À quand remonte votre rencontre avec André Téchiné ?
Je ne pourrais pas la dater avec précision mais c’était bien avant notre première collaboration sur L’Homme qu’on aimait trop, en 2013. C’est Jean Douchet qui nous a présentés. Nous avons tout de suite accroché. Outre le fait que j’admire son travail, nous partageons une cinéphilie commune, une cinéphilie très Cahiers du Cinéma, qui passe par la Nouvelle Vague et englobe tout le cinéma américain classique. Nous sommes d’ailleurs très souvent d’accord sur les films que nous voyons, même les contemporains. Nous adorons tous les deux Tarantino et pouvons passer des heures à parler de Visconti. C’est Olivier Delbosc, producteur de L’Homme qu’on aimait trop (également producteur des Âmes sœurs, ndlr) qui a permis notre travail en commun. André Téchiné avait alors besoin d’un coscénariste. Il avait commencé à écrire avec le frère d’Agnès Le Roux dont l’histoire du film s’inspirait. Or il n’était pas scénariste et André avait besoin d’un « sparring-partner ». Je venais de terminer mon scénario de La prochaine fois je viserai le cœur, le timing était excellent…
Qu’est-ce qui vous plaît dans son univers ?
Il y a chez lui un côté Truffaut désinhibé. Truffaut était tellement pudique qu’il lui arrivait de contrebalancer la passion avec de la trivialité. Téchiné, lui, donne libre cours aux élans du cœur, n’a pas peur d’être emphatique, sentimental. Il aime se confronter au romanesque. Ses personnages sont toujours pris dans des situations intenses pour eux-mêmes. J’ai toujours adoré Hôtel des Amériques, Les Voleurs et même de plus petits films comme La Matiouette ou l’arrière-pays…
Était-il facile de se conformer à son style ?
Je suis quelqu’un qui part souvent du genre, que ce soit le thriller ou le drame par exemple, pour raconter une histoire, alors que chez André, ce sont toujours les personnages qui permettent le récit. Le travail avec lui m’apporte donc beaucoup. Chez lui, il est impossible de se laisser enfermer dans des situations ou des schémas narratifs, puisque c’est l’humain qui prime. C’est un cinéma de caractère, tout ce qui constitue les personnages importe : leur métier, leur sentiment, leur sexualité… L’histoire a plus besoin des personnages que l’inverse. En même temps, il n’y a rien de figé dans notre collaboration. Nous partons d’une base et avançons pas à pas. Sur l’écriture de L’Homme qu’on aimait trop, nous avons presque inversé nos positions. Je me suis ainsi retrouvé à écrire les scènes de tension entre Maurice Agnelet (Guillaume Canet) et Agnès Le Roux (Adèle Haenel). Et lui, a pris en charge le thriller. Notre collaboration est très joyeuse. André a beaucoup d’humour.
Y a-t-il des projets et que vous avez refusé ?
Dès qu’André a une idée de film, il m’appelle. Il arrive parfois que je commence le travail mais ne le termine pas pour des raisons d’emploi du temps. Il est intéressant de voir comment l’apport du coscénariste permet de faire évoluer certaines histoires. L’exemple des Adieux à la nuit est significatif. J’étais au départ du projet. Le récit que j’avais développé était celui d’un jeune djihadiste qui revenait dans sa famille à l’écart des tensions. Il avait constamment sur le dos un policier persuadé qu’il allait recommencer. Cette pression vécue comme du harcèlement allait finir par pousser le jeune garçon à repasser à l’acte. Il y avait un côté Crime et Châtiment. Le film est devenu tout autre chose.
Le deuxième long métrage que vous coécrivez avec André Téchiné est très différent du précédent. Nos années folles est un film en costumes qui se déroule durant la Première Guerre mondiale…
Il y avait à la base un film très ambitieux économiquement. Là encore, nous partions de faits réels et devions donc respecter certains faits. Bien sûr, le choix des segments détermine la personnalité du metteur en scène. Je me suis d’abord retrouvé à écrire de grandes scènes de guerre qui finalement ne seront pas tournées faute de budget ou encore des scènes de nuit dans le Paris interlope de l’époque. L’univers du film me touchait beaucoup, spécialement ce côté très cinéma muet : von Sternberg, Murnau…, avec cette frontière entre le monde du jour et de la nuit.
Voici aujourd’hui Les Âmes sœurs, où pour la première fois avec André Téchiné, vous ne partez pas d’une histoire préexistante…
Deux thèmes l’intéressaient particulièrement : l’histoire d’amour entre un frère et une sœur et le retour au pays natal d’un garçon qui ne sait plus qui il est, qui n’a plus de mémoire… Nous avons ensuite cherché ensemble à lier ces deux lignes de force. André avait aussi en tête des lieux précis. Il imaginait ces deux jeunes gens dans une maison isolée, à l’écart du monde dans une sorte de no man’s land. Il y avait aussi ce personnage du voisin, cet aristocrate fatigué qui veut partir…
Comme souvent dans le cinéma d’André Téchiné, la jeunesse est au centre du cadre, c’est d’elle que provient l’énergie…
C’est vrai. Nous tenions fortement à l’idée de ce jeune garçon, considéré comme mort, qui, en revenant à la vie, va agir tel un révélateur dans la vie des gens. Que permet un personnage qui n’a pas de mémoire et qui voit soudain les choses avec un regard neuf ? Il trouve des gens englués dans leur quotidien, dans leur renoncement, refusant d’entreprendre ce qui au fond les anime. Il va apporter une vision neuve, presque révolutionnaire. Les désirs intimes des protagonistes ne sont pas vécus par eux comme des transgressions. C’est la société qui empêche ce frère et cette sœur de s’aimer.
Il n’y a rien d’artificiel dans votre façon de présenter ce qui pourrait apparaître dans d’autres films comme une thèse à défendre…
André s’inscrit dans le cinéma hollywoodien des années 50, celui de Douglas Sirk ou d’Elia Kazan. On pense aussi à Tennessee Williams avec cette idée de personnages esclaves de leurs frustrations qui sombrent dans la folie. Nous aurions pu raconter cette histoire à la façon d’un secret de famille qu’il faudrait à tout prix préserver mais ce n’est pas le propos du film. Les Âmes sœurs traite de la névrose, cherche la poésie dans les sentiments, ausculte le rapport des personnages à la nature…
Le film a été tourné dans les Pyrénées, les paysages montagneux agissent directement sur les personnages…
La nature a une fonction prépondérante dans l’imaginaire d’André Téchiné. Elle peut même s’envisager comme une projection de l’intériorité des personnages. Dès l’écriture, André tenait à ce que tous les éléments constitutifs aux paysages soient précisés : la forêt, la faune, le climat… Encore une fois, il reste profondément influencé par les films qui l’ont marqué dans sa jeunesse. Je pense ici à La Nuit du chasseur, et ce rapport à la nature, mi-fantastique, mi-réel, mi-refuge, mi-inquiétude… L’ancrage régional l’aide à visualiser ce qu’il va filmer. C’est un cinéaste très concret dans son écriture. Cela se retrouve aussi dans ses dialogues, souvent très explicatifs. Il a besoin que le spectateur puisse visualiser ce que les personnages sont en train de ressentir. Un personnage ne va pas se contenter de dire qu’il se sent seul mais va plutôt faire le récit plus ou moins détaillé d’une situation où apparaît ce sentiment de solitude extrême. Dans ses films, les gens ne parlent pas comme dans la vie.
La majesté des espaces pourrait entrer en contradiction avec l’intimité revendiquée du récit…
C’est vrai que le postulat de départ laissait augurer un « film de chambre ». Je voulais d’ailleurs accentuer le côté japonisant de l’ensemble, mais André avait peur que l’on étouffe. Il voulait surtout ancrer son film dans l’époque contemporaine, qu’il ne soit pas déconnecté du réel. Pour cela, il fallait voir le monde extérieur…
Les Âmes sœurs
Réalisation : André Téchiné
Avec : Noémie Merlant, Benjamin Voisin…
Scénario : André Téchiné et Cédric Anger
Production déléguée : Olivier Delbosc
Directeur de la photo : George Lechaptois
Musique : Mathieu Lamboley
Soutien CNC : Aide à l'édition vidéo (aide au programme 2022)