La série « Lycée Toulouse-Lautrec », ou comment « faire entrer le handicap dans tous les foyers »

La série « Lycée Toulouse-Lautrec », ou comment « faire entrer le handicap dans tous les foyers »

13 janvier 2023
Séries et TV
Chine Thybaud dans la série.
Chine Thybaud dans la série. FRANCOIS ROELANTS / HABANITA FEDERATION / TF1

À travers cette série pour TF1, la réalisatrice et scénariste Fanny Riedberger raconte sa propre expérience. Ou comment, adolescente valide, elle a intégré le lycée de son frère, destiné à accueillir des élèves en situation de handicap. Sacrée au dernier festival de La Rochelle, Lycée Toulouse-Lautrec a été filmée dans le véritable établissement situé dans les Hauts-de-Seine, avec ses vrais élèves au casting. La créatrice raconte comment cette production hors du commun a pu voir le jour.


En quoi la série s’inspire-t-elle de votre expérience ?

L’histoire de Victoire, l’héroïne de la série, est inspirée de ce que j’ai vécu. Le premier épisode, surtout, est assez fidèle à ce qui m’est arrivé. J’ai un grand frère qui est tombé du 6e étage à l’âge de 2 ans et qui a eu par la suite de grandes difficultés scolaires. Il a intégré le lycée Toulouse-Lautrec situé à Vaucresson dans les Hauts-de-Seine. Et le jour où mes parents ont divorcé, ils m’ont dit que je devais y aller moi aussi. À l’époque, j’habitais à Rueil-Malmaison. Pour moi, ce fut la fin du monde…

Qu’avez-vous ressenti à l’époque en arrivant au lycée Toulouse-Lautrec ?

J’avais déjà en moi la colère de l’adolescence. J’étais scandalisée, frustrée de voir ma vie ainsi chamboulée. Je le vivais comme une punition. Après, le handicap, je ne savais pas du tout ce que c’était. Je me souviens être arrivée devant un parterre de fauteuils et avoir soudain commencé à questionner la notion de normalité. Or la normalité est là où on la situe ! C’est moi qui étais anormale dans ce cadre, moi qui étais différente, puisqu’en infériorité numérique dans ce lycée. J’étais jugée, dévisagée, et je rasais les murs. C’était terrible, parce que j’avais envie de me fondre dans la masse, c’est ce que veulent tous les jeunes. Mais comme Victoire, c’est une expérience qui m’a appris à mieux appréhender le handicap et les gens en situation de handicap. Très rapidement d’ailleurs, je n’ai juste plus vu du tout le handicap.


Comment avez-vous réussi à filmer à l’intérieur du véritable lycée Toulouse-Lautrec ?

J’ai d’abord contacté le proviseur en poste à l’époque, qui n’était pas très emballé par mon idée. Pas du tout même. Il trouvait ça contraignant. Alors je lui ai envoyé ma note d’intention et il a été très touché. Il a compris l’expérience personnelle que je voulais insuffler au projet, sans tomber dans les bons sentiments. Il a vu le potentiel du changement de regard que cela pouvait entraîner dans la société. Plus que ça, les gens ne détournent plus le regard ! Grâce à la série, on a fait entrer le handicap dans tous les foyers. D’ailleurs, après les premiers épisodes, les commentaires que j’ai pu lire ne mentionnaient jamais le handicap. Ils parlaient seulement des comédiens et des personnages. Je trouve ça fabuleux.

Il aurait été indécent de mettre un acteur valide dans un fauteuil pour jouer un personnage.

Les acteurs et actrices en situation de handicap sont-ils de vrais élèves du lycée ? Avez-vous procédé au casting sur place ?

Oui, ce fut une étape assez longue. La condition sine qua non, pour moi, c’était d’ailleurs de faire la série avec des comédiens véritablement en situation de handicap. Qui mieux qu’eux pour jouer ce qu’ils sont ? Il aurait été indécent de mettre un acteur valide dans un fauteuil pour jouer un personnage. Mais au final, on a juste pris les meilleurs pour chaque rôle, avec de jeunes gens qui n’avaient jamais joué auparavant. Après, ce n’était pas un casting comme les autres, parce qu’on savait que la déception allait être grande pour ces gamins. C’est la raison pour laquelle on a fait en sorte que tous les enfants qui avaient participé au casting soient dans la série. Comme on a aussi filmé dans l’établissement pendant le temps scolaire, ils ont pu venir jouer les figurants pendant les intercours.

Cela demande une certaine adaptation au niveau de la production ?

Je connais un peu cet univers, donc déjà en préparation, je faisais attention à certains détails, en sachant le temps que chaque scène pouvait prendre à se mettre en place. La grande chance qu’on a eue, c’est d’avoir pu filmer à Toulouse-Lautrec. Parce que l’établissement, évidemment, est intégralement adapté PMR (Personne à Mobilité Réduite). Les élèves dormaient dans leur internat. Ils pouvaient faire leurs soins quotidiens. Les auxiliaires de vie étaient sur place. Je ne sais pas comment on aurait pu tourner cette série sinon… Pour les séquences hors du lycée, il a fallu chercher. Par exemple, lorsqu’on a tourné les scènes au musée Rodin, il a fallu trouver un établissement disposant d’un accès PMR et ce n’est pas le cas dans beaucoup de musées en France… Lorsqu’on est parti filmer l’épisode au Maroc, cela a aussi demandé beaucoup d’adaptation. Et même au-delà du tournage, Hippolyte Zaremba (qui interprète Jean-Philippe) a loupé quatre projections de la série aux avant-premières parce qu’il ne trouvait pas de taxi PMR…

Que TF1 s’engage dans une fiction comme celle-là, c’est un grand pas en avant pour la société.

Avez-vous eu du mal à convaincre TF1 ? Ce n’est pas une série facile à vendre…

Il a fallu rassurer beaucoup de gens, mais le fait que TF1 s’engage dans une fiction comme celle-là, c’est un pas en avant énorme pour la société. C’était un gros pari. Mais très vite, la série a fait l’unanimité et tout le monde s’est amouraché du projet. Après, il a fallu faire comprendre que mon expérience prévalait pendant le développement et que la vraie vie n’est pas celle qu’ils fantasmaient. Ils avaient un regard biaisé sur le handicap, comme 99 % des Français. Mais c’est normal, quand on ne connaît pas. Pour eux, c’était compliqué de comprendre que ces enfants puissent autant rigoler. Ils pensaient que ce n’était pas possible. Ils avaient tendance à les prendre en pitié, alors que moi, ce que j’ai vécu, c’est un lieu plein de vie et de rires. Un lieu où tout le monde se charrie tout le temps. Où l’énergie est décuplée en permanence.

Est-il compliqué d’écrire une série sur le handicap, un sujet qui reste sensible en France ?

Je ne me suis mis aucune barrière. Je ne me suis jamais demandé si j’allais trop loin. Si c’était limite. Si c’était indécent. Parce que c’est ce que j’avais vécu tout simplement. J’ai ri avec ces enfants pendant trois ans. Je n’ai jamais ri d’eux. Alors, il n’était pas question que je me censure. Ceci étant dit, je crois que je n’aurais jamais osé faire cette série si je n’avais pas eu cette expérience personnelle. Parce que ça aurait été trop risqué. Ne pas connaître, c’est écrire sans savoir ce qu’on a le droit de faire, ce qui est irrespectueux…

J’ai eu envie de faire exploser toutes les barrières […] Les héros sont en fauteuil. On va au fond du sujet, sans tabou. On parle de la sexualité, des soins, des parents, etc. C’est la première fois qu’il y a ce schéma inversé. Normalement, c’est une personne handicapée qui s’adapte à un monde normal. Là, on montre une personne valide qui s’adapte à une autre normalité.

Le but de la série, c’est aussi de changer le regard que l’on porte sur les personnes en situation de handicap ?

C’était même mon pari fou personnel. Un jour, mon fils a croisé une personne handicapée dans la rue et a semblé tétanisé. J’étais très surprise. Mon propre fils… Alors ce jour-là, je me suis dit qu’il était de mon devoir de faire partager mon expérience. Après, j’aurais pu parler de ce sujet de manière plus détournée, en intégrant par exemple une personne en situation de handicap à une série classique. Mais non. J’ai pris l’option directe. Et je crois que c’est un énorme coup de poing. Les héros sont en fauteuil. On va au fond du sujet, sans tabou. On parle de la sexualité, des soins, des parents, etc. C’est la première fois qu’il y a ce schéma inversé. Normalement, c’est une personne handicapée qui s’adapte à un monde normal. Là, on montre une personne valide qui s’adapte à une autre normalité. J’ai eu envie de faire exploser toutes les barrières. Maintenant, je reste stupéfaite de voir que ce pari a été gagné et que la série marche auprès du public. Je me dis qu’on ne fait jamais assez confiance à l’intelligence des gens…

Est-ce à dire que le handicap n’est pas toujours bien traité dans la fiction ?

Déjà, ce n’est pas suffisamment traité. Le handicap est clairement sous-représenté à l’écran alors qu’il existe des milliers de handicaps différents, visibles ou invisibles, qui touchent une très large partie de la population. Pourtant, ça reste à la marge du petit écran. Et puis à chaque fois qu’on filme des personnes en situation de handicap, c’est pour montrer un parcours compliqué, plaintif, avec de grands violons, en mode dépassement de soi. Alors que ce n’est pas forcément le meilleur angle. C’était bien de montrer aussi le handicap dans une certaine forme de normalité. Je crois que le principe du « hors-norme » va juste finir par disparaître.

Lycée Toulouse-Lautrec – 6 x 52 minutes – Sur TF1 depuis le 9 janvier 2023

Lycée Toulouse-Lautrec Affiche

Créée par Fanny Riedberger
Scénario : Fanny Riedberger, Justine Planchon, Éliane Vigneron, Nicolas Mercier
Réalisation : Fanny Riedberger, Stéphanie Murat, Nicolas Cuche
Avec : Ness Merad, Chine Thybaud, Stéphane De Groodt, Valérie Karsenti…
Musique : LoW Entertainment Production : Fanny Riedberger, avec Habanita Federation, TF1, Be-FILMS

Soutiens du CNC : Appel à projets Les Uns et les autres, Fonds de soutien audiovisuel (aide à la production)

Les Uns et les autres, un dispositif de soutien à l’insertion des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel en situation de handicap

Cet appel à projets vise à soutenir des projets en faveur de l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans les entreprises du cinéma, de l’audiovisuel, des industries techniques, de l’animation et du jeu vidéo. Il s’inscrit dans la continuité des dispositifs d’aides mis en place par le CNC depuis plusieurs années, prenant en compte certaines situations de handicap, comme le soutien à la création de fichiers de sous-titrage et d’audiodescription ou encore les aides pour les travaux et investissements des salles de cinéma concernant l’accessibilité des personnes en situation de handicap à ces équipements.