« Tobie Lolness », les coulisses d’une série animée « hors norme »

« Tobie Lolness », les coulisses d’une série animée « hors norme »

21 décembre 2023
Séries et TV
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Tobie Lolness
Plus de 140 personnages évoluent dans près de 7 000 décors France Télévisions, ZDF

En 2006, l’écrivain Timothée de Fombelle publie chez Gallimard les aventures de Tobie Lolness, petit bonhomme d’un millimètre et demi contraint de fuir les cimes du grand chêne pour sauver sa vie et celle de ses parents condamnés à mort. Forte de son succès, la saga fantastique a aujourd’hui le droit à son adaptation en série animée à retrouver sur la plateforme france.tv. Delphine Maury, la productrice de Tant Mieux Prod à l’origine du projet, nous parle du travail titanesque derrière ce monde miniature.


D’où est née cette envie d’adapter les deux tomes de Tobie Lolness ?

Delphine Maury : J’ai découvert cette œuvre à sa sortie en 2006/2007, alors que j’étais encore journaliste dans la presse pour enfants et que je comptais entamer une carrière de directrice d’écriture dans l’animation. J’ai tout de suite été attrapée par l’écriture et l’univers de Timothée de Fombelle. J’ai fait mon chemin dans le monde de l’animation, je suis devenue scénariste et j’ai écrit en 2008 la série Les Grandes grandes vacances. Je me suis alors rendu compte que la personne avec qui j’avais envie d’avancer sur ce projet était Timothée. J’ai demandé à le rencontrer pour qu’il travaille avec moi, et il est venu avec son regard de romancier dans mon aventure. Quelques années plus tard, en 2015, il m’a annoncé que les droits de Tobie étaient libres. Entre-temps, j’étais devenue productrice. Il m’est alors apparu évident que je devais m’emparer de cette œuvre ! Tout le monde pensait que ce n’était pas taillé pour la télévision ni pour le cinéma. Je me suis lancée dans ce projet en toute inconscience.

Comment s’est enclenché le développement de la série avec France Télévisions ?

Une relation de confiance, et en particulier avec Pierre Siracusa [directeur de l’équipe Jeunesse et Éducation de France Télévisions - ndlr], s’était déjà installée sur la production d’En sortant de l’école. Mais ce n’était qu’un format microscopique : je produisais quarante minutes par an, et d’un coup je leur proposais un programme de onze heures ! (Rires.) Comme j’avais déjà remis au goût du jour le concept de feuilleton avec Les Grandes grandes vacances, la chaîne a rapidement manifesté de l’intérêt à la suite de ma présentation de Tobie Lolness au Cartoon Forum. Dès le début du projet en 2016, j’ai reçu le soutien de France Télévisions et de la ZDF. Deux chaînes extrêmement solides qui ont accepté le format que l’on défendait, le 13 x 52 min, ce qui était très audacieux dans le monde de l’animation à ce moment-là. Finalement, on l’a aussi écrit sous forme de 26 x 26 min, car on se doutait qu’à l’international, ce format correspondrait plus aux attentes, en plus de permettre à France TV de faire durer le visionnage.

Le format feuilletonnant était donc une évidence…

J’ai toujours été intimement persuadée que les enfants sont intéressés par les récits où l’on voit les personnages évoluer. Comment on grandit, comment on change, comment on s’adapte… en voilà des questions de l’enfance ! Et pour avoir aimé Tobie Lolness, il n’était pas question de proposer un long métrage où j’aurais dû couper les ailes de huit intrigues sur dix. Le format feuilletonnant répondait parfaitement à mon ambition, même si cela s’est avéré être un casse-tête en termes de création.

Quel genre de casse-tête ?

Non seulement le format est hors norme, mais on s’est retrouvé à la tête d’une armada de personnages : il y en a plus de 140, dont 70 qui ont la parole, évoluant dans près de 7 000 décors ! En principe, dans une série, on limite tout ça. Ce qui n’a pas été notre cas. On a finalement réussi à faire sept longs métrages avec le budget d’un demi-long métrage (10,7 millions d’euros), notamment grâce aux aides de France Télévisions et de la ZDF, du CNC, et de certaines régions. Mais le processus de création a été très long : l’écriture a duré cinq ans, suivie de deux ans de production. Cette première étape a été dantesque car on a décidé d’adapter l’œuvre en la réécrivant chronologiquement, puisque le roman est un enchâssement de flash-back. On a également modifié la fin et réduit de dix à cinq ans l’étendue de l’histoire. Le but était que les plus petits ne soient pas complètement perdus. Il fallait créer une œuvre familiale dans laquelle tout le monde puisse se retrouver.

Et côté animation, quels ont été les enjeux majeurs ?

En préproduction, lors de la conception des personnages et des décors, on a dû changer la direction artistique de l’œuvre : initialement, notre ambition était de tout faire avec des décors peints à l’aquarelle par le couple d’illustrateurs Kerascoët, mais rapidement on s’est rendu compte qu’on n’allait pas pouvoir tenir la cadence. On a donc cherché des façons de créer des banques de lichens, de feuilles, de champignons, de branches, d’écorces, pour faciliter le dessin de la flore. Pareil pour les déclinaisons des personnages ou des saisons. Il fallait aussi que ça se rapproche du dessin original, donc on a choisi une animation en Toon Boom Harmony. Les personnages sont des « puppets », donc proches de l’animation en cut-out [animation de papiers découpés - ndlr]. Mais c’est tellement subtil que le rendu conserve un effet 2D. Le défi majeur a été de coordonner les équipes de trois studios différents : Caribara à Annecy, Fost à Angoulême et Waooh ! à Liège. Ce dernier a fait tous les décors, tandis que les deux autres se sont partagé l’animation et distribué les épisodes. Caribara avait aussi un « lead » sur la construction des personnages, à savoir le rigging (processus qui consiste à créer un squelette au personnage ou à l’objet pour lui permettre de se déplacer ou de se déformer - ndlr).

Comment les Kerascoët ont-ils adapté l’univers graphique de François Place, le dessinateur de Tobie Lolness, au format audiovisuel ?

Ils disent souvent qu’ils n’ont pas adapté son univers, mais qu’ils l’ont réinventé. Sébastien Cosset, qui s’est occupé des décors, dessine la nature comme il respire et a rapidement posé tout le graphisme de la série, tandis que Marie Pommepuy s’est plongée dans les personnages. Dès le début, elle nous a réunis dans une même pièce afin de nous faire deviner les personnages qu’elle avait dessinés. Lorsque l’on parvenait à les reconnaître, c’est qu’elle avait vu juste !

Pourquoi avoir fait appel à Camille-Elvis Théry et Florian Thouret à la réalisation ?

J’ai contacté Camille pour son côté « couteau suisse » : il avait été premier assistant-réalisateur, monteur… Il avait une approche très cinématographique et je savais qu’il aurait une exigence artistique qui tournerait l’œuvre vers le cinéma. Florian, lui, avait une grande expérience de la série. Leur collaboration s’est avérée parfaitement complémentaire. Ils ont tiré le projet vers le haut. Ensemble, ils ont utilisé toute l’intelligence de la mise en scène des Japonais : pour économiser de l’animation tout en gardant une identité très forte, ils ont utilisé des posings de très haute qualité. Si on regarde attentivement, les scènes sont très peu animées mais les personnages ont des poses extraordinairement parlantes, ce qui permet de réduire les mouvements.

 

Sept ans de travail impliquent forcément des imprévus, des changements en cours de route…

Effectivement. Les huit scénaristes, dont leur directrice Anne-Claire Lehembre, ont dû moderniser l’écriture de Timothée. Depuis 2006, la société a beaucoup changé et #MeToo est passé par là. Il fallait féminiser l’univers : donner des métiers aux femmes qui n’avaient que des occupations, rajouter des bûcheronnes et des chasseuses. On a continué ce travail à la réalisation car les story-boardeuses sont venues nous voir à la fin du premier épisode pour nous dire que la série ne passait pas le test de Bechdel. Elles ont notamment demandé que l’une des amitiés fille-garçon ne se termine pas en histoire d’amour, comme c’est le cas dans les romans. C’était passionnant, car elles nous ont totalement ébranlés. Pendant toute la production, on est restés poreux aux regards des jeunes gens qui travaillaient avec nous, engendrant des modifications en cours de route pour répondre à leurs revendications légitimes.

Avez-vous pour ambition de prolonger ce travail de sensibilisation écologique entamé avec la série ?

L’aspect très important dans cette production, c’est que j’ai décidé radicalement il y a six ans qu’il n’y aurait pas de produits dérivés car je voulais être cohérente avec ce que je racontais aux enfants. Plutôt que de partir sur une logique de culte de la personnalité d’un héros, on a préféré décliner ses valeurs. Autour de la série, on propose donc de planter des arbres au niveau national. On a pris contact avec l’Office national des forêts, avec l’association française d’agroforesterie, Des Enfants et des Arbres, Mini Big Forest qui conçoit des forêts urbaines, ou encore Kinomé et son programme Forest&Life. On a monté tout un programme pour qu’à la sortie de Tobie Lolness, les familles et leurs enfants puissent trouver près de chez eux comment passer à l’action grâce au site Les amis de Tobie. On essaye de nourrir une communauté autour de Tobie. C’est une œuvre qui est beaucoup étudiée à l’école, donc on a hâte de voir comment les professeurs vont s’emparer de tout ça.

Vous ciblez majoritairement les enfants ?

Pas seulement ! D’après les premiers retours, la série attire les petits jusqu’aux jeunes de 20 ans. Durant les diverses avant-premières, je me suis même rendu compte que les adultes qui venaient avec leurs enfants étaient d’anciens fans du roman. Les gamins qui avaient 12 ans lorsqu’ils ont lu Tobie Lolness sont des parents aujourd’hui. Ils nous remercient d’aborder ces sujets-là avec leurs enfants, car la série est d’une actualité brûlante. Je savais que cette œuvre était intemporelle et très puissante dans notre monde aujourd’hui : elle ne parle pas du tout d’une société idéale, mais d’une société qui est dans un virage, comme nous.

Tobie Lolness est à retrouver sur Okoo, l’offre jeunesse en ligne de France Télévisions.

 

TOBIE LOLNESS

tobie lolness
Tobie Lolness France Télévisions, ZDF

Réalisation : Camille-Elvis Théry & Florian Thouret
Scénario : Anne-Claire Lehembre, Marie de Banville, Nicolas Verpilleux, Thierry Gaudin, Matthieu Chevallier, Sasha Rheims, Frédéric Sabrou, Nathalie Dargent, d’après les livres de Timothée de Fombelle
Créationgraphique : Kerascoët
Fabrication : Caribara Annecy, Fost Angoulême, Waooh ! Liège
Musique originale : Mathieu Lamboley
Production : Tant Mieux Prod
Diffusion : France Télévisions et ZDF
Distribution : ZDF Studio

Soutiens du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (Aide sélective à la préparation ; Aide sélective à la production)