Comment et quand naît l’idée d’écrire un film d’amour situé pendant le confinement ?
Jérôme Bonnell : Précisément… au tout début du premier confinement ! Comme tout le monde, je n’avais aucun recul sur la situation. C’est justement parce qu’on traversait une telle période d’incertitude que j’ai eu besoin d’écrire cette histoire.
Saviez-vous déjà qu’il s’agirait d’une fiction audiovisuelle ?
Non, je n’avais pas d’idée préconçue à ce sujet. Je n’avais pas encore réalisé la minisérie Les Hautes Herbes (2022) pour Arte, même si le projet était déjà en cours. D’ailleurs, j’ai d’abord fait lire le scénario d’À la joie à un producteur et distributeur de cinéma. Nous n’étions pas encore sortis de la crise du Covid. Le confinement lui semblait encore trop proche de nous pour que le public souhaite s’y replonger. J’ai donc tourné Les Hautes Herbes pour Arte, et je me suis retrouvé sélectionné au Festival de La Rochelle. J’ai alors fait lire le scénario d’À la joie à Olivier Wotling, directeur de la fiction d’Arte France à l’époque, qui m’a dit oui très vite. Et ce à ma grande surprise car il m’apparaissait comme un scénario fragile qui m’avait posé plein de questions au fil de son écriture. Son décor unique, son fil narratif ténu, ses changements de tonalité qui lui donnent un côté inclassable… J’ai vraiment cru que j’allais le ranger dans un tiroir et ne plus jamais le ressortir. Mais finalement ce fut un film merveilleux à réaliser et j’y suis aujourd’hui extrêmement attaché.
Son écriture a-t-elle évolué entre votre première version du scénario et celle du tournage ?
Pas vraiment. Le temps que le film soit financé, se tourne, soit monté puis montré, le confinement est devenu une histoire ancienne. Des spectateurs m’ont même fait part de leur plaisir étrange à retrouver, le temps d’une fiction, cette période qui a pourtant été très douloureuse pour certains. À la joie devient un témoignage de choses assez récentes mais qu’on a déjà oubliées. Tout cela m’a échappé mais j’ai aujourd’hui la certitude que je n’aurais pas pu écrire ce film aussi bien si je n’avais pas commencé durant le confinement, en me nourrissant de ce que je vivais et de ce que j’entendais tous les jours à la radio et à la télévision. Ces choses qui nous faisaient peur et rire en même temps. C’est ce qui explique pourquoi ce film change de tonalité en permanence. Il épouse le ressenti du moment et le roller-coaster émotionnel qu’on traversait.
À la joie n’est pas pour autant un film sur le Covid…
Non, car très vite le Covid est devenu une sorte de déclencheur pour raconter mon véritable sujet : l’amour. C’est un thème qui parcourt tous mes films. Comment un amour comme celui que vivent Véra et Sam peut-il naître en dehors du regard des autres, du miroir tendu par la société ? Est-ce que tout est d’autant plus vrai ou d’autant plus faux ? Est-ce qu’on voit mieux l’autre parce qu’il est très près ou, au contraire, est-il tellement près qu’on le voit beaucoup moins ? Des questions auxquelles À la joie ne répond pas vraiment mais qui le traversent. Je raconte avec ce film quelque chose d’universel : le basculement de la perception qui se produit dans chaque histoire d’amour et qui diffère entre les deux partenaires. Encore plus ici où, alors que le monde extérieur est au ralenti, Véra et Sam ont le sentiment que tout va beaucoup trop vite entre eux.
À quel moment de votre réflexion arrive le choix des comédiens ?
J’ai vraiment écrit le personnage de Sam pour Pablo Pauly. J’avais travaillé avec lui quelques jours sur Chère Léa (2021) et je l’avais trouvé tellement singulier – avec cette énergie qui lui donne ce côté agité dont il se sort toujours par un sourire – que j’avais envie de le retrouver dans un rôle principal. Pablo Pauly, c’est Gary Cooper qui aurait mangé Jean Poiret ! (Rires.) Il pratique la dérision à tout bout de champ. Il est extrêmement drôle. C’est son arme de défense pour braver ses angoisses et ses démons, ce qui le rend extrêmement touchant. La perception que j’avais de lui m’a beaucoup inspiré. Quant à Amel Charif, c’est Emmanuelle Devos, qui venait de tourner avec elle dans Noël Joyeux, qui m’a soufflé son nom. Ce fut une évidence au moment des auditions, tant pour ses qualités de comédienne que pour sa complicité avec Pablo.
Comment avez-vous construit la mise en scène de ce huis clos ?
Nous avons commencé par les repérages, qui ont été assez compliqués car le lieu était essentiel. Ni trop grand ni trop petit, pour que mes personnages puissent difficilement s’isoler. Je voulais qu’ils soient toujours l’un en face de l’autre de façon inéluctable. À partir de là, comme sur chacun de mes films, je faisais venir les acteurs chaque matin pour les observer sur le lieu de tournage et définir mon découpage en fonction de leurs propositions de jeu. Et c’est seulement après que mon directeur de la photographie, Pascal Lagriffoul, arrivait sur le plateau. Nous travaillons ensemble depuis Le Chignon d’Olga. Nous sommes dans la tête l’un de l’autre, nous nous comprenons en deux temps trois mouvements. Il partage mon amour des acteurs et mon souci de la liberté, mon désir que la technique s’adapte à eux et non l’inverse.
Les scènes d’amour entre les protagonistes Véra et Sam constituent un élément essentiel du récit. Comment avez-vous travaillé à leur mise en scène avec vos deux comédiens ?
Nous jouons évidemment avec le hors-champ car l’érotisme a à voir avec ce qu’on cache. Mais il était en effet primordial que ces scènes existent à l’écran. Que cette crudité soit présente. Ce travail m’a posé beaucoup de questions car je n’avais jamais tourné autant de scènes d’amour pour un même film. Le but était que chacune d’entre elles raconte un aspect qui fasse avancer la relation entre Véra et Sam. Je les ai donc préparées très longuement en amont. J’en avais parlé à Amel et Pablo dès la première lecture pour être certain de ne rien leur voler, de ne créer aucun inconfort chez eux. J’étais très à l’écoute de ce qu’ils disaient et redoutaient. Nous avons vraiment construit une relation de confiance afin que le jour du tournage, personne ne soit mis au pied du mur. C’est très agréable quand la liberté surgit dans les scènes traditionnelles et crée de la surprise. Là, c’est exactement l’inverse. Le moindre geste doit être indiqué et respecté. Amel et Pablo ont été tous les deux merveilleux de délicatesse l’un envers l’autre. Ils se sont beaucoup épaulés. Et leur solidarité était très émouvante à observer.
À LA JOIE
Réalisation et scénario : Jérôme Bonnell
Photographie : Pascal Lagriffoul
Musique : David Sztanke
Montage : Julie Dupré
Production : Stromboli Films, Arte France
Disponible sur Arte.tv et à l’antenne le 1er mars
Soutien CNC : Fonds de soutien audiovisuel (aides sélectives – préparation et production)