Comment et pourquoi avez-vous décidé de privilégier l’option d’un festival en ligne, plutôt qu’une annulation pure et simple ?
Mickaël Marin : Il faut se souvenir qu’au début du confinement, on ne savait pas combien de temps exactement la situation allait durer. En mars, le mois de juin paraissait encore loin… On a suivi la situation de très près, d’un point de vue international, puisqu’à Annecy, il y a près de cent pays représentés. Parallèlement, fin mars, Séries Mania a été l’un des tous premiers festivals à être annulé. Nous ne souhaitions pas trop faire durer le suspense : c’était d’abord problématique pour l’équipe, qui avait besoin de visibilité, puis pour nos partenaires et prestataires locaux. Nous avons élaboré plusieurs scénarios : maintien en juin, report en juillet, report en septembre ou annulation. Finalement, juillet, c’était trop tôt. Septembre posait problème car c’est un mois particulièrement embouteillé du point de vue des manifestations, entre le Cartoon Forum, Venise, Toronto, puis le Mipcom, début octobre. Ça obligeait les professionnels à faire des choix, ce qui n’était pas souhaitable dans un contexte de solidarité. L’annulation physique était donc la seule issue. Mais les professionnels du monde entier nous ayant témoigné leur soutien, nous ayant dit spontanément qu’ils seraient prêts à participer à une manifestation en ligne, nous avons, en même temps que l’annulation physique, annoncé une édition en ligne. L’équipe était motivée et le conseil d’administration était d’accord. Ça a permis de vite passer outre la déception pour se mobiliser et fédérer. L’annulation physique a été un choc et une déception pour toute la communauté mais, paradoxalement, j’ai l’impression que nous n’avons jamais été aussi forts. Ça a resserré des liens. On a le sentiment de jouer notre rôle, pour l’industrie et pour les artistes.
Vous aviez des « modèles », des références de festivals en ligne ?
Pas énormément. J’ai beaucoup échangé avec Laurence Herszberg, de Séries Mania, et je suis allé voir ce qu’ils ont fait. Certaines choses vont se recouper, mais chaque événement a ses particularités. D’une certaine manière, ça oblige à tout reprendre de zéro. A Annecy, on va insister sur la partie festival (avec des compétitions, des programmes spéciaux, des leçons de cinéma, des présentations de longs métrages en cours de production…) mais aussi sur l’aspect marché, via les nombreux dispositifs que les professionnels connaissent.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
Les deux grandes questions auxquelles on a été confrontés furent : quel contenu et quelle technologie ? Pour le contenu, côté compétition, il fallait que le délégué artistique et son équipe rediscutent et renégocient film par film, pour savoir sur lesquels on pouvait encore compter. La bonne surprise, c’est qu’on a « perdu » très peu de films. La compétition que vont découvrir les festivaliers est disons à 98% celle que l’on aurait proposée physiquement. Certains longs métrages seront visibles en intégralité, d’autres uniquement quelques minutes. L’échange très constructif qu’on a eu avec les différents ayants droit tournait autour de la question suivante : comment accompagner les films ? Comment leur permettre ensuite de poursuivre leur carrière dans d’autres festivals, sur grand écran, puis d’être achetés, distribués, etc ? Nous recherchions le bon équilibre, afin de faire en sorte que le festival joue son rôle d’accélérateur. On sait l’effet que peut avoir un prix à Annecy sur la vie d’un film. C’est dans le dialogue qu’on a trouvé la bonne voie pour valoriser les films, pour que la presse et les professionnels en parlent, que les talents soient révélés, et que, dès la rentrée on l’espère, ils puissent continuer dans d’autres festivals et dans les salles.
Et la technologie, donc ?
Il s’agissait de trouver la bonne technologie pour la plateforme vidéo. On avait par ailleurs déjà une vidéothèque en ligne, ainsi qu’un réseau qui permettait aux professionnels d’échanger. Nous l’avons amélioré. Il fallait faire en sorte que tout fonctionne dans un temps record et que l’expérience soit la meilleure possible pour les participants.
Comment faire vivre un jury à distance ?
Ils délibèreront en ligne par visioconférence. Ce qui va manquer, bien sûr, c’est l’interaction physique. Mais ils vont faire leur travail, et le prix qu’ils décerneront aura la même valeur que d’habitude.
Certains films ou événements prévus cette année sont-ils reportés à 2021 ?
Oui, certains membres du jury, qui tenaient à être là physiquement, viendront plus tard. Le premier invité qu’on avait annoncé cette année était Wes Anderson. Je ne sais pas encore quelle année il viendra, mais il fait évidemment partie des gens que l’on réinvitera et qui nous feront, je l’espère, l’honneur de leur présence. On devait également fêter cette année les 60 ans du festival. Nous le ferons en 2021. Et on devait mettre à l’honneur l’animation africaine, dans le cadre de la saison Africa de l’Institut français. La saison a été décalée, et la délégation africaine sera donc à l’honneur l’année prochaine.