Sarah Santamaria-Mertens, réalisatrice de Fluide : "La fiction permet d’explorer des interdits"

Sarah Santamaria-Mertens, réalisatrice de Fluide : "La fiction permet d’explorer des interdits"

07 mai 2021
Séries et TV
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La minisérie Fluide
La minisérie Fluide Kelija
Cette minisérie coproduite par Arte interroge la sexualité de deux couples de trentenaires parisiens et explore leurs désirs. Entretien avec la réalisatrice.

Comment vous êtes-vous retrouvée à réaliser la série Fluide ?

La série a été écrite par Thomas Cadène et Joseph Safieddine. C’est la productrice Katia Raïs qui m’a contactée via mon agent. Elle cherchait une réalisatrice et avait beaucoup aimé mon court métrage Blind Sex, un film où, à travers le parcours sexuel d’une jeune aveugle propulsée dans un camping naturiste, j’interrogeais la question du regard, du corps. Le sujet n’était pas forcément évident et je pense que la pudeur avec laquelle j’ai raconté cette histoire lui a plu. Blind Sex est une comédie dramatique sur l’émancipation. Il n’y a rien de potache, car la recherche du gag à tout prix ne m’intéresse pas. J’ai poursuivi dans cette voie avec Fluide.

Outre votre court métrage, il y a aussi l’écriture de la série HP...

Nous venons de finir la saison 2, en effet ! Et même si, contrairement à Fluide, je ne réalise pas, on retrouve ma façon d’aborder des sujets a priori sensibles comme la folie, avec une certaine douceur. Une douceur que recherchait justement Katia Raïs pour Fluide.  

Quel rapport avez-vous entretenu avec les deux auteurs ?

Les choses se sont passées assez simplement. Nous nous sommes évidemment rencontrés pour parler des personnages et des situations qu’ils avaient imaginés. Je leur ai donné mon point de vue. Et s’il m’est arrivé de modifier des choses, il s’agissait plus d’essayer d’alléger certaines situations qui avaient peut-être tendance à flirter avec le potache et de raccourcir certains passages pour respecter le format (la durée des épisodes varie entre cinq et dix minutes).

Ce que j’ai, à l’inverse, essayé de développer, ce sont les personnages féminins qui avaient tendance à être un peu plus faibles. Cela s’est joué au moment de la réalisation. Après notre rencontre, les auteurs se sont effacés et m’ont laissée totalement libre de travailler comme je l’entendais. 


Vous avez dit que la productrice cherchait une réalisatrice et non un réalisateur. Pourquoi selon vous ?

La série ayant été écrite par deux hommes, l’arrivée d’une femme à la mise en scène était une façon d’équilibrer le regard porté sur ces personnages et les situations qu’ils vivent. Il y avait cette idée très présente de contrebalancer les choses. 

Fluide raconte le quotidien de Léo et Waël, deux auteurs de bande dessinée, qui vont être bousculés dans leurs habitudes par leurs copines respectives... 

J’aimais cette idée de départ avec des garçons amoureux et finalement très sages dans leurs couples. Je n’ai pas essayé de le changer. Les filles, Esther et Emma, apportent du conflit, s’opposent à eux, les forcent à réfléchir. L’idée que l’action vienne des personnages féminins me plaisait beaucoup. Dans le scénario original, cet aspect-là était plus anecdotique, je l’ai renforcé.

Les deux filles existent aujourd’hui en tant que personnes à part entière et non simplement en tant que « fonction ». Esther et Emma n’ont pas vocation à représenter le sexe féminin de manière générale. 


Le point de vue de départ est donc masculin. C’est à travers les yeux de Léo et Waël que l’on appréhende la sexualité...

Je n’ai pas essayé d’inverser ce regard-là. Je me suis pleinement identifiée aux deux héros essayant de comprendre ce qu’ils traversaient, et ce, avec la douceur et la tendresse qui caractérise mon approche. Il ne s’agissait évidemment pas d’être contre eux mais avec eux.

Fluide tourne autour de la sexualité de deux couples de trentenaires. Au-delà du scénario, comment avez-vous appréhendé un tel sujet ?

Je suis trentenaire moi-même donc pas très éloignée de mes personnages. Il est vrai que c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup et je suis toujours très attentive à la façon dont mes ami(e)s parlent au quotidien de leur sexualité. J’aime aussi écouter des podcasts... Nous sommes une génération qui se pose beaucoup de questions sur ces sujets-là. Or, il n’y a malheureusement pas vraiment de réponse toute faite à donner. Chacun (et chacune) exprime peut-être plus ses doutes que la génération précédente quant à sa vie de couple, ses préférences sexuelles, mais ça reste encore timide. Tout est finalement assez bloqué et cloisonné.

J’ai l’impression que la génération qui arrive après la nôtre est plus évoluée sur ces questions, en tout cas moins enfermée dans une norme. Le polyamour ou l’homosexualité, par exemple, sont vécus avec plus de naturel. Les hésitations des personnages de Fluide vont sûrement paraître dépassées dans quelques années. 

Ces personnages sont des bourgeois urbains, en quoi sont-ils représentatifs d’une génération ?

Les bourgeois urbains sont a priori ouverts, appartenant à un monde et à un milieu progressistes. C’est peut-être un leurre. L’idée de l’expérimentation est en effet tentante, mais dans la réalité ils refusent pour la plupart de sauter le pas. La fiction permettait de le faire, d’explorer des interdits. C’est pour cela que j’ai voulu rester le plus réaliste possible. Bien que chaste, la mise en scène ne cherche pas à donner à certaines situations un caractère insolite mais au contraire à l’insérer dans une sorte de quotidienneté. Ce qui m’amusait, c’était de projeter des personnages au cœur de l’action. Sans tabou. Les deux auteurs de la série sont chacun en couple depuis dix ans. Ils se sont construit des avatars qui expérimentent des choses qu’eux-mêmes s’interdisent peut-être.   

La douceur que vous revendiquez passe aussi par un équilibre des forces entre les quatre personnages. Ils se ressemblent tous un peu...

La facilité aurait été de créer des types précis : le viril, l’excitée, le ou la timide... J’aime l’osmose, l’équilibre des forces. C’était déjà le cas dans Blind Sex, avec ce groupe de personnages bienveillants les uns vis-à-vis des autres.  

Ici, le passage à l’acte et l’expérimentation entraînent une séparation des couples. Faut-il y voir une certaine morale, voire un appel à la prudence ?

En prenant des risques donc en bougeant des lignes, on bouscule l’ensemble. C’est vrai et ce n’est pas forcément négatif. Les couples n’allaient peut-être pas si bien que ça au départ et les évènements ont permis de précipiter les choses.

Rien ne nous dit qu’ils ne vont pas se retrouver plus tard. Je ne vois pas les choses de manière définitive.


Fluide est-elle une série féministe ?

Il y a une réplique dans le scénario qui m’avait beaucoup plu. Dans un épisode, Waël accepte une expérience avec un gode ceinture et sa partenaire. Lorsqu’il en parle à Léo le lendemain, il lui dit : « J’ai bien fait de le faire, maintenant, je suis un homme ! Esther sait que j’en suis capable, que l’aventure ne me fait pas peur... » J’aime cette idée d’aventure et surtout que celle-ci aille à l’encontre des figures imposées où l’homme et la femme auraient des places bien définies. C’est une façon d’être féministe...