L’Arme à gauche de Claude Sautet (1965)
Né en 1909 au Texas, Charles Williams est un des maîtres du polar américain, auteur d’une vingtaine de romans jusqu’à sa disparition en 1973, pour la plupart édités en France dans la collection Série Noire. Treize de ses œuvres ont été adaptées au cinéma. Hubert Cornfield (Allô… l’assassin vous parle), Marcel Ophüls (Peau de banane avec Jean-Paul Belmondo, Jeanne Moreau, Claude Brasseur et Jean-Pierre Marielle) et Jean Valère (Le Gros Coup avec Emmanuelle Riva) furent les premiers à s’emparer de ses écrits entre 1960 et 1964. Avant donc que Claude Sautet ne se décide à porter à l’écran Ont-ils des jambes ?, publié en 1961. Le cinéaste a alors deux longs métrages à son actif, Bonjour sourire en 1955 et Classe tous risques en 1960. Et il retrouve devant sa caméra le comédien qu’il avait rencontré sur le plateau du Fauve est lâché de Maurice Labro – où il était assistant – et qui l’avait imposé à la réalisation de Classe tous risques : Lino Ventura. Claude Sautet connaît bien l’œuvre de Williams car il a participé quelques années plus tôt à l’adaptation de Peau de banane. Il accepte ce film de commande, certain du potentiel cinématographique de l’œuvre du romancier et de l’histoire (un aventurier est chargé par une riche veuve américaine de retrouver un bateau disparu). Mais entre tempêtes à répétition, décors détruits et dépassements de budget qui en découlent, le tournage vire à la catastrophe. L’accueil très froid de la critique - le film va malgré tout réunir plus d’un million de spectateurs - poussera le réalisateur à changer de registre et à se réinventer cinq ans plus tard avec Les Choses de la vie.
The Deep d’Orson Welles (1970)
Après l’échec public de son Falstaff en 1965, Orson Welles a envie de se lancer dans un projet ouvertement commercial pour prouver sa capacité à faire des films rentables. Il décide alors de porter à l’écran Calme blanc (de sang sur mer d’huile), écrit deux ans plus tôt par Charles Willliams. Côté casting, il fait appel à Jeanne Moreau qu’il vient de diriger dans Falstaff et pense un temps lui associer Peter O’Toole, le héros de Lawrence d’Arabie, avant de choisir Laurence Harvey, son partenaire dans Pour la conquête de Rome de Robert Siodmak. Le roman raconte comment le voyage de noces d'un couple à bord d'un yacht tourne au drame quand ils rencontrent un bateau à la dérive. Le tournage va s’étaler sur trois ans, de 1966 à 1969, au large des côtes de l’ex-Yougoslavie, avec à la lumière Willy Kurant, le directeur de la photo du Masculin, féminin de Godard. Mais au fil du temps, l’aventure The Deep se complique, cumulant problèmes techniques et soucis financiers au point que Welles doit même renoncer à tourner le climax du récit : l’explosion d’un des bateaux. Le décès de Laurence Harvey mettra un point final au projet. Mais les ennuis ne sont pas finis pour autant : pour un problème de taxes impayées lors du transfert des bobines à Paris, la douane française détruit plusieurs éléments du négatif. Puis, par manque de budget, les bobines qui ont survécu seront tirées en noir et blanc alors que The Deep était censé être en couleurs. Ce qui explique le mélange de noir et blanc et couleurs dans le montage de ce film resté inachevé. Montage initié des années plus tard par la Cinémathèque de Munich.
Vivement dimanche ! de François Truffaut (1983)
Dans la foulée de Tirez sur le pianiste, François Truffaut souhaite rendre, au début des années 60, un autre hommage à la Série Noire américaine en portant à l’écran Vivement dimanche ! écrit en 1962 par Charles Williams. Il pense alors en confier le rôle féminin central à Jeanne Moreau, son héroïne de Jules et Jim, mais il échoue à en acquérir les droits. Il ne parviendra à ses fins que vingt ans plus tard et réunira alors devant sa caméra sa compagne Fanny Ardant - qu’il venait de diriger dans La Femme d’à côté - et Jean-Louis Trintignant qui avait fait acte de candidature à travers une lettre expliquant son envie de travailler avec lui. Avec cette Série Noire en noir et blanc au ton léger (la secrétaire d’un agent immobilier l'aide à se tirer d'affaire lorsqu'il est accusé de deux meurtres), François Truffaut multiplie les clins d’œil à Saboteur, Une femme disparaît ou Correspondant 17 signés par le maître du suspense Alfred Hitchcock avec qui il avait signé un livre de conversations 17 ans plus tôt. Mais il ne se doute pas alors que Vivement dimanche ! sera son dernier film. Un an après sa sortie et son ultime nomination au César du meilleur réalisateur, le cinéaste s’éteint le 21 octobre 1984.
Calme blanc de Phillip Noyce (1989)
Calme blanc (de sang sur mer d’huile) de Charles Williams est-il maudit pour le cinéma ? Dans la foulée du The Deep inachevé, le producteur de L’Arnaque Tony Bill est persuadé du contraire et tente d’acquérir les droits du film d’Orson Welles. Mais sans succès. Une quinzaine d’années plus tard, il échange à ce sujet avec l’Australien Phillip Noyce et lui offre le livre. Sous le charme, le cinéaste en parle sans attendre à ses compatriotes George Miller et Terry Hayes qui viennent de collaborer sur Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre. Tout aussi conquis, le duo décide de s’atteler à la mise en chantier du film et Miller va réussir à convaincre Oja Kodar – ex-compagne de Welles et interprète de The Deep – de lui vendre les droits d’adaptation. Noyce réunit devant sa caméra Sam Neill – qui vient de présenter au Festival de Cannes Un cri dans la nuit avec Meryl Streep -, Billy Zane – apparu au cinéma quatre ans plus tôt dans Retour vers le futur – et une comédienne pour qui ce film va constituer son ticket d’entrée à Hollywood : Nicole Kidman. Le tournage s’étale sur quatorze semaines et George Miller met parfois lui-même la main à la pâte sur le plateau en filmant quelques scènes. La Warner fera retourner la fin pour plaire à un plus large public et la critique sera conquise. La malédiction The Deep prend bien fin avec ce Calme blanc.
Hot Spot de Dennis Hopper (1990)
Quinze ans après sa mort, l’œuvre de Charles Williams continue d’attirer le cinéma des deux côtés de l’Atlantique. En France, Robin Davis adapte Hit girl sous le titre La Fille des collines. Aux Etats-Unis, Je t’attends au tournant, publié en 1953, va connaître une nouvelle vie sur grand écran. Enfin, pourrait-on dire, car Charles Williams avait essayé lui-même d’en faire un film dès 1962 en travaillant sur le scénario avec Nona Tyson. Robert Mitchum en aurait été le héros mais le projet n’aboutit jamais. Jusqu’à ce qu’à la fin des années 80, Mike Figgis s’en empare. Le cinéaste vient alors de terminer son premier long métrage, Stormy Monday avec Sting. Bruce Willis, Kevin Costner, Harrison Ford, Richard Gere, Dennis Quaid, Tom Selleck et Patrick Swayze sont approchés pour le rôle principal. Mais tous déclinent. Et c’est finalement Sam Shepard qui est choisi, entouré par Uma Thurman et Anne Archer. Quelques semaines avant le tournage, tout est remis en cause. Exit Figgis. Place à Dennis Hopper qui change aussi entièrement le casting. Il pense d’abord à Mickey Rourke pour remplacer Shepard mais se tourne vers Don Johnson qui triomphe alors à la télé dans Deux flics à Miami et l’associe à Virginia Madsen (Dune) et Jennifer Connelly (Il était une fois en Amérique). Puis, trois jours avant le début du tournage, Hopper renverse encore la table. Il abandonne le scénario de Figgis et revient aux origines, à celui de Nona Tyson. Un pur film noir à la tension érotique appuyée que le cinéaste décrit alors comme… Le Dernier Tango au Texas. La B.O. réunissant notamment Miles Davis et John Lee Hooker fait des merveilles. La critique se montre plutôt enthousiaste. Mais le public ne suit pas et les recettes restent inférieures à son budget. Hasard ou conséquence directe ? Depuis 30 ans, aucune autre œuvre de Charles Williams n’a été adaptée au cinéma.