Adapter les livres pour enfants en animation, une gageure ?

Adapter les livres pour enfants en animation, une gageure ?

04 novembre 2020
Cinéma
Petit prince
Petit prince Petit prince – Mark Osborne - ON ENTERTAINMENT – ORANGE STUDIO – M6 FILMS

En cette année de la BD, rencontre avec Aton Soumache, producteur des séries animées Le Petit Nicolas et Le Petit Prince et de leurs adaptations au cinéma, qui n’hésite pas à se frotter aux grands classiques de la littérature jeunesse. Non sans difficultés.


Pourquoi adaptez-vous régulièrement des classiques pour enfants en séries ou en films d’animation ?

Enfant, j’ai été transporté par les classiques Disney qui, comme vous le savez, sont en majorité des adaptations de contes. Pour une raison assez simple : ces contes sont universels et intemporels. C’est une intarissable source d’inspiration, en particulier quand on veut faire de l’animation. En toute humilité, en me lançant dans ce métier, je me suis dit que j’aimerais porter à l’écran des œuvres qui m’avaient marqué.
 
Quel était votre credo en débutant ?

J’avais la conviction qu’il fallait travailler main dans la main avec les ayants droit. Je définis l’ADN des adaptations avec eux en prenant le temps qu’il faut. Si on n’y arrive pas, je laisse tomber.

Votre première expérience en la matière fut Le Petit Nicolas que vous avez adapté en série en 2009.

Jean-Jacques Sempé et Anne Goscinny ont été réceptifs à mon approche. Pour ce coup d’essai, on a fait simplement en adaptant en 3D les histoires universelles imaginées par Sempé et René Goscinny. On a joué à fond le côté carte postale et nostalgique : la série Le Petit Nicolas, c’est la France de toujours qu’on exporte avec ses clichés doux et joyeux à la Amélie Poulain. La singularité locale y est transcendée par l’animation qui est un langage universel. La série a notamment été un phénomène en France et en Allemagne - où Le Petit Nicolas est très populaire.

Ensuite, ça a été l’aventure du Petit Prince, d’abord la série, puis le film.

J’ai voulu commencer par le film mais les droits d’adaptation au cinéma étaient bloqués par Paramount dans de nombreux territoires. Quand j’ai appris que les héritiers français de Saint-Exupéry avaient récupéré les droits télé, je me suis associé à eux pour faire une série (qui est une variante du Petit Prince, pas vraiment une adaptation) tout en leur promettant qu’on allait se battre pour monter ensuite un film, projet qu’ils caressaient également. On a fini, après une longue procédure, par convaincre Paramount en leur cédant les droits d’exploitation du film aux Etats-Unis.

Le Petit Prince n’était-il pas dans le domaine public, vu qu’il est sorti en 1943 et que Saint-Exupéry a été porté disparu en 1944 ?

Il y a une règle spécifique qui s’applique dans trois grands pays, les Etats-Unis, la France et l’Italie : quand un artiste meurt accidentellement en temps de guerre, ce qui est le cas de Saint-Exupéry, la date de décès qui est prise en compte n’est pas celle du jour du décès mais celle qui correspond à un âge défini par les pays concernés. Pour Saint-Exupéry, il a ainsi été décrété qu’il était mort à 112 ans, en 2012...

Cela ne coûte-t-il pas trop cher des droits pareils ?

Quand un livre a une telle notoriété et s’est vendu à un nombre d’exemplaires aussi colossal, ça n’a pas de prix car il crée votre visibilité et votre marketing. Ça ne garantit pas le succès mais ça garantit que tout le monde va en parler.

Attardons-nous sur l’adaptation cinéma du Petit Prince qui est très originale. Comment adapter en trahissant, tout en conservant l’esprit du livre, le fameux ADN dont vous parliez ?

C’est le plus difficile. Pour l’adaptation au cinéma du Petit Prince, j’ai contacté des dizaines de grands cinéastes qui ont tous refusé car ils ne voyaient pas comment faire.

Le problème du Petit Prince, me disait-on, tenait à la nature même du livre sur lequel les points de vue diffèrent selon l’âge. Il y a un nombre de portes d’entrées dingues qui ont d’ailleurs généré des tonnes d’analyses alors que c’est un bouquin très court !

Or, au cinéma, grosso modo, il faut un point de vue. On a cherché, cherché jusqu’à ce qu’on rencontre Mark Osborne, le réalisateur de Kung Fu Panda. Il a eu cette idée géniale qui consistait à faire raconter Le Petit Prince par une fillette qui donnerait son point de vue dessus dans un monde où l’aviateur n’a jamais publié son livre. On avait le côté méta et poétique en même temps. Le mélange d’images de synthèse et de stop motion (pour la partie du livre en train de s’écrire) est ensuite venue très vite.
 
Deux ans plus tard, vous adaptiez Drôles de petites bêtes avec Antoon Krings...

Un autre genre de défi, qui a consisté à travailler avec le créateur en direct, très impliqué dans le film puisqu’il était coréalisateur, dessinateur et directeur artistique. Il a fallu notamment réinventer avec lui son trait pictural en 3D. Ensuite, la principale difficulté a été de transformer son univers choral, avec plein de personnages, en un récit porté par un héros. On a donc créé pour l’occasion Apollon le Grillon autour duquel gravitent les créations originales d’Antoon. Ma grande fierté, c’est qu’Antoon ait ensuite écrit un petit livre sur Apollon le Grillon !
 
On en arrive aujourd’hui au Petit Nicolas : parfum d'enfance, réalisé par Yvan Attal et Amandine Fredon (dont la sortie n’est pas encore datée, ndlr). S’agit-il d’une adaptation différente de la série, comme ça avait été le cas pour Le Petit Prince ?

Exactement. Là encore, on n’a pas choisi la facilité en décidant de rendre le trait de Sempé à l’identique en 2D traditionnel et à l’encre de Chine. Jean-Jacques était enthousiaste ! On a tout de même financé deux ans et demi de tests pour trouver la justesse du trait animé. C’était une condition sine qua non pour faire le film. Côté scénario, Anne Goscinny en personne s’est associée à Michel Fessler pour écrire une histoire très originale qui met en scène Sempé et Goscinny dans leurs propres rôles et qui raconte comment ils se sont rencontrés et ont créé Le Petit Nicolas. Ce dernier interagira avec eux. On voulait un dialogue à la Gepetto/Pinocchio dans lequel l’inventeur est interrogé par sa créature.
 
Le Petit Nicolas est essentiellement francophone. Comment le faire rayonner à l’international ?


C’est un pari à la Parasite ou à la Miyazaki : faire de notre singularité un atout. On a déjà réussi à amener en production un fonds d’investissement américain, Bac Films, Canal+, le Luxembourg et on a prévendu le film dans une vingtaine de pays. C’est très encourageant. Malheureusement, je n’ai pas encore de chaîne hertzienne. Quand on a présenté le projet aux télés, l’aspect film d’auteur les a refroidies. Elles s’attendaient à quelque chose susceptible de faire trois millions d’entrées...
 
D’autres envies d’adaptation ?

Bien sûr ! En attendant, nous sommes en train de produire, avec Benoît Pierre d’Enormous Pictures, un biopic animé de Jules Verne. Cela s’appellera La jeunesse de Jules Verne et racontera l’enfance rêvée du célèbre romancier pendant laquelle il aurait vécu les aventures qu’il a écrites adulte. Le scénario est signé Michel Hazanavicius. Ce n’est pas vraiment l’adaptation d’un livre au sens strict mais cela nous permet de revisiter toute son œuvre.