Cinémas du monde : coup de projecteur sur « La Vie, en gros »

Cinémas du monde : coup de projecteur sur « La Vie, en gros »

10 février 2025
Cinéma
« La Vie, en gros »
« La Vie, en gros » réalisé par Kristina Dufková Les Films du Préau

Mélange de stop motion et d’animation 2D, La Vie, en gros, de la cinéaste tchèque Kristina Dufková est adapté du roman autobiographique de Mikaël Ollivier. Le film qui aborde des questions comme le harcèlement scolaire et l’acceptation de soi a été produit entre la Slovaquie, la République tchèque et la France. Marc Faye, créateur de la société de production Novanima, nous plonge dans les coulisses de ce projet primé à Annecy 2024 (Prix du Jury Contrechamp).


Comment le film est-il venu jusqu’à vous ?

Marc Faye : J’en ai entendu parler en 2020. Chaque année, nous allons au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand. C’est l’occasion de présenter nos films mais aussi de repérer d’autres projets. Clermont est un endroit propice à ce travail de détection et de collaboration avec des structures qui nous ressemblent. C’est-à-dire des structures à échelle humaine, accessibles, portées par des productions déléguées indépendantes et d’initiative européenne. Lors du festival, nous avons rencontré la coproductrice Agata Novinski, qui soutenait déjà le projet de Kristina Dufková. Elle nous a présenté Matěj Chlupáček, le coproducteur tchèque. Ils connaissaient notre ligne éditoriale et appréciaient l’ambition plastique de nos films. Le projet m’a parlé tout de suite car il a des résonances avec ce qu’on aime chez Novanima, notamment des films racontés à la première personne ou adaptés d’autobiographies. Comme La Vie, en gros est tiré du livre de l’auteur français Mikaël Ollivier. Agata et Matěj cherchaient donc un coproducteur français.

Ce projet réunissait plusieurs éléments essentiels : une rencontre avec une réalisatrice talentueuse, des coproducteurs investis, et une œuvre littéraire de qualité.

Pourquoi spécifiquement français ?

Parce que le livre est français et parce qu’ils étaient en quête d’un studio capable de produire l’animation 2D. Parfois, les planètes s’alignent. L’entente a été parfaite et chacun a joué sa partition. Nous avons également envoyé des équipes spécialisées dans la stop motion pour la fabrication à Prague, et une collaboration entre la Slovaquie, la République tchèque et la France s’est mise en place au service du film. Ensuite, nous avons travaillé sur le compositing et les VFX pour compléter le travail d’animation 2D, notamment sur les effets spéciaux des parties en stop motion.

 

Comment le travail d’animation s’est-il déroulé ?

La stop motion a commencé plus tôt, la 2D est venue ensuite. Kristina aime bien monter le film au fur et à mesure, sachant que ce n’est pas du tout la même chaîne de fabrication pour la stop motion ou la 2D. En stop motion – et peut-être encore plus pour l’animation de marionnettes –, le travail ressemble beaucoup à un tournage en prises de vues réelles. Une fois le décor installé et les marionnettes en place, on peut facilement changer d’axe de caméra et s’adapter. Cela correspond parfaitement à la philosophie de tournage de Kristina, qui aime mettre à l’épreuve ses intuitions jour après jour et verrouiller sa mise en scène directement sur le plateau. C’est donc très différent de l’animation traditionnelle, qui repose davantage sur l’anticipation : d’abord le story-board, puis l’animatique. Une fois cette étape validée, on peut lancer le travail de layout posing, d’animation, de clean, de mise en couleurs, puis de compositing. Chaque phase est bien définie et nécessite une grande préparation en amont. Kristina pouvait facilement passer d’une typologie de fabrication à une autre.

Quel type de relation aviez-vous avec la réalisatrice et les autres coproducteurs ?

Kristina est très à l’écoute et disponible. Elle sait accueillir les propositions, tout en étant exigeante et en sachant ce qu’elle veut. Matěj Chlupáček, le coproducteur tchèque, est très talentueux – je dirais même qu’il est surdoué – et Agata Novinski, la coproductrice slovaque, même si elle est encore novice dans le métier, a réalisé un travail remarquable. Chacun à notre niveau, nous avions l’impression de participer à une aventure, tout en gardant la fraîcheur de ceux qui débutent.

Il s’agit de votre premier long métrage d’animation en tant que coproducteur…

Oui ! Nous avons une expérience de dix-neuf ans avec environ 80 films à notre actif, entre courts métrages et documentaires. Nous avons aussi coproduit des miniséries pour la télévision, mais notre cœur d’activité reste le court métrage d’animation 2D avec des ambitions plastiques. On se voit un peu comme un laboratoire où l’on peut expérimenter de nouvelles techniques. Et il se trouve que nous avions l’envie de nous essayer à des formats plus longs, mais en restant motivés par des coups de cœur, des projets qui ont une profondeur d’âme et qui donnent du sens à ce que l’on fait. En l’occurrence, La Vie, en gros aborde des thèmes forts, comme le harcèlement scolaire et la grossophobie ou l’acceptation de soi. Des sujets qui me touchent particulièrement en tant que parent. Ce projet réunissait plusieurs éléments essentiels : une rencontre avec une réalisatrice talentueuse, des coproducteurs investis, et une œuvre littéraire de qualité. Nous savions que nous allions consacrer plusieurs années à ce film, et cela faisait pleinement sens pour nous.

Kristina [Dufková] aime mettre à l’épreuve ses intuitions jour après jour et verrouiller sa mise en scène directement sur le plateau. C’est donc très différent de l’animation traditionnelle, qui repose davantage sur l’anticipation.

Vous êtes-vous souvent rendu en République tchèque durant la production ?

Assez peu, car nous avons très vite appris à travailler à distance, la production ayant commencé durant la période du Covid-19. Nous tenions des réunions régulières en visioconférences, et la confiance était totale entre nous. Comme tout se passait bien, nous n’avons pas eu à changer de mode opératoire par la suite.

Quelles ont été les étapes de financement du film ?

La France offre un cadre très propice au financement des films. Le CNC, qui est un peu notre vaisseau amiral, a été précieux avec l’Aide sélective aux effets visuels numériques, puis l’Aide aux cinémas du monde après réalisation. Nous avons également été soutenus par des partenaires en région, notamment la Nouvelle-Aquitaine, qui nous a suivis sur la phase de développement et de production. Ce sont des interlocuteurs qui ont l’ouverture d’esprit d’aider des auteurs qui ne sont pas forcément du territoire, mais qui ont des projets soutenus par des producteurs délégués français. Nous avons également été aidés par Eurimages, le fonds culturel du Conseil de l’Europe. Et ce qui a beaucoup plu au jury, c’est que nous soyons de jeunes sociétés émergentes qui soutiennent un film en stop motion. Ce qui n’est pas rien, car il y en a finalement très peu. Je ne voudrais pas oublier de citer la chance que nous avons d’avoir des salons et des rencontres professionnelles, comme le Cartoon Movie à Bordeaux. Un endroit précieux pour découvrir de nouveaux projets et à travers un pitch, réunir très rapidement un tour de table pour le financement d’un film. En l’occurrence, nous avons trouvé notre vendeur international et notre distributeur là-bas.

Avant sa sortie, le film a déjà eu une belle réception en festival…

Oui, 4 000 personnes l’ont déjà vu lors de projections en avant-premières. C’est un film de garde, qui sera amené à s’inscrire dans la durée. Sa période d’exposition sera peut-être moins importante que celle d’autres films, mais elle pourra s’étaler sur un temps plus long, notamment à travers les projections dédiées au jeune public. Les thématiques de La Vie, en gros en font aussi un débat de société : le harcèlement est malheureusement encore très présent au collège, tout comme la grossophobie. J’espère que ce sont autant de relais possibles pour utiliser le film comme support de débat et de discussions sur ces sujets-là.
 

LA VIE, EN GROS

Affiche de « LA VIE, EN GROS  »
La Vie, en gros Les Films du Préau

Réalisation : Kristina Dufková
Scénario : Kristina Dufková, Petr Jarchovský
Production France : Novanima
Distribution France : Les Films du Préau
Ventes internationales : Gebeka International
Sortie le 12 février 2025

Soutiens sélectifs du CNC : Aide sélective aux effets visuels numériques, Aide aux cinémas du monde après réalisation