Comment êtes-vous arrivé sur le projet Thamos, roi d’Egypte ?
J’avais travaillé avec la cheffe d’orchestre Laurence Equilbey sur On Iron, un événement scénique multimédia sur une création de Philippe Manoury à partir de textes d’Héraclite. J’avais imaginé une scénographie originale avec des projections, afin que le concert ait une dimension visuelle très forte. Quand Laurence Equilbey a décidé de s’attaquer à Thamos, elle m’a appelé. Elle avait dans l’idée de mettre en scène cette pièce musicale accompagnée d’une œuvre originale, réalisée en direct.
Thamos, roi d’Egypte est une œuvre relativement méconnue du répertoire de Mozart…
Oui, parce que c’est une œuvre de jeunesse et surtout parce qu’il s’agit d’une partition conçue pour le théâtre. Mozart avait imaginé une musique de scène pour accompagner la pièce du baron Tobias Philipp von Gebler, un franc-maçon notoire. C’est une œuvre peu jouée, mais pourtant importante dans la carrière du musicien, qui est revenu plusieurs fois dessus. On considère qu’il s’agit d’une pièce maîtresse dans la gestation de La Flûte enchantée : il y a des thèmes communs dans les deux œuvres (l’amour sincère et généreux, la lutte entre l’obscurité et la lumière, l’aspiration à un pouvoir plus juste).
Pourtant, ce n’est pas un opéra. La musique n’est jamais le support de la narration, du coup, comment avez-vous imaginé votre scénographie ?
Vous pointez la difficulté essentielle de cette pièce : c’est une musique qui n’est pas écrite sur l’action. Ma première démarche a été de dessiner comme un storyboard. J’ai pris le texte, écrit un scénario dessiné pour clarifier l’histoire et la narration. Thamos est une œuvre très complexe et parfois touffue. On y suit deux hommes qui aiment la même femme. Un prince éclairé (Thamos) et un ambitieux (Phéron). La belle Saïs, figure centrale de la pièce, est promise à Phéron mais elle ne veut pas de ce mariage et devient prêtresse du soleil pour y échapper. Il y a de nombreuses intrigues, amoureuses et politiques, des fausses identités, des complots en tout genre, mais tout se résoudra pour le mieux… J’ai donc commencé par établir un second livret, dessiné, centré sur l’histoire, en me concentrant sur les moments forts. Et j’ai fait en sorte que la musique « commente » le scénario, qu’elle se fonde dans la continuité narrative. En quelque sorte, j’ai adapté ma « bande-dessinée » à la musique pour que tout soit cohérent.
Et comment êtes-vous passé de ce storyboard à une représentation dessinée en direct ?
L’enjeu, dès le début de nos discussions avec Laurence Equilbey, c’était que le récit dessiné soit réalisé en direct, pendant la représentation. Ce n’est pas la première fois qu’un spectacle utilise le dessin en direct pour illustrer une œuvre musicale, mais à ma connaissance c’est la première fois que l’on raconte l’histoire en dessin et en direct, en mélangeant, qui plus est, différentes sources et formes artistiques (des maquettes, des lieux, des personnages, des vidéos). C’était une démarche totalement originale.
Concrètement comment avez-vous procédé ?
On a imaginé une table « magique », une table avec des vitres et une caméra qui glisse au-dessus. Sur cette table, on a disposé des maquettes, des dessins, des découpages… et des animateurs/dessinateurs ont conduit le récit, soit en dessinant soit en utilisant les formes mises à leur disposition. Parfois ils dessinaient même directement sur les vitres. Le spectateur voyait ainsi projeté sur l’écran au-dessus de l’orchestre ce qui était capté par la caméra. Il voyait les garçons sur la table bouger les objets, dessiner des personnages ou manipuler des décors… Ainsi il pouvait suivre la continuité de l’histoire tout en voyant les musiciens exécuter la pièce.
On pense beaucoup aux premiers dessins animés. A Emile Cohl notamment.
C’est exact. Il y avait un peu de cela : le plaisir de revenir à l’archéologie du cinéma. C’est d’ailleurs explicite : à un moment j’ai dessiné plusieurs images de Thamos sur son cheval et on en a fait une animation. Thamos est assis sur son cheval qui court, comme dans un vrai dessin animé. C’est un projet totalement hybride.
On parlait des premiers dessins animés, mais quelles furent vos inspirations ?
Les ombres chinoises, le théâtre de marionnettes oriental ou le karagiozis. Mais je me suis surtout inspiré des dessins archéologiques réalisés à la fin du XVIIème siècle. Il y avait une masse extraordinaire d’archives. Je me suis nourri de cette documentation, mais à un moment donné j’ai aussi laissé ma main vivre sa vie…
Vous n’avez pas cherché à reproduire les mises en scènes de l’époque ?
J’ai un peu regardé s’il y avait des traces de représentations d’époque de Thamos, mais en vain. C’est une œuvre qui a été créée en 1773, mais contrairement à d’autres travaux de Mozart, je n’ai pas trouvé d’images. Ça ne me dérangeait pas plus que cela : je ne voulais pas me laisser enfermer par les codes du théâtre baroque.
Qu’apporte l’acte de la narration en direct par rapport à un film déjà enregistré ?
Le sentiment du danger, du risque. Quand le public voit les artistes créer en direct, il y le sentiment intense de l’imprévu : tout est possible. C’est le propre du théâtre et c’est ce que nous recherchions pour cette scénographie.
Le projet Thamos a été soutenu par le CNC à travers une aide automatique à la production d’adaptation audiovisuelle de spectacle vivant.