Autour de Minuit fête ses 20 ans

Autour de Minuit fête ses 20 ans

19 mars 2021
Cinéma
Les Ombres © Autour de Minuit - Panique.jpg
Les Ombres Autour de Minuit - Panique
Rencontre avec Nicolas Schmerkin, créateur en 2001 de cette société de production qui a développé plus de 80 films pour le cinéma et la télé et a été récompensée par plus de 500 prix dont un Oscar pour Logorama et le tout récent prix Eurimages au Cartoon Movie 2021 pour l’un de ses longs métrages à venir, Les Ombres.

Comment est née votre envie de produire des films ?

Au départ de tout, il y a forcément la passion pour le cinéma qui m’a d’abord conduit à créer en 1998 la revue Repérages ou à faire des présentations dans des festivals consacrés aux nouvelles images comme Némo. Puis il y a des rencontres. En particulier celle que je fais au Festival de Cannes en 1999 avec le producteur Philippe Bober (Coproduction Office) qui travaille alors avec Ulrich Seidl, Takashi Miike, Jessica Hausner… Il est en train de produire Chansons du deuxième étage de Roy Andersson et me demande si ça m’intéresserait de suivre la dernière année de tournage. J’ai bien évidemment accepté et peu à peu nous nous sommes rapprochés. Jusqu’à ce qu’un jour, il me propose d’ouvrir un département courts métrages dans l’idée d’un laboratoire pour des cinéastes qu’on amènerait au long, mais aussi de travailler ensemble à la programmation du festival de Sarajevo. J’ai énormément appris à ses côtés jusqu’en 2004, sur la production, la distribution, la vente à l’étranger… J’ai même participé au montage de Japón et de Bataille dans le ciel de Carlos Reygadas. J’ai donc pu acquérir une vision assez transversale du métier.

Comment s’est créé Autour de Minuit ?

Je suis resté quatre ans chez Philippe et, en parallèle, j’ai monté Autour de Minuit. Il s’agissait au départ de faire des bandes-annonces, des bonus DVD et des sujets pour le magazine Court-circuit sur Arte. Puis, en 2003, je me retrouve à coproduire Fast Film, le court métrage de l’Autrichien Virgil Widrich. Un hommage au cinéma, aussi fascinant qu’expérimental, où les plus célèbres stars masculines de Hollywood (qui changent à chaque plan) se lancent à la poursuite des plus célèbres stars féminines dans un train en papier conduit par les méchants les plus célèbres du cinéma américain. Une succession d’extraits tous projetés sur des origamis.

L’année suivante, en 2004, vous produisez votre premier film en solo, Obras d’Hendrick Dusollier. Qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer avec lui ?

Tout part d’une soirée où je rencontre Hendrick, à l’anniversaire d’un ami commun. Il me demande si je sais comment il pourrait trouver 5 000 euros pour s’acheter un ordinateur. Et là, il m’explique son idée de court métrage qui parle des mutations urbaines à Barcelone où il a fait son Erasmus. Je lui dis de passer me voir le lendemain. Il me montre des photos, ça me fascine et c’est donc ce court métrage qui va devenir la première production d’Autour de Minuit, en nous appuyant sur la démocratisation des outils qui étaient jusque-là l’apanage des grosses boîtes de production. Est-ce la chance du débutant ? En tout cas, on a eu toutes les aides qu’on demandait : Arte, CNC, région Île-de-France, juste sur une note d’intention, les images d’Hendrick et un test de 45 secondes…

Obras est un plan-séquence de dix minutes mêlant animation et archives. Et on s’est lancé sans scénario, ni story-board, ni animatique ! Le film, sans dialogue ni voix off, s’est donc entièrement créé pendant la fabrication.

Tout ce qu’il ne faut a priori pas faire ! Tout cela aurait pu être un véritable massacre mais on est arrivé au bout. Obras a connu un gros succès en festival et s’est même retrouvé nommé aux César. Ce qui fut une énorme surprise pour nous tant il s’agit vraiment d’un prototype. Ça nous a encouragés à aller encore plus loin dans l’underground.

Vous vous spécialisez alors dans l’animation. C’était votre intention première ?

Absolument pas. Ce sont les projets qui m’y ont amené car nous sommes arrivés à un moment où les nouvelles images se développaient. D’ailleurs, on ne va pas travailler avec des élèves sortant d’écoles de cinéma mais avec des réalisateurs venus de la pub et du clip, des diplômés des Beaux-Arts, des autodidactes… Ils ont une approche très visuelle et mon travail de producteur consiste à injecter du cinéma. Dès lors, on va développer quatre ou cinq films par an.

Parmi ces films, il y a Logorama de François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain qui sera couronné par un Oscar en 2010. Quand et comment ce projet est-il né ?

C’est fin 2004 que le collectif H5, dont j’avais programmé une rétrospective au festival Némo, vient pour la première fois me parler de son projet. Ils me montrent le story-board et je dis immédiatement banco. Leur travail est passionnant car ils développent d’abord une histoire avec des vrais personnages qu’ils remplacent au fur et à mesure de la création par des logos avec l’idée que, si aucun logo ne convient, le personnage disparaît.

On décide très vite de ne prévenir aucune marque. Notre premier avocat nous dit que c’est impossible. Donc on change d’avocat et le deuxième nous assure que ça passera. Au final, personne ne nous a fait de procès. Sans doute grâce à la qualité du film mais aussi parce qu’on a été protégé par son parcours, de Cannes aux Oscars.

Logorama a changé la donne pour Autour de Minuit ?

Pas dans le petit monde du court d’animation où on est déjà bien installé. Mais dans notre rapport aux chaînes, indéniablement. D’ailleurs le lendemain des Oscars, je suis à Canal+ pour un rendez-vous prévu de longue date afin de parler d’une série, Babioles. Et on m’emmène voir le boss Bertrand Méheut [qui a présidé Canal+ de 2003 à 2015, NDLR]. Je ne pense évidemment pas que Canal a signé le jour même la série à cause de l’Oscar, mais cela a forcément joué en notre faveur. Et cette aura perdure encore aujourd’hui…

Après les courts métrages, la série télé ou des unitaires comme Panique au village : La Bûche de Noël et Jean-Michel, le caribou des bois, vous avez commencé à penser au long métrage…

Oui, dès la fin des années 2000 où l’on commence à développer des projets difficiles qui ne vont, hélas, pas voir le jour. Tout d’abord Alpha, une adaptation d’un roman graphique extraordinaire – du Big Bang à l’apparition de l’homme sur terre – sur laquelle on sentait l’intérêt de nos interlocuteurs mais où personne n’a voulu investir dans le budget important qu’elle nécessitait. Et puis il y a un projet qui nous tenait énormément à cœur avec le réalisateur néerlandais Rosto. On avait produit en 2011 son court Le Monstre de Nix, avec les voix de Terry Gilliam et Tom Waits. Comme le studio avec lequel on devait travailler nous a plantés, cela nous avait obligés à devenir aussi un studio (qui n’est pas uniquement lié à Autour de Minuit mais travaille aujourd’hui pour d’autres productions avec un bureau à Paris et un autre à Angoulême). Pendant plusieurs années, on a travaillé avec Rosto sur un long, l’adaptation de son roman graphique Mind My Gap. Le scénario était dément. Mais il est mort juste avant que tout cela ne prenne forme. Le deuil a été difficile à faire tant Rosto était devenu un grand ami. En hommage, on a sorti en salles le 4 mars 2020 Thee Wreckers Tetralogy et on va accompagner un spin-off du Monde de Nix avec sa veuve Suzie Templeton (Pierre et le Loup).

 

Votre premier long métrage a finalement été une coproduction avec l’Espagne, Psiconautas d’Alberto Vázquez, en 2017…

On avait produit en 2016 un court d’Alberto Vázquez, Decorado. Et il nous a demandé de l’aider à terminer la production de ce premier long où ses producteurs étaient un peu exsangues financièrement au moment de s’attaquer au travail sur le son. On en a donc assuré la production associée mais on sera producteur délégué sur Unicorn Wars, son nouveau film sur la guerre ancestrale entre les oursons et les licornes qui commence comme Full Metal Jacket et se termine comme Apocalypse Now !

En parallèle, vous venez de remporter le prix Eurimages au Cartoon Movie 2021 avec Les Ombres, l’adaptation par Vincent Zabus et Hippolyte de leur bande dessinée, coproduite par les Belges de Panique ! L’histoire de deux enfants qui, fuyant leur village, partent comme leur père, à la recherche d’un monde meilleur…

Oui, on a vécu un très beau Cartoon Movie où on a présenté deux projets de longs : The Midnight King, une comédie musicale animée pour enfants sur des chansons originales de Patrick Watson, coproduite avec le Canada, et Les Ombres qui nous a valu ce prix.

L’aventure des Ombres est née d’un ami qui m’a conseillé un jour au festival de Clermont-Ferrand d’aller acheter le roman graphique de Vincent Zabus et Hippolyte. J’ai été tout de suite happé et j’ai eu envie d’en faire un film pour parler de ce sujet essentiel des migrants, mais à hauteur d’enfants.

J’ai proposé à Nadia Micault – dont nous avions produit les courts Sonata et Naïade – de le réaliser. Les Ombres a été inspiré par des récits de migrants et a aussi donné lieu à une pièce de théâtre en Belgique. On espère qu’il sera terminé pour 2024. Avec l’idée d’un graphisme sans doute plus « enfantin » que la BD mais sans faire l’impasse sur les scènes difficiles. Ce sujet me tient particulièrement à cœur puisque je suis moi-même fils de réfugiés politiques argentins, arrivé en France à l’âge de 4 ans.

Quel regard portez-vous, au moment de cet anniversaire, sur les vingt années d’Autour de Minuit ?

Je n’ai pas l’impression que mon regard a changé ni de m’être perverti en chemin, même si, forcément, on fait des films de plus en plus ambitieux. On est toujours aussi mal organisés, on fait toujours autant de choses à l’arrache. Mais on a gardé la curiosité des origines dans le choix des projets, le goût de ne pas se répéter. C’était et ça reste une passion.