Slalom est votre premier long métrage de fiction. Quand est né le désir de faire un film ?
J’ai un parcours un peu particulier. J’ai grandi entre Bourg-en-Bresse et Val d’Isère. Après mon bac, je suis partie courir le monde. J’ai d’abord fait l’école de théâtre Jacques Lecoq à Londres. Puis je me suis retrouvée en Australie dans une communauté hippie sur laquelle j’ai décidé de faire un premier documentaire autoproduit avec la caméra qu’on m’avait prêtée, et j’y suis restée six mois. Là, j’ai compris que j’avais trouvé ma vocation. Je suis donc rentrée en France où j’ai monté ma société de production. Mais petit à petit, je perdais de vue l’essence de mon envie : réaliser, raconter des histoires. J’ai donc décidé de passer le concours de l’Atelier scénario de la Fémis. Le décrocher fut le tremplin primordial. C’est là que j’ai commencé à développer le scénario de Slalom. Des trois que j’avais en tête – les deux autres se situaient en Nouvelle-Zélande et au Sénégal – c’est celui qui me semblait le plus facilement réalisable pour une première fiction.
Pour quelle raison ?
Parce que j’avais cette histoire en moi depuis longtemps. D’ailleurs, énormément de choses très personnelles ont jailli au fur et à mesure de mon écriture très pulsionnelle et spontanée. Je voulais parler de la montagne où j’ai grandi et qu’on voit finalement peu au cinéma. Mais aussi travailler sur cette zone grise du consentement qui me tient à cœur, car j’ai vécu des expériences douloureuses à ce niveau-là.
Comment le fait d’avoir vécu une situation similaire à celle que traverse l’héroïne de votre film a impacté l’écriture du scénario ?
Parce que j’ai eu la chance de digérer ce qui m’est arrivé. Et j’ai compris qu’à un moment donné, dans une situation analogue, j’avais fait l’inverse de ce que je voulais. Il était donc hors de question pour moi de faire un film sur un serial abuseur face à une pauvre victime. Je n’aime pas le manichéisme. Je suis moi-même ambivalente et contradictoire. J’ai tenu à creuser tous mes personnages dans ce sens-là, qu’ils soient tiraillés entre leurs pulsions contradictoires. Et j’ai choisi de raconter le film du point de vue de mon héroïne, Lyz, âgée de 15 ans. Ses réactions vont souvent à l’inverse de ce à quoi on peut s’attendre. Cela me permet de montrer la complexité des choses.
Pourquoi avoir choisi de traiter de l’emprise masculine dans le milieu du sport ?
J’ai voulu mettre des mots et des images sur ce flou. Raconter ces entraîneurs – souvent des champions qui ont dû raccrocher après blessure – qui, ne connaissant rien d’autre que leur sport et se retrouvent souvent seuls et perdus, frustrés à 30 ans envers eux-mêmes et la société. Ils se sentent méprisés et j’avais envie que cela nourrisse le personnage de l’entraîneur de Slalom, Fred. C’est un homme brisé par le système dont il est le produit, et pour qui l’éventuel succès de Lyz serait une revanche sur ceux qui le méprisent. Ce n’est pas un tordu face à une victime. Car, entre ces deux personnages, il y a une rencontre sportive et presque amoureuse, avant que les choses basculent dans l’horreur.
Comment avez-vous choisi les deux comédiens qui incarnent ces personnages ?
Noée Abita fut la première. Je l’avais rencontrée pour Odol Gorri, le court que j’ai eu besoin d’écrire pour préparer Slalom. Je l’avais adorée dans Ava [Léa Mysius, 2017] et j’ai tout de suite senti en elle ce côté instinctif et animal dont j’avais besoin. Cette première expérience a été un coup de foudre à tous les niveaux. On a vite compris qu’on avait de nombreux points communs. J’ai donc écrit Slalom en pensant à elle. Ce n’est pas le cas de Jérémie [Renier]. Mais je suis tout de suite allée vers lui quand il a fallu réfléchir à celui qui incarnerait Fred. D’abord parce que Jérémie a cette facilité à jouer des rôles de composition et à se transformer physiquement pour un personnage. Mais aussi parce qu’on sent à travers les différents rôles qu’il a pu interpréter qu’il aime le rapport physique aux personnages. Or incarner un entraîneur de ski exige des postures spécifiques. Enfin, Jérémie dégage spontanément une sympathie immédiate, une douceur qui convenaient à cette ambivalence que je recherchais.
La montagne constitue le troisième personnage de Slalom. Comment avez-vous réfléchi à la manière de la filmer ?
J’ai donc filmé la montagne de la manière dont Lyz la ressent. Elle la regarde souvent. Cela reflète quelque chose de son intériorité, de son état et la guide dans son cheminement intérieur.
Quel regard portez-vous sur cette aventure alors que le film s’apprête à sortir en salles, qu’il a reçu le label Cannes 2020, le prix du jury étudiant au Festival du film francophone d’Angoulême et le prix d’Ornano-Valenti à celui de Deauville ?
Je savais le sujet très risqué. On n’arrêtait pas de m’expliquer que les films de sport ne marchent jamais en salle, ou qu’on avait déjà vu cette histoire d’emprise. Mais je savais que Slalom n’était pas qu’un film à sujet. Recevoir ces nombreux prix a confirmé mon intuition.
salom