Un si grand soleil implique un tournage quotidien. On imagine sans mal les bouleversements engendrés par le confinement...
Nous tournons 265 jours par an, c’est-à-dire tous les jours ouvrables de l’année pour livrer un épisode quotidien à la chaîne. Evidemment, l’arrêt de nos activités a été une catastrophe. Il ne s’agissait pas de décaler un tournage et d’essayer ensuite de rattraper un retard quand la crise serait passée. C’était impossible. En temps normal, nous avons quatre équipes qui travaillent simultanément. Le temps est sans cesse démultiplié. Pendant que quatre réalisateurs tournent, quatre autres préparent la session à venir. Cette jolie mécanique a soudain volé en éclats.
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Quand a été prise la décision de tout arrêter ?
Je m’étais entretenu avec la direction de la chaîne dès le jeudi précédant l’allocution présidentielle qui allait décider du confinement. Sans être devin, il était évident que les conditions n’étaient plus propices pour travailler sereinement. A ce moment-là, l’Espagne et l’Italie étaient déjà fermées à clef. On a donc décidé d’anticiper les choses de quelques jours et de tout stopper. En vingt-quatre heures, ce sont donc 250 personnes qu’il a fallu mettre à l’arrêt et ce, sans aucune perspective claire de reprise. C’était brutal mais nécessaire.
D’autant plus brutal, que cette crise et ses conséquences sanitaires étaient impossibles à prévoir...
Depuis le mois de janvier, le directeur artistique d’Un si grand soleil n’arrêtait pas de me parler de cette épidémie qui venait de Chine. Il s’inquiétait alors de ce qui pourrait arriver. Mais face à une chose pareille, nous sommes tous démunis. Il était impossible d’anticiper quoi que ce soit. On voyait bien que même les spécialistes se retrouvaient face à l’inconnu.
En tant que producteur, comment gère-t-on l’arrêt d’un tournage ?
En restant combatif. Dès le lendemain du confinement, je me dis qu’il est nécessaire d’envoyer les bons signaux et surtout de ne pas se tromper sur notre situation. Nous ne sommes pas en cessation d’activité, ce n’est pas la fin de la série, c’est juste une pause. Il faut déjà penser à la façon dont on va relancer la machine. Toutes ces semaines d’arrêt nous ont permis de réfléchir à cet après, à ce que nous voulions faire... Sans précipitation... Je ne vous dis pas que je n’étais pas très inquiet. Je me souviens du jour où j’ai découvert cette vidéo issue du Saturday Night Live où Daniel Craig embrasse sa partenaire avec une plaque de plexiglas entre eux. C’était caricatural certes, mais je riais jaune. En tant que producteur, c’était cauchemardesque. On ne savait pas à quoi les choses allaient ressembler dans le monde d’après.
Vous parliez de « relancer la machine », comment fait-on concrètement ?
Bien avant la fin du confinement, j’ai décidé d’engager une équipe de médecins pour nous accompagner. Durant trois semaines, nous avons beaucoup échangé, nous imaginions déjà la façon dont un dispositif sanitaire pourrait être mis en place et les contraintes qu’il engendrerait. Il y avait aussi un volet juridique. Nous avions besoin d’être aidés pour répondre à tous les bouleversements en termes d’emploi, de sécurité, d’assurances... Nos techniciens nous posaient des questions auxquelles nous ne pouvions pas toujours répondre. L’équipe de médecins prenait le relais. Chaque corps de métier à ses spécificités. Un maquilleur, par exemple, obligé de se tenir très près des comédiens, ne sera pas soumis aux mêmes contraintes qu’un régisseur qui lui est le plus souvent à l’extérieur du plateau...
Comment vos équipes ont-elles réagi ?
Bien dans l’ensemble et ce malgré certains traumatismes engendrés par cette période exceptionnelle. La dernière semaine avant le confinement, nous avions déjà placé plusieurs techniciens en télétravail. Nous voulions à tout prix éviter la contagion. Nous n’avons heureusement aucun cas de COVID-19 à déplorer dans l’équipe. A partir du moins d’avril, nous avons remis en activité ce qui pouvait l’être, en l’occurrence la post-production où les choses peuvent se faire sans contact entre individus. Pour la remise en route générale, nous avons essayé de ne pas précipiter les choses. Une semaine avant la date officielle de la reprise, nous avons fait revenir sur site quelques techniciens pour préparer les choses, relancer et nettoyer les machines forcément un peu engourdies après plusieurs mois d’arrêt. A partir du 11 mai, date officielle de la reprise des tournages, nous avons consacré une semaine dédiée à l’information. Notre équipe de médecins préparait chacun aux nouvelles normes. Et puis, nous avons enfin pu enchaîner avec les deux semaines de préparation, comme c’est notre habitude avant de commencer une nouvelle session. Le tournage a donc repris de façon effective trois semaines après la date officielle...
Est-ce que les contraintes sanitaires actuelles ralentissent considérablement la production ?
La première chose qu’il a fallu faire, c’est de réduire les effectifs. Et fatalement avec moins de gens, vous allez moins vite. Il faut donc rajouter un peu de temps de tournage, ici et là. Au final, il nous faut 20% de temps supplémentaire de tournage pour faire ce que nous faisions avant. Le dispositif sanitaire, sans être excessif, oblige à faire des gestes que vous ne faisiez pas avant. Les gens portent des masques, tiennent leurs distances... Le matériel est désinfecté avant et après chaque utilisation... Tout le monde, aujourd’hui, s’y est habitué mais au départ, c’était vraiment nouveau. Nous avons sur nos plateaux des représentants « COVID », qui veillent à ce que tout le dispositif soit respecté. Ils sont nos interlocuteurs et nos relais, entre l’équipe technique et les médecins.
Qu’est-ce qui a le plus changé par rapport à avant ?
Le monde réel a changé. Nous tournons à Montpellier et sa région proche. La ville apprend elle-aussi à s’adapter à la situation. Il y a beaucoup moins de rassemblements, donc moins de vie. La municipalité a été obligée de nous interdire certains accès. Mais le plus dur est derrière nous. Encore une fois, tout le monde s’est habitué à cette nouvelle vie. Porter un masque est devenu une routine...
La crise sanitaire aura-t-elle un impact sur les scénarios ?
Un si grand soleil reste avant tout un programme de fiction avec ses intrigues propres. Même si nos histoires s’ancrent dans le monde réel, nous ne cherchons pas à raconter le grand roman national. Toutefois nous ne pouvions pas faire comme si rien n’avait changé. Nous avons donc placé avant tous les épisodes produits juste avant l’arrêt des tournages, et qui sont actuellement diffusés à l’antenne, un compte à rebours qui indique le temps avant le début du confinement. Ensuite, il y aura une longue ellipse et nous basculerons directement dans le monde d’après. Nous n’allons pas intégrer le confinement proprement dit dans les intrigues.