Vous venez du polar, avec Les Ombres rouges ou Section de recherches. Infiniti commence d’ailleurs comme une fiction policière avec un cadavre sur un toit, au Kazakhstan…
Stéphane Pannetier : En France, pour vendre une série, il faut faire du policier. Ce n’est pas tellement une obsession personnelle, c’est une forme de pragmatisme. L’idée était donc de s’appuyer sur le polar pour traiter d’autres sujets qu’il aurait été difficile d’aborder plus frontalement. Vendre quelque chose de « cosmique » à un diffuseur, c’est prendre le risque d’un refus. S’il y a « polar » devant, il dit oui plus facilement.
Julien Vanlerenberghe : Après, c’est aussi une façon d’emmener les spectateurs dans un récit un peu perché, quelque part entre le mysticisme, le western et la science-fiction. Mais le polar a un aspect rassurant et c’est en effet un fil plus facile à dérouler pour les diffuseurs.
Au départ, vous aviez donc plutôt envie de vous essayer à la science-fiction ?
Stéphane Pannetier : Oui tout à fait, on avait cette envie de jouer sur l’ailleurs, sur ce qu’on appelait entre nous le ré-enchantement du monde, une fascination pour les confins... On avait en tête des références au grand cinéma, comme 2001, l’Odyssée de l’espace, qui nous amenait dans un ailleurs confortable.
Julien Vanlerenberghe : Ce n’était pas tellement la science-fiction des vaisseaux spatiaux qui nous intéressait, mais plus une dimension mystique, l’infini intérieur, une longue descente vers une forme de folie et d’irrationnel. On avait comme autre référence Apocalypse Now et c’est d’ailleurs pour ça qu’un des personnages s’appelle Kurz, comme le colonel joué par Marlon Brando. On a imaginé un double voyage métaphorique, le premier dans l’espace et l’autre dans la psyché. Notre envie, c’était de nous aventurer dans le cosmos, au sens spatial autant que cérébral.
Infiniti, c’est un mélange des genres indéfinissable... Comment définiriez-vous la série ?
Stéphane Pannetier : Justement, le but, c’était aussi de ne pas répondre à cette question. Il y a une tendance à vouloir tout mettre dans des cases et c’est vrai qu’Infiniti est vendue comme une série dont l’aspect SF est mis en avant. Mais nous, on voulait s’en affranchir. Ça date d’un voyage qu’on a fait à Kourou en Guyane, où l’on a observé une dualité étonnante entre ce centre spatial très scientifique et la jungle autour, encore imprégnée de superstition. On a trouvé ce contraste très intéressant. On a donc construit le récit sur deux personnages, une cosmonaute en proie à l’irrationnel et un flic qui est son opposé. Un côté spatial, cosmique et un autre plus terrestre, polar...
Quelles étaient vos références au moment d’imaginer la série ?
Julien Vanlerenberghe : Dans la SF, on a penché du côté d’Andreï Tarkovski, que ce soit son Solaris (1972) ou Stalker (1979), pour cette notion de voyage vers un endroit étrange. Pour le polar, on était attachés à quelque chose de très hollywoodien dans l’écriture du flic, un vieux « hard boy » à l’ancienne, limite chapeau mou et gabardine. Dans la veine de ce qu’écrivait Raymond Chandler. Un flic presque stéréotypé, une colonne vertébrale capable de tenir un récit un peu déconstruit.
Comment avez-vous écrit ce personnage de flic kazakh ?
Julien Vanlerenberghe : Au début, la série avait été développée en Guyane et comprenait déjà un personnage de flic vaudou, qui remontait le fleuve entre son rationalisme de policier et ses croyances personnelles. On a transposé ça naturellement au Kazakhstan, quand on a casté Daniyar Alshinov [qui tient le rôle du policier, NDLR]. Il était capable d’apporter une épaisseur silencieuse au personnage, un truc fort, permettant à notre flic d’exister à l’écran. Daniyar s’est emparé de nos références dérivées de Raymond Chandler pour construire le personnage. Et puis dans nos recherches, on s’est rendu compte qu’il y avait des bizarreries étonnantes à Baïkonour : la base appartient aux Russes, la ville est en territoire kazakh, mais le maire est nommé par la Russie. Donc c’est un maire nommé par Moscou qui dirige une police kazakhe... Du coup, on a voulu jouer avec la tension que peut générer une telle situation, la manière dont cela infuse la relation du personnage avec l’autorité.
Pourquoi avez-vous opté pour une esthétique rétrofuturiste, notamment à Baïkonour ?
Stéphane Pannetier : D’abord, parce que c’est dans l’ADN du réalisateur, Thierry Poiraud (Zone blanche), qui aime cette forme de polar mystique à la Twin Peaks. Et surtout, la vraie raison, c’est que Baïkonour est une cité qui appartient déjà au passé. Elle comptait 250 000 habitants à la grande époque. Il n’y en a plus que 50 000 aujourd’hui. Elle est sur la fin, le sable envahit les rues, les installations sont en train de rouiller... Tous ces décors, tous ces bâtiments sont datés. On est vraiment en pleine époque URSS. On adorait ce côté guerre froide fantasmée. Et puis, entre-temps, il y a eu la sortie de la série Chernobyl, qui a guidé quelque peu nos intentions. Par exemple autour des langues originales : on avait hésité à tourner uniquement en anglais, mais on a vu que c’était le gros défaut de Chernobyl, quand on entend les cadres du Parti communiste parler avec un accent britannique...
Comment avez-vous pensé cette reconstitution très soignée du cosmodrome de Baïkonour ?
Stéphane Pannetier : On s’est beaucoup documentés, mais après, il y a eu un gros travail du réalisateur, des équipes techniques, sur les décors... Plusieurs spécialistes de l’aéronautique nous ont dit qu’ils étaient bluffés par cette reconstitution, qu’elle était très ressemblante et que l’esprit de Baïkonour avait été parfaitement retranscrit, dans son côté vintage URSS avec ces murs beiges et verts...
Une large partie du tournage s’est déroulée en Ukraine. On imagine votre consternation aujourd’hui...
Stéphane Pannetier : Les deux tiers de la série ont été tournés là-bas, puisque ce sont tous les intérieurs qui y ont été filmés. La plupart des comédiens dans les séquences au Kazakhstan sont Ukrainiens. Certains acteurs étaient sous les bombes à Kiev pendant que la série était présentée à Cannes... C’est très particulier comme sentiment.
Infiniti – minisérie en 6 x 52 minutes – diffusée sur Canal+ depuis le 4 avril 2022
Infiniti a bénéficié du Fonds de soutien audiovisuel (FSA)
Créée par Stéphane Pannetier et Julien Vanlerenberghe
Réalisée par Thierry Poiraud
Produit par Empreinte Digitale, Federation Entertainment Belgique
Musique de Thomas Couzinier et Frédéric Kooshmanian
Avec Céline Sallette, Daniyar Alshinov, Vlad Ivanov, Lex Shrapnel, Karina Arutyunyan...