À l'origine des Cahiers d'Esther, il y a donc la BD de Riad Sattouf qui s'inspire de la fille d'amis à lui…
Oui, c'est la fille d'un de ses copains à qui il demande régulièrement de lui raconter son quotidien depuis l'âge de ses 10 ans. L'idée était donc de suivre cette jeune fille jusqu'à ses 18 ans. Comme le dit Riad (Sattouf), c'est un peu le miroir de L'Arabe du futur, côté féminin.
C'est lui qui vous a demandé de collaborer sur la série en 2018 ?
Je travaille en fait pour le studio Folimage depuis pas mal d'années et il y a environ 6 ans, le fondateur du studio, Jacques-Rémy Girerd, m'a fait découvrir cette BD en me montrant le premier tome des Cahiers d'Esther qui était une compilation de tout ce qui sortait de manière hebdomadaire dans L'Obs. Je connaissais le travail de Riad, mais pas Les Cahiers d'Esther. On a évoqué l'idée d’en faire une adaptation et peu de temps après, je suis allé au Festival d'Angoulême pour faire une intervention. J’ai rencontré par hasard Riad là-bas : je me suis mis dans la queue des fans pour pouvoir parler avec lui et nous avons bien accroché. Nous avons longuement discuté et il m'a confié qu'il avait très envie de faire un dessin animé notamment avec Folimage, parce qu'il avait croisé Jacques-Rémy Girerd, plus jeune, lorsqu'il faisait l'école des Gobelins.
Comment se sont passés vos premiers échanges artistiques avec lui ?
Dès le départ, nous nous sommes bien entendus, même si artistiquement je suis mis à rude épreuve. Parce que Riad est quelqu'un d'exigeant. Il m'a testé pendant quelques temps. J’ai dû me glisser dans son univers et dessiner comme lui. Il voulait la preuve qu'on pourrait animer son univers de façon parfaite. Il rêvait d'un dessin animé à l'ancienne, même si j'ai dû lui expliquer que techniquement et financièrement, il serait difficile d'atteindre son idéal. Mais un premier test l'a convaincu et a conduit à la première saison. Et aujourd'hui nous sommes en train de terminer la saison 3.
Comment se passe la réalisation à deux ?
Après une première saison où nous nous sommes apprivoisés, il me fait désormais confiance. Donc pour être franc, il m'a plutôt lâché les rênes de la réalisation. Nous sommes très proches et il reste très regardant, notamment lors de l'étape de pré-production, des story-boards aux animatiques. Pour simplifier, je propose et il dispose. Mais c'est aussi un passionné de doublage et il est très présent lors des séances avec les personnages secondaires parce qu'il y a beaucoup de réécriture spontanée et Riad n'aime pas qu'on réécrive sa BD.
Travailler avec le créateur de l'œuvre originale, c'est un plus quand on fait une adaptation ?
Impliquer l'auteur dans la coréalisation est une bonne idée sur le papier. Cela lui permet d'avoir un contrôle sur la chaîne (de production) de A à Z. Mais j'ai remarqué, à travers mon expérience personnelle, que si les auteurs ne lâchent pas un peu, ils sont malheureux. Ils sont dans un stress permanent et je passe beaucoup de temps à les rassurer. C'est un peu comme si Riad m'avait donné son enfant en garde. Il me fait une confiance totale, mais ça reste son bébé... Une grosse partie de mon travail est de lui garantir cette sérénité-là.
Qu'est-ce qu'il ne faut surtout pas louper, quand on adapte une BD à l'écran ?
Plus qu'une bible qui peut parfois évoluer, cette table des lois - avec les siennes et les miennes - est immuable. Si ces points-là ne sont pas clairs dès le départ, on se retrouve à gérer trop d'angoisses et ça ne peut pas bien se passer.
Dans Les Cahiers d'Esther, il y a ce style particulier, avec des planches bichromiques. Il a fallu transposer cela à l'écran ?
On me pose souvent cette question de la couleur, mais ça n'a pas du tout été un problème car les choses ont été réglées dès le départ. Ce qui a été plus embêtant, c'est la retranscription en dessin animé de cases de BD. La composition de l'image. Là, il y a une réelle adaptation au sens propre, parce qu'il y a une problématique graphique à gérer.
Et là, forcément, il faut inventer et ce n'est jamais facile à faire comprendre à l'auteur. Il y a donc tout un travail d'explications et de propositions pour, petit à petit, lui montrer qu'on peut adapter sans pervertir. Il a ainsi fallu créer une bible graphique pour les équipes, afin de pouvoir leur donner une ligne de conduite et leur montrer comment on allait tricher en permanence. Nous avons fait du cousu main et c'est ça que j'aime dans l'idée d'adapter une œuvre.
La plupart des épisodes font 2 minutes. C'est pour garder le rythme de la BD, des pages qui s'enchaînent ?
Nous étions d'accord très vite, avec Riad, là-dessus. Pour essayer de retrouver cet esprit d'une gamine qui raconte sa "life", de façon très dense et qui passe du coq à l'âne, nous avons voulu restreindre le temps des épisodes. Mais en réalité, puisque nous devions rester très fidèles à la BD, en fait, Les Cahiers d'Esther fut une série impossible à calibrer. Certains épisodes font 2'30 et d'autres 3'50... J’ai tout de suite discuté de ce point avec le diffuseur, Canal +. Mais pour eux, l'artistique primait. Nous avons donc eu carte blanche là-dessus et nous n’avions plus cette contrainte du calibrage. Au départ, la différence était de plus ou moins 30 secondes. Aujourd’hui, l’un des épisodes de la saison 3 fait 10 minutes parce nous avons regroupé des histoires. Riad a un peu bougé ses lignes aussi et nous avons pu découper des histoires en lui montrant qu’il était possible de rester très proche de son idée de départ.
Comment imaginez-vous les histoires de la série ? Vous reprenez les BD planche après planche ?
Exactement, on fait page après page, vraiment dans l'ordre.
Les seules planches que nous n'avons pas adaptées sont celles où Riad citait des artistes et pour lesquelles nous n'avons pas eu les droits musicaux.
Les Cahiers d'Esther est censé durer jusqu'aux 18 ans de l'héroïne. Vous allez donc faire 8 saisons ?
Riad, dans sa tête, a déjà prévu de faire 8 albums effectivement. Donc j'imagine qu'il aimerait que le dessin animé dure aussi longtemps. Je pense, à titre personnel, que je vais arrêter. Même si j'adore travailler avec Riad, j’ai fait 3 saisons des Cahiers d'Esther et j'ai envie de passer à autre chose.
La série animée est-elle le format qui convient le mieux quand on adapte une BD à l'écran ?
J'ai envie de dire oui, parce que j'adore faire ça. C'est clairement l'une des meilleures façons de le faire. Mais encore faut-il bien penser à tout, bien anticiper au niveau de la production. Parce que tous les auteurs ont envie d'adapter leurs œuvres, de voir leurs dessins prendre vie. Mais il faut des moyens colossaux, des moyens humains, du temps. Sur Les Cahiers d'Esther, nous sommes parfois 70 à travailler sur un épisode. C'est quelque chose de très fastidieux, quasi-monacal. Alors oui, c'est une manière parfaite d'adapter, mais il faut que tout le monde soit d'accord dès le départ sur les moyens et la méthode. Si c'est trop fantasmé, il y a de fortes chances que tout le monde soit déçu à l’arrivée. Riad avait d’ailleurs peur que les fans de son œuvre ne s'y retrouvent pas ; d'autant qu'une BD dans L'Obs et un dessin animé sur Canal +, ce n'est pas le même public... Faire une adaptation c'est passionnant mais quand même un peu « casse-gueule », en raison des contraintes techniques et financières auxquelles n'est pas soumis le cinéma live par exemple. Il faut tout définir avant. On ne peut pas rappeler Esther pour lui demander de rejouer la scène...