Jean Douchet, mort d’un passeur

Jean Douchet, mort d’un passeur

22 novembre 2019
Cinéma
Jean Douchet dans le documentaire Jean Douchet, l’enfant agité de Fabien Hagege, Guillaume Namur et Vincent Aze
Jean Douchet dans le documentaire Jean Douchet, l’enfant agité de Fabien Hagege, Guillaume Namur et Vincent Aze Kidam
Le célèbre critique et historien du cinéma, qui aura notamment accompagné l’éclosion de la Nouvelle Vague et perpétué l’esprit des ciné-clubs, est décédé ce 22 novembre. Portrait d’un amoureux du cinéma.

Il a fait partie de la jeune génération qui lancé la revue des Cahiers du Cinéma puis la Nouvelle Vague dans les années 50 (aux côtés de Godard, Truffaut, Rohmer et les autres). Son « travail », c’était de transmettre, de « passer » les films pour reprendre l’expression de Serge Daney qu’il définissait ainsi : « La clarté du propos, l’érudition de Douchet nous font pénétrer aisément dans le monde de l’art cinématographique en dissimulant l’acte même de la transmission si bien que les connaissances qu’il nous propose nous apparaissent évidentes… une fois exposées. » Historien, critique, théoricien, c’était avant tout un cinéphile inconditionnel, un amoureux qui ne cessait de répandre sa passion des films. Son célèbre recueil inspiré d’un poème d’Ovide s’appelait d’ailleurs L’art d’aimer, un titre en forme de programme.

On y trouvait entre autres ses premiers articles pour Arts et Les Cahiers des Cinéma. Jean Douchet, qui vient de s’éteindre à l’âge de 90 ans, n’a jamais cessé de donner à voir et de faire connaître, perpétuant jusqu’à aujourd’hui l’esprit des ciné-clubs, que ce soit dans l’enceinte d’un cinéma, d’une faculté, d’une école ou sur bout de trottoir ou dans un café… Surnommé le « Socrate du cinéma » par l'historien Joël Magny, il a enseigné l'analyse de films à l'Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) puis à la Fémis, influençant de nombreux réalisateurs comme François Ozon, Arnaud Desplechin, Noémie Lvovsky ou encore Xavier Beauvois. Aimer était certes un art mais aussi un sacerdoce. Jean Douchet l’a accompli sans jamais plier.

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La politique des auteurs

Jean Douchet, né le 19 janvier 1929 à Arras, étudie la philosophie à la Sorbonne à Paris tout en écrivant des critiques pour La Gazette du cinéma. Les années 50 sont une décennie cruciale pour le cinéma. Roberto Rossellini et les autres néo-réalistes italiens viennent de faire entrer la vie à l’écran, Jean Renoir a depuis longtemps décloisonné l’espace cinématographique tandis qu’Alfred Hitchcock, John Ford, Howard Hawks ou Otto Preminger prouvent que les contraintes d’un grand studio hollywoodien n’excluent pas d’imposer son propre langage via la mise en scène. Le cinéphile Jean Douchet voit, sent et accompagne cette modernité qui ne dit pas encore son nom mais qu’il faudra bientôt appeler « la politique des auteurs ». Une théorie façonnée avec la bande des Cahiers qu’il rejoint en 1957. Autour d’André Bazin, François Truffaut, Jacques Rivette, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Eric Rohmer affutent leur plume avant leur caméra. Avec eux, la manière d’appréhender un film et surtout celles et ceux qui les font, change considérablement. Jean Douchet écrit ainsi une monographie importante sur Alfred Hitchcock contribuant à faire de ce « respectable technicien », un « maître ». Il signe également d’autres essais sur Kenji Mizoguchi, Friedrich Murnau ou Vincente Minnelli.
Jean Douchet portait un regard clairvoyant sur le septième art et ceux qui le façonnaient. Particulièrement engagé, il fut président de la première commission de soutien au scénario du CNC, en 2002 et 2003.

De l’autre côté de l’écran

Jean Douchet était aussi un réalisateur et un acteur. En 1965, il avait signé l’un des segments du film à sketches Paris vu par…, celui consacré à Saint-Germain-des-Prés. On lui doit également des courts et longs métrages et des documents pour la télévision réalisés au côté d’Eric Rohmer. Avec l’avènement de la vidéo et spécialement du DVD, Jean Douchet multiplie les interventions autour de grands films (Citizen Kane, Blow Out…) sous la forme d’analyses de séquences d’une limpidité et d’une intelligence sidérantes. Il s’est également prêté au jeu, passant devant la caméra de François Truffaut (Les quatre cents coups), Jean-Luc Godard (A bout de souffle), de Jean Eustache (La Maman et la Putain, Une sale histoire) et plus proche de nous Xavier Beauvois (Nord, Selon Matthieu) ou d’Emilie Deleuze (Mister V.) Une présence qui témoignait de la grande affection pour celui qui accompagnait de ses lumières les cinéastes dans les chemins parfois cahoteux du septième art.

Hommage à Jean Douchet à la Cinémathèque Française, le mardi 26 novembre à partir de 19h15.