire ont reçu une aide à l’écriture, pour un montant forfaitaire de 7 500 € par projet (soit 367 500 € au total)
- 47 projets documentaire ont bénéficié d’une aide au développement pour un montant moyen de 13 140 € par soutien (soit 617 600 € au total)
- 17 aides au développement renforcé (allant de 30 000 à 60 000 €) ont été octroyées, pour un montant moyen de 42 000 € (soit une enveloppe totale de 712 00 €)
- Le budget annuel était de 1,7 M €. Depuis 2023, il a été doublé.