C’est la neuvième saison. Depuis neuf ans, chaque année, pour fêter les poètes, Tant mieux Prod choisit treize jeunes diplômés d’écoles de cinéma d’animation pour illustrer un choix de texte d’un poète particulier. La mission de ces jeunes artistes : réaliser un court métrage d’animation de trois minutes autour des œuvres de Jacques Prévert, Robert Desnos, Guillaume Apollinaire ou encore Andrée Chedid. Cette idée aussi audacieuse qu’atypique (mêler animation et poésie, à la télévision de surcroît), on la doit à Delphine Maury. La co-fondatrice de Tant Mieux Prod est d’abord passée par le magazine pour enfants J’aime Lire et, après avoir suivi le cursus du conservatoire européen d’écriture audiovisuelle en 2007, travaille dans une maison de production. Alors qu’elle est directrice d’écriture sur Maya l’abeille, une idée germe : « A ce moment-là, j’ai eu envie de monter une série philosophique avec des amis. On avait commencé à réfléchir à des textes de philo dont on aurait confié l’illustration à des réalisateurs d’animation…». Mais une rencontre va bouleverser ces plans. Nous sommes en 2011. « Un jour, on m’invite à un déjeuner. Chez l’amie d’un ami. Et me voilà à table dans l’appartement de Prévert, près de Montmartre ». L’amie d’ami en question est la petite-fille du poète Jacques Prévert. Et à l’issue de ce déjeuner, Eugénie Bachelot-Prévert lui propose de mettre en image les poèmes de son grand-père… Oubliés les philosophes, la poésie sera désormais son horizon ! C’est avec ce projet en tête que Delphine Maury lance Tant Mieux Prod. aidée de Pierre Siracusa. Et, forts de leur association avec France Télévisions, ils imaginent la première saison d’En sortant de l'école.
« J’adore voir les gens dessiner, créer », dit Delphine Maury. Pour la productrice, En sortant de l’école doit d’abord donner sa chance à de jeunes réalisateurs qui sortent d’écoles d’animation. Et tout est fait pour qu’ils puissent s’exprimer dans l’univers graphique qui leur est propre, afin de protéger leur vision créative et de valoriser l’excellence et la diversité des écoles d’animation françaises. Chaque année Delphine Maury ouvre donc grand ses bras aux étudiants diplômés d’art. Avec son équipe, elle sélectionne d’abord entre 30 et 40 poèmes d’un même auteur pour que les lauréats aient le choix. Elle reçoit les dossiers d’une centaine de candidats qui sont tous lus (à Tant Mieux Prod ainsi qu’à France Télévisions). A l’issue d’une sélection, treize d’entre eux sont retenus. C’est le début de longs mois de travail.
Les réalisateurs sélectionnés partent un mois en août en résidence d’écriture, à l’Abbaye Royale de Fontevraud : « Le lieu est fondamental pour la création et la créativité. Ce magnifique partenariat que nous avons avec l’abbaye nous fait vivre, manger, dormir et travailler ensemble. Tout le monde participe aux tâches, et ça permet de maintenir une bonne entente et une dynamique de groupe ». Ensuite, de septembre à février, les jeunes cinéastes sont envoyés dans différents studios pour la réalisation (chaque année à un endroit différent : Angoulême, Annecy ou Paris). Il y a 13 réalisateurs, et ce sont donc 13 animations totalement différentes qui naîtront de ce long cheminement, « Le poète est le fil rouge, et après seul l’univers graphique du réalisateur compte ». L’idée est d’étudier et de mettre en lumière cette diversité, qui est infinie. Au fond, insiste Delphine Maury, « ils mettent de la poésie dans la poésie ».
Vient enfin la diffusion. La collaboration entre Tant Mieux Prod et France Télévisions est, d’après Delphine Maury, « exceptionnelle, audacieuse et roborative. C’est fou qu’une télé s’investisse à ce point dans un projet pareil ». Pour la productrice, cette collaboration est particulièrement bénéfique pour les artistes : « après avoir travaillé avec la télévision, ils sont plus confiants pour le futur. Ils osent présenter des projets plus audacieux, car ils ont rapidement eu les deux pieds dans le monde du travail ».
La spécificité de la série est qu’elle s’adresse enfin à un spectre très large d’enfants. « Il n’y a aucun problème de compréhension des poèmes. Je fais des projections avec des enfants de 4 à 10 ans, confirme Delphine Maury, et les échanges sont toujours passionnants. » Si la série a commencé autour de la figure de Prévert, très vite, Delphine Maury a choisi d’autres poètes (et œuvres). Ainsi, la deuxième saison se focalisait sur Desnos avec des textes comme « J’ai tant rêvé de toi ».
Ces poèmes choisis soulèvent des problématiques qui ne sont pas forcément traitées à l’école ou dans les programmes, et « cela permet de voir les interrogations existentielles des enfants, poursuit Delphine Maury. Souvent, ils posent des questions dont ils connaissent déjà la réponse, pour s’assurer qu’ils ont bien compris. On décide de répondre à leur question par une autre, et c’est comme ça que naissent les discussions après les projections. » Comme elle aime le rappeler, « la poésie pose des questions et n’apporte pas de réponse ; c’est pour ça qu’on l’adore ».
Avec ses 13 poèmes animés par an, diffusés à la télévision au moment du Printemps des Poètes, puis mis en ligne sur internet en mai, En sortant de l’école s’est imposé comme un programme de création et d’initiation poétique innovant. « Ces réalisations sont d’abord des lieux de liberté » rappelle Delphine Maury. Une bonne manière de définir la poésie.