Comment en êtes-vous arrivé à parler d’histoire à la télévision ?
Parce qu’on me l’a demandé. Je suis plus habitué à la radio, qui est mon média naturel. Mais j’ai rencontré Serge Lalou, des Films d’ici, qui cherchait à répondre à un appel d’offres d’Arte concernant une émission d’histoire un peu exigeante, pour le grand public. Il m’a convaincu de la nécessité d’y aller, que la télévision est un outil puissant de démocratisation du savoir. J’ai accepté dans un geste presque politique, plutôt que pour faire carrière à la télé. J’ai le sentiment que l’histoire, à la télévision, se réduit du point de vue de la diversité, qu’elle est monopolisée par une certaine manière de faire, et je voulais en proposer une autre.
Que vous a-t-on demandé de faire comme type de programmes ?
Serge Lalou m’avait entendu parler au Banquet du livre de Lagrasse, où, l’été, j’engage une conversation, où je raconte un peu d’histoire, tout en me mettant en scène. J’y mène une sorte de petite intrigue en même temps que le récit et c’est ce qui lui a plu. Il a eu envie d’imaginer une forme télévisuelle de ce type, frontale et engagée. Parce qu’on ne cherche pas à finasser, à faire parler la cathédrale ou la petite fille d’untel. Non, c’est l’histoire qui parle. C’est simple, cash, mais exigeant du point de vue conceptuel et il fallait du coup que la porte d’entrée soit très efficace et peu intimidante. D’où l’idée de la date, qui permet ce point de départ accessible, pour ensuite développer. Sans pour autant tirer dans les coins. On s’arrête sur la mort d’Henri IV ou de Vercingétorix. Des choses qui parlent à tout le monde. On a d’abord décidé de 30 dates, ça permet de rassurer, étonner, de dépayser. Il y a des choses attendues, comme Pompéi, ou des choses plus inattendues, comme le Mali du XIVe siècle.
« Parler des problèmes qui peuvent se poser à l’historien »
Vous venez de lancer la saison 2, avec 20 épisodes inédits. Comment choisissez-vous vos thèmes, vos dates ?
Il y a une discussion avec la production, avec la chaîne et les huit réalisateurs et réalisatrices. On parle d’histoire, sans frontière et sur une très longue durée, puisque ça part de Lascaux ou de la préhistoire, jusqu’à la fin du XXe siècle. La date la plus récente est celle de la libération de Nelson Mandela. Ce parti pris est important. Je suis spécialiste du Moyen Âge, donc c’est plutôt sur des périodes anciennes que je peux avoir des choses intéressantes à dire. Mon expérience de ces sociétés permet de parler des problèmes qui peuvent se poser à l’historien, notamment des questions documentaires. Par exemple, la fondation de Rome en -753 av. J.-C. : que fait-on avec le mythe ? Car il est évident que la fondation de Rome n’a pas eu lieu, que ce n’est pas un événement daté?! Que fait-on avec Pompéi, des vestiges, des ruines ?
Concrètement, comment concevez-vous chaque épisode ?
Au départ, je travaille avec un assistant, Yann Potin, qui m’aide en tout. Une fois qu’on a une idée, un pitch d’ensemble, on demande à un historien ou une historienne spécialiste de la période de nous faire un dossier documentaire, avec des pistes historiques, iconographiques, etc. Et à partir de cette matière, très ample, j’écris un scénario. Ce scénario, c’est ce que je vais dire devant la caméra, pendant les 2h30 d’enregistrement. Puis, la réalisatrice ou le réalisateur fait son film, le monte pendant quatre semaines. Là, je fais confiance absolument et je n’ai pas besoin de leur dire que je verrais bien telle ou telle animation ici ou là.
« J’aime bien les épisodes sur Lascaux et la découverte du pôle Sud »
Est-ce qu’il y a un épisode que vous conseillez, pour commencer la collection ?
D’une certaine manière, le pilote qu’on a fait, sur 1492, dit quand même l’essentiel de nos intentions. Il y en a d’autres que j’aime bien, comme les épisodes sur Lascaux et la découverte du Pôle Sud, qui sont des cas limites.
Tous les épisodes sont disponibles sur Arte.tv. Vous diriez que c’est la bonne méthode pour regarder la collection, de piocher, en quelque sorte, dans ce qui nous intéresse ?
Oui, tout à fait. D’ailleurs, je ne tiens absolument pas à l’ordre chronologique. Je tiens plutôt à faire rimer les épisodes de façon poétique.
Comment expliquez-vous le renouveau de cette passion qu’ont les Français pour l’histoire ?
Je crois qu’il y a deux choses : le récit et l’enquête. Je suis persuadé que les gens s’intéressent davantage aux égyptologues qu’aux pharaons. Ils souhaitent qu’on leur raconte comment les choses se sont passées, mais aussi comment l’on sait que ça s’est passé de cette façon. Je crois qu’il faut mettre en avant la fabrique de l’histoire, la construction du mythe, et comment on en arrive à pouvoir raconter tout ça.