Qu’est-ce que la coordination régie-handicap ?

Qu’est-ce que la coordination régie-handicap ?

01 août 2024
Professionnels
Un P’tit truc en plus
« Un P’tit truc en plus » de Artus David Koskas

Le film aux plus de neuf millions d’entrées Un P’tit truc en plus réunit à son casting dix comédiens en situation de handicap. Sur le tournage, Margault Algudo-Brzostek a créé le poste de coordination régie-handicap pour les accompagner. Elle en raconte les coulisses et les enjeux.


Comment faire le lien entre une équipe technique et des comédiens en situation de handicap ? Comment s’assurer que tout est adapté au mieux pour les singularités de chaque individu ? Margault Algudo-Brzostek s’est posé ces questions lors de la création du poste de coordinatrice régie handicap sur la comédie réalisée par Artus Un P’tit truc en plus. Retour sur le parcours qui l’a menée à créer ce métier.

J'ai voulu rencontrer l'être humain. 

« J’ai toujours connu le handicap » affirme Margault Algudo-Brzostek en début d’entretien. « Mon père est éducateur spécialisé. C’est grâce à lui que j’ai commencé dans le secteur médico-social. ». Dès l’âge de 16 ans, elle remplace des moniteurs-éducateurs en ESAT [Établissement et service d'accompagnement par le travail], notamment en blanchisserie, espace vert ou encore cuisine, durant les vacances scolaires.

En parallèle à sa double licence Philosophie-Psychologie, l’étudiante continue ses missions dans le médico-social. D’abord spécialisée dans la déficience mentale et l’autisme chez l’adulte, elle s’intéresse ensuite au pluri-handicap chez l’enfant. Pendant la crise sanitaire liée au Covid 19, elle officie à temps-plein en tant qu’éducatrice spécialisée en IME [Institut médico-éducatif]. « J’ai voulu rencontrer l’être humain et en apprendre plus sur lui ».

La notion d’équipe me porte beaucoup. En régie, nous ne faisons jamais rien seul.

En dehors de ses expériences en IME, Margault Algudo-Brzostek est régisseuse sur des festivals de musique. « Dans l’évènementiel, nous devons réaliser un grand nombre de missions sur un laps de temps très court, et chacun est affilié à une particularité : technique, son ou lumière ». Une connaissance la sollicite pour faire de la régie sur le tournage d’une série. « Je n’avais jamais travaillé dans l’audiovisuel. J’ai vu cette opportunité comme une nouvelle aventure ! ». Elle se prend de passion pour l’aspect collectif des tournages audiovisuels. « La notion d’équipe me porte beaucoup. En régie, nous ne faisons jamais rien seul ». La voici régisseuse, tout en gardant un pied dans le médico-social.

En juillet 2023, Olivier Gamas, le régisseur adjoint d’Un P’tit truc en plus, la contacte pour rejoindre le tournage censé commencer deux semaines plus tard. « J’apprends qu’Artus va mettre en scène dix comédiens et comédiennes en situation de handicap et que l’équipe recherche quelqu’un pour les accompagner sur le film ». Le tournage est prévu sur une durée de huit semaines, dans le Vercors, jusqu’en septembre 2023. « J’ai accepté sans hésiter ! C’était le meilleur moyen d’allier médico-social et régie audiovisuelle. »

Margault Algudo-Bzrostek est engagée et travaille en binôme avec Elsa Noujarret, comédienne et éducatrice. Le tournage a débuté depuis quinze jours quand elles reçoivent la visite de Pierre Forette et Thierry Wong. Satisfaits de leur travail, les producteurs soulèvent toutefois un problème juridique : ils ne savent pas sur quel cadre statutaire s’appuyer pour les rémunérer. « Ils nous suggèrent d’être mentionnées comme régisseuses, ou encore comme répétitrices. Je réalise à ce moment-là que le travail que nous faisons n’existe pas dans les conventions collectives ».

Il arrive que des professionnels effectuent ces mêmes missions, mais en étant assimilés à un autre poste, qui ne correspond pas précisément à la nature du travail. D’autres fois, les productions font également appel aux familles ou à leurs éducateurs en ESAT pour accompagner les acteurs en situation de handicap. « J’ai donc décidé de créer une fiche métier, pour le poste de Coordination régie-handicap, prenant en compte toutes les spécificités de ce travail ».

L’objectif est de retrouver des rituels proches de la vie quotidienne pour les comédiens.

La première étape de ce travail est de rencontrer les comédiennes et comédiens en situation de handicap, et d’apprendre à bien les connaître. « Nous posons des questions très concrètes, comme lors de n’importe quelle rencontre. À quelle heure tu te lèves ? Est-ce que tu déjeunes le matin ? Est-ce que tu as besoin de quelque chose dans ta chambre ? ».

A titre d’exemple, Marie Colin et Arnaud Toupense, deux comédiens sur le film, vivent en foyer et ont l’habitude de se lever à 6h45. « Tous les jours, nous nous levons avec eux, nous leur donnons leur petit-déjeuner, leurs traitements, et nous leur expliquons la journée de tournage à venir ». Certains de ces comédiens ne savent pas lire, ou peuvent rencontrer des difficultés à appréhender toutes les informations contenues dans une fiche de service. « Notre rôle est de les préparer à arriver sur un tournage avec cinquante professionnels, et de leur faire comprendre les métiers de chacun : électriciens, machinistes ou encore décorateurs ».

Margault Algudo-Brzostek et Elsa Noujarret doivent aussi faire le lien entre les comédiens en situation de handicap et le reste de l’équipe de tournage. « Nous nous assurons que le matériel est adapté à leurs besoins, et que l’accessibilité est optimale, notamment pour Sofian Ribes qui est en fauteuil roulant ». Elles garantissent en outre que les demandes d’Artus, le réalisateur, soient intelligibles pour les comédiens et bien comprises.

À la fin de la journée, les professionnelles accompagnent le retour des acteurs à la vie quotidienne. « Nous organisons des activités, des temps de repos. L’objectif est de leur proposer des rituels proches de la vie quotidienne ». Aucun d’entre eux n’étant originaire du Vercors, département où le tournage a lieu, les acteurs ne peuvent pas rentrer chez eux le week-end, pour des raisons de logistique. L’accompagnement se poursuit sur ce temps-là. « C’est l’occasion de faire le bilan. De voir comment ils vont émotionnellement parlant, et si le tournage se passe bien pour eux ».

Les parents, les familles des personnes en situation de handicap ne sont pas des aidants perpétuels dont nous pouvons disposer à loisir.

Après le tournage d’Un P’tit truc en plus, le nouveau poste de coordination régie-handicap intéresse d’autres productions. « J’ai été appelée pour exercer ce poste sur le premier film d’Anne-Sophie Bailly, Mon inséparable, produit par Les Films Pélléas ». Ce film, dont la sortie est prévue le 18 décembre 2024, a été tourné avec deux comédiens en situation de handicap, Charles Peccia-Galletto et Julie Froger. « Par le sujet et la tonalité, c’est un film très différent d’Un p’tit truc en plus. Il y a des propositions de plus en plus variées pour les comédiens en situation de handicap et c’est très enthousiasmant ».

L’accompagnement proposé par la coordinatrice régie-handicap ne profite pas seulement aux comédiens concernés, mais à toute l’équipe. La comédienne Julie Froger a une sensibilité particulière au son en raison de son handicap. Sur le tournage, Margault Algudo-Brzostek essaie de trouver des solutions pour que l’effervescence du plateau soit supportable pour l’actrice. « Je consulte les chefs de postes des départements afin de créer un plateau silencieux. Au début, les réactions sont amusées, tant la requête parait impossible. Nous réussissons néanmoins à réduire le bruit. Pour l’anecdote, tous les chefs de postes m’ont confié le soir qu’ils ont vécu la journée de tournage la plus relaxante de leur carrière ! ».

Aujourd’hui, la coordinatrice travaille à ce qu’un maximum de partenaires sociaux signe l’avenant à la convention collective qui reconnait le métier Coordination régie-handicap. «Les parents, les familles des personnes en situation de handicap ne sont pas des aidants perpétuels dont nous pouvons disposer à loisir. Il y a des professionnels dont c’est le métier, et le but de cette création de poste est de les valoriser et de les légitimer. »

Depuis lors, Margault Algudo-Brzostek est approchée par des personnes qui la questionnent sur les nuances et les subtilités du handicap et de l’accompagnement. « Je crois que toutes les personnes qui me contactent ont envie de progresser sur les questions d’inclusions. Nous mettons en place un rapport à la bienveillance et à la bientraitance qui profitera à tout le secteur ».