Aïssa Maïga : « Avec Marcher sur l’eau, je voulais éviter l’écueil du misérabilisme »

Aïssa Maïga : « Avec Marcher sur l’eau, je voulais éviter l’écueil du misérabilisme »

10 novembre 2021
Cinéma
"Marcher sur l'eau" d'Aïssa Maïga explore les conséquences du réchauffement climatique au Niger. Les Films du Losange
Avec son premier documentaire cinéma, Aïssa Maïga explore les dommages collatéraux du réchauffement climatique dans un village du Niger, durement impacté par le manque d’eau. Elle raconte au CNC comment elle a construit son film avec l’idée, au-delà du constat, d’apporter des solutions concrètes.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de parler du réchauffement climatique et de ses tragiques dommages collatéraux en Afrique ?

Je ne me suis jamais prononcée publiquement sur le sujet du climat, car je considère n’avoir aucune expertise particulière. L’idée de Marcher sur l’eau et sa mise en route se sont faites sans moi. On le doit à Guy Lagache, tout comme les premiers repérages et la rencontre avec l’ONG Amman Imman qui va jouer un rôle essentiel dans cette aventure. Mais Guy Lagache a dû quitter le projet et son producteur Yves Darondeau m’a alors contactée.

Qu’est-ce qui vous a poussée à accepter sa proposition ?

J’étais plutôt encline à refuser, d’autant que je m’apprêtais à réaliser Regard noir pour Canal+ avec Isabelle Simeoni, un documentaire sur la représentation des femmes noires à l’écran. Mais je n’ai pas réussi à dire non ! (Rires.) Il y avait dans cette proposition l’opportunité de me saisir d’un sujet qui touche la région du Sahel – où je suis née, où j’ai de la famille, où j’ai passé beaucoup de temps marquant, notamment par le contraste avec ce que je vivais en France – et d’incarner à travers un film ce que veut dire la diaspora africaine. Tout cela a pris le dessus sur mes hésitations.

Comment avez-vous construit la colonne vertébrale de ce documentaire ?

D’abord par de longs entretiens avec Ariane Kirtley qui est à la tête de l’ONG Amman Imman. Avec elle, j’ai pris conscience de l’impact concret des changements climatiques dans ce lieu aux portes du désert : les bouleversements de paradigmes chez les éleveurs qui y vivent en famille ou en clan, en transhumance. Il y a peu de temps encore, la saison des pluies durait trois à quatre mois et les mares restaient remplies suffisamment longtemps pour offrir à boire aux humains et aux animaux et permettre à des pâturages d’exister. Aujourd’hui, la saison des pluies s’est raccourcie, les mares s’assèchent très vite et le manque d’eau est chronique. Ces échanges avec Ariane, et des recherches personnelles, m’ont permis de trouver la manière dont j’allais aborder le sujet : par une dimension sensible, liée à mes origines et au lien que j’entretiens avec l’idée du manque. Le manque de cette partie de ma famille qui vit loin de moi au Mali, à laquelle je pense tout le temps et que je vois peu. Le manque du père que j’ai perdu très jeune. Ma sensibilité allait me permettre de regarder les habitants de ce village de près, sans commentaire. D’être avec eux, mais de laisser le spectateur faire son chemin…

 

Vous avez posé votre caméra à Tatiste, un petit village du Niger. Comment l’avez-vous choisi ?

J’avais carte blanche pour aller où je voulais en Afrique de l’Ouest. Mais je me suis appuyée sur le travail de repérages effectué par Guy Lagache qui s’était concentré sur deux villages, l’un au Togo et l’autre au Niger. Le Niger m’a tout de suite parlé car le nord du Mali d’où je viens est très proche de ce pays. Il s’agissait en outre d’un village peul… et ma grand-mère était peule ! Ce village recelait des personnalités féminines très fortes. J’ai d’abord appris à connaître Tatiste par des photos, des récits… Et mon projet s’est précisé : avec Marcher sur l’eau, j’allais raconter la vie de ce village, des personnes qui y vivent et montrer comment, à cause du changement climatique, des enfants se retrouvent avec des responsabilités d’adultes en l’absence de leurs parents, partis pour subvenir aux besoins de leur famille.

Je ne voulais pas faire un film d’experte. Je n’ai aucune leçon à délivrer sur la question du réchauffement climatique. Ce qui m’intéresse, ce sont les conséquences de cette pollution causée par les pays industrialisés sur des individus qui doivent se battre pour survivre.

Qu’est-ce qui vous a frappée lors de votre premier voyage sur place ?

L’accueil incroyable qu’on a reçu… et que l’on doit au travail de Guy Lagache qui avait laissé une empreinte magnifique sur place au fil de ses repérages. Les habitants de Tatiste étaient déjà sensibilisés à l’idée du film et au potentiel puits de forage qui pourrait être installé dans le village grâce à nos efforts conjugués. Alors que je n’envisageais pas de tourner mais simplement de rencontrer les gens, ils m’ont incitée à sortir la caméra sans attendre. Deux heures après notre arrivée ! Puis le tournage s’est étalé sur un an, au rythme d’un voyage tous les deux ou trois mois. Car le synopsis que j’avais écrit avec Ariane débutait à la rentrée des classes puis reposait sur le passage des saisons avec comme point d’horizon ce forage, permis par l’action de l’ONG, qui allait apporter l’eau tant convoitée au centre du village et offrir à tous une vie meilleure.

L’idée d’une issue heureuse à une situation critique – et pas seulement l’exploration des conséquences du manque d’eau – a toujours été présente dans votre esprit ?

Oui, elle était là depuis le départ. Nous voulions montrer une réalité sociale, économique et environnementale, mais aussi le fait qu’il est possible d’avoir un impact positif en se mobilisant. C’est pour cela qu’on a travaillé avec Amman Imman, en charge du forage, et qu’on a participé, avec les producteurs, à la recherche de financement.

Cette idée d’une conclusion pleine d’espoir se retrouve aussi dans la forme de votre documentaire qui met en valeur la beauté renversante des paysages. Pourquoi ce parti pris ?

Dès nos premières discussions, j’ai expliqué à mon producteur que je voulais faire du cinéma. Tourner en Cinémascope, car ce format allait me permettre de saisir les paysages spectaculaires autour du village, de perdre les corps dans l’immensité tout en étant au plus près des visages. Avec Marcher sur l’eau, je voulais à tout prix éviter l’écueil du misérabilisme. Pour restituer la manière dont, dans ce village si impacté par la crise écologique, les habitants ne cessent jamais de prendre soin d’eux, de leur apparence physique, de leur coiffure, de leur posture. J’ai essayé de filmer leur dignité dans le dénuement.

MARCHER SUR L’EAU

Réalisation : Aïssa Maïga
Scénario : Aïssa Maïga et Ariane Kirtley sur une idée de Guy Lagache
Photographie : Rousslan Dion
Montage : Isabelle Devinck et Linda Attab
Musique : Uèle Lamore
Production : Bonne Pioche, Echo Studio, Panache Productions, La Compagnie cinématographique, France 3, Orange Studios
Distribution : Les Films du Losange