Alexandre Moix : « Mon film ressemble à celui qu’était Patrick Dewaere : un puzzle »

Alexandre Moix : « Mon film ressemble à celui qu’était Patrick Dewaere : un puzzle »

15 juillet 2022
Cinéma
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Patrick Dewaere mon héros
« Patrick Dewaere, mon héros » d'Alexandre Moix. Bleu Kobalt/Zoom Production

Voilà pile quarante ans, le 16 juillet 1982, Patrick Dewaere se donnait la mort, à seulement 35 ans. Alexandre Moix lui a rendu hommage avec Patrick Dewaere, mon héros, un documentaire raconté à la première personne par sa fille Lola. Le film a été découvert sur la Croisette en mai dernier, dans la section Cannes Classics. Le cinéaste nous raconte les coulisses de sa création.


Quelle fut votre première rencontre de spectateur avec Patrick Dewaere ?

J’avais 17 ans et j’ai regardé Coup de tête de Jean-Jacques Annaud en cassette vidéo chez mes parents. J’avais vu d’autres extraits de films de lui, bien sûr, je savais aussi qu’il s’était foutu en l’air quand j’avais 10 ans. Mais quand je découvre Coup de tête, je ressens un vrai choc. Je découvre un acteur… qui ne joue pas. Un acteur qui met ses tripes sur la table. Il y a chez Dewaere à la fois de la tendresse, de la sauvagerie et une manière hyper moderne de jouer à la limite de l’improvisation alors qu’il n’improvisait jamais. Je suis fasciné par lui car il parle à mon adolescence. Et je pense qu’il parlera à la jeunesse de manière éternelle. Pour moi, Coup de tête est un documentaire sur Dewaere. Ce film m’a donné envie de creuser l’homme derrière l’acteur pour en savoir plus sur les failles que j’ai immédiatement ressenties chez lui.

« Une lettre d’une fille à son père »

En 2003, vous lui aviez déjà consacré un premier documentaire, Patrick Dewaere, l’enfant du siècle. Qu’est-ce qui vous a donné envie de tourner un deuxième film sur lui ?

La frustration de ne pas avoir pu tout dire à l’époque. Car sa mère, Mado Maurin, avait établi une sorte de forteresse autour des secrets de sa famille, menaçant de procès quiconque s’en approcherait. Vingt ans ont passé. Les choses ont changé. Mais surtout, j’ai eu la chance et le bonheur de rencontrer Lola (Dewaere) au moment de ce premier documentaire. Nous sommes devenus très vite amis. Et cette amitié dure depuis vingt ans. Je savais qu’elle me ferait confiance.

Dans Patrick Dewaere, mon héros, vous prenez le parti de raconter l’acteur et l’homme qu’il était par le prisme de son enfance. Pourquoi ce choix ?

Pour moi, on ne peut pas comprendre Patrick Dewaere si on n’a pas les clés de son enfance. Ce film, c’est comme retrouver son « Rosebud » [référence à Citizen Kane, ndlr]. Il fallait montrer que sa vie fut un goulot d’étranglement où tout l’a mené à se foutre en l’air. On peut même être surpris qu’il ne l’ait pas fait plus tôt. Mais avec cette approche, j’avais surtout envie que Lola puisse enfin s’approprier son père, car il était en quelque sorte « réservé » à un cercle intime dont elle était quelque peu exclue. À mes yeux, Lola n’avait jamais eu l’occasion d’être la fille de son père. En tant qu’ami, j’avais ce désir de lui offrir cette opportunité, à condition évidemment qu’elle en ait elle-même envie. Je lui ai proposé l’idée en lui expliquant qu’en abordant l’enfance de son père, j’allais toucher à quelque chose de très intime et que je voulais que ce film soit aussi une lettre d’amour à ce père qu’elle n’a pas connu. Elle a des dizaines de sollicitations par an pour faire un film autour de son père et elle a toujours refusé. Mais là, elle a accepté. J’ai donc écrit le documentaire en le construisant à la manière d’une lettre d’une fille à son père.

Comment toucher à l’intime sans basculer dans le voyeurisme ?

Je crois que cela passe beaucoup par le choix des archives. Je pense à celle où l’on voit tous les fils Maurin [Patrick Dewaere et ses frères étaient des enfants acteurs, surnommés les « petits Maurin », dans les années 50-60, ndlr] défiler un à un devant la caméra pour se présenter et expliquer qu’ils ont commencé à jouer à l’âge de 5 ans et où on entend juste derrière Mado Maurin dire qu’elle n’est pas un bourreau… Tout y est dit de manière subliminale. Pas besoin d’en rajouter. Ce fut mon leitmotiv tout au long du film.

Comment avez-vous fait pour retrouver des archives inédites de Dewaere, après votre premier documentaire et celui que lui avait consacré Marc Esposito en 1992, qui étaient déjà particulièrement riches en images ?

Ce type de documentaire, c’est à chaque fois une chasse au trésor ! En 2003, je me souviens avoir retrouvé cette archive québécoise inédite d’une interview tournée trois jours avant sa mort, chez lui. Pour Patrick Dewaere, mon héros, j’ai relu tous les articles qui lui ont été consacrés dans Première et Ciné Revue sous les plumes respectives de Marc Esposito et de Bernard Alès. Car ce sont pour moi les plus belles interviews de Dewaere publiées dans la presse. Je les ai appelés et leur ai demandé s’ils avaient gardé les enregistrements audio. Ils ont retrouvé ces K7 et me les ont envoyées. Je me suis donc retrouvé en possession d’un nombre incroyable d’heures de off où Dewaere parle de lui-même, de son enfance, de sa mère. Où il se livre en toute confiance car il avait un lien particulier avec ces deux journalistes. Ces confidences n’ont pas été arrachées, mais recueillies par deux hommes qui aimaient Dewaere, l’artiste comme l’homme. Je pense notamment à ce moment où il dit qu’il espère bien vivre et s’en mettre plein la tête pour pouvoir mourir vite. Ce qui me frappe quand j’écoute ces heures d’entretien, c’est qu’il ne cesse jamais de parler de sa mère. Pour rebondir sur votre question précédente, je vais en effet dans l’intime mais en laissant Patrick Dewaere parler, en lui donnant en quelque sorte les commandes, en le laissant fixer les limites.

« Un cadeau inestimable »

Lola Dewaere vous a aussi confié des archives inédites ?

Le jour où on est allé tourner chez elle, elle m’a dit qu’elle m’avait réservé une surprise. Là, elle a sorti une énorme boîte. Elle m’a alors expliqué avoir reçu quinze ans plus tôt le coup de fil d’un huissier lui indiquant qu’il s’occupait de la vente des affaires de son père et que, bien qu’il ne soit pas autorisé à le faire, il avait mis de côté un carton rempli de photos d’elle et divers autres documents. Lola avait reçu cette boîte mais ne l’avait jamais ouverte. Elle l’a fait pour le film et au début du documentaire, on la voit fouiller et découvrir son contenu : des photos d’elle bébé, des partitions de musique, des disques, des lettres… Elle m’a vraiment offert un cadeau inestimable.

Tout comme celui de lire une lettre à son père, qui constitue la colonne vertébrale de votre film. Comment s’est déroulé cet enregistrement ?

Lola m’a tout de suite dit qu’elle ne voulait pas écrire elle-même cette lettre. La connaissant par cœur, je m’y suis employé avec en tête sa manière de penser, son phrasé… J’ai essayé de me mettre dans sa peau et elle a accroché. Mais je pense que ça n’aurait pas pu être possible il y a quatre ou cinq ans. Aujourd’hui, Lola est une actrice reconnue grâce à Mince alors ! ou la série Astrid et Raphaëlle. Elle ne surfe pas sur le nom de son père et est donc prête à faire ce type de documentaire. Avant, ça aurait pu fragiliser son propre parcours de comédienne, en l’enfermant dans un côté « fille de ». Avant l’enregistrement de sa voix, Lola n’a pas voulu voir le film en l’état. Elle est arrivée au studio, l’a regardé avec la voix témoin qui lisait sa lettre et elle a tout enregistré en une seule journée ! Lola a une force incroyable. Cette journée restera pour moi inoubliable.

Blier, Annaud, Fossey… intégrer les proches de Dewaere 

Patrick Dewaere, mon héros est aussi parsemé de témoignages de personnalités du cinéma qui l’ont bien connu. Comment les avez-vous choisies ?

Dans la première version qui était censée durer 52 minutes, il ne devait pas y avoir d’intervenant. Mais quand les gens de France Télévisions ont lu le scénario que j’avais écrit, ils m’ont suggéré d’en faire un 90 minutes. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie d’intégrer les proches de Dewaere, d’aller en profondeur avec cette garde rapprochée et ne pas me contenter d’anecdotes. Il y a notamment Bertrand Blier, l’incontournable, Jean-Jacques Annaud, qui était très ami avec Patrick, mais aussi Brigitte Fossey qui l’a connu à trois périodes différentes de sa vie. Le Dewaere enfant car ils avaient le même âge. Le Dewaere des Valseuses – dans lequel elle a aussi joué – qui correspond aux années les plus heureuses de son existence, et le Dewaere du Mauvais Fils, la période la plus terrible de sa vie. 

En quoi votre documentaire s’est modifié au montage ?

Ce film est si écrit qu’on ne le modifie vraiment qu’à la marge au montage. Le travail se concentre surtout sur les interviews. Prendre garde qu’elles ne viennent pas asphyxier le film, mais apportent une relance ou un complément à ce qui est raconté par la voix off. Lola me disait toujours que son père était un puzzle. Et finalement, c’est ainsi que je vois ce documentaire à travers lequel Lola construit son père tout en construisant elle-même. 

Qu’avez-vous ressenti en présentant le film à Cannes ?

Une fierté que le film soit reconnu. J’ai eu le sentiment, à travers le documentaire, de faire monter les marches à Patrick Dewaere ce soir-là, lui qui avait tant rêvé de remporter un prix d’interprétation en 1979 pour Série noire d’Alain Corneau. Une récompense qui aurait pu changer toute sa carrière, alors qu’il n’a jamais remporté le moindre César en six nominations. J’ai été particulièrement heureux de voir tous les jeunes présents à cette projection, d’échanger avec certains d’entre eux dans la foulée et de m’apercevoir – alors que certains le connaissaient peu ou mal – à quel point il leur parlait. En cela, j’avais le sentiment d’avoir accompli ma mission. Et quand Lola me dit aujourd’hui : « Grâce à ton film, je vais enfin pouvoir dire “papa” », vous imaginez ce que ça représente pour moi.

PATRICK DEWAERE, MON HÉROS

Réalisation : Alexandre Moix
Montage : Morgan Le Pivert
Musique : Vadim Sher
Production : Bleu Kobalt, Zoom Production
Diffusion : France Télévisions