« Château Rouge » : une année scolaire dans un collège parisien

« Château Rouge » : une année scolaire dans un collège parisien

20 janvier 2025
Cinéma
« Château Rouge »
« Château Rouge » réalisé par Hélène Milano TS Productions

La réalisatrice Hélène Milano et sa productrice Céline Loiseau (TS Productions) reviennent sur le processus de création de ce documentaire – découvert à l’ACID à Cannes – qui suit des élèves de troisième d’un collège du quartier parisien de la Goutte d’Or dans cette année décisive pour le choix de leur orientation. Un film accompagné notamment par le Fonds d’aide à l’innovation documentaire pour le documentaire de création (FAI Doc) et le Fonds Images de la diversité du CNC.


Comment et quand vous êtes-vous rencontrées ?

Céline Loiseau : Il y a longtemps aux États généraux du film documentaire de Lussas où, chaque année, pendant le festival, ont lieu Les Rencontres d’août, des rencontres professionnelles à destination de tandems réalisateurs-producteurs dont je suis l’une des tutrices. Hélène était venue avec la productrice de ce qui allait devenir son deuxième long métrage documentaire, Les Charbons ardents. C’est ainsi que j’ai découvert son travail. Et puis quelques années plus tard, son agent nous a contactés car Hélène avait plusieurs projets de documentaires et de fictions. J’ai tout de suite accroché à celui de Château Rouge, même si, à ce moment-là, Hélène envisageait plutôt une série documentaire. On s’est vues pour en discuter juste avant le confinement. Je lui avais dit que je pensais que la série n’était pas forcément la meilleure forme pour ce dont elle avait envie. Puis, quand elle est revenue me voir deux ou trois ans après, l’idée avait fait son chemin. Elle avait obtenu des aides à l’écriture et on a vraiment commencé à travailler ensemble.

Hélène, vos films précédents, Les Roses noires et Les Charbons ardents, étaient déjà en prise directe avec la jeunesse d’aujourd’hui. Avez-vous pensé Château Rouge comme une continuité ?

Hélène Milano : À l’issue de ces deux films conçus comme un diptyque, j’étais consciente de cette sensation de solitude très forte que vivent les enfants et les jeunes gens que j’avais rencontrés, et plus précisément des cicatrices restées très vives en eux, liées à la période de l’orientation. C’est ce qui m’a donné envie de remonter au temps du collège. Ce projet a pris une forme concrète quand j’ai eu la chance de rencontrer la formidable équipe éducative du collège Clémenceau, situé dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris. Au départ, mon projet était plutôt de raconter l’accompagnement au quotidien des jeunes par les adultes pour essayer de dénouer tous les obstacles que ceux-ci ont à affronter. Parce que ce collège accueille énormément d’enfants de milieux très défavorisés et j’avais envie de célébrer cet engagement du quotidien pour lutter contre tous ces déterminismes.

 

Qu’est-ce qui vous a fait évoluer ?

H.M : Toute une série de choses. À commencer par ma rencontre avec la principale de l’établissement, Véronique Delandre, qui m’a suggéré que le projet soit centré sur les élèves de troisième. Une année qui est celle des choix, qui peuvent être décisifs pour leur avenir. Ça a donc fait évoluer mon idée première. Tout mon travail, à partir de là et jusqu’au montage, a consisté à trouver une manière d’articuler les choses entre ce que vivent les adolescents, l’accompagnement de l’équipe du collège et la violence du système qui atteint son paroxysme au moment de la troisième.

Ce collège accueille énormément d’enfants de milieux très défavorisés et j’avais envie de célébrer cet engagement du quotidien pour lutter contre tous les déterminismes.
Hélène Milano
Cinéaste

Comment avez-vous trouvé ce collège ?

H.M : Je suis mariée depuis trente ans à un homme qui a d’abord été instituteur dans les quartiers nord de Marseille avant de s’occuper d’une classe d’accueil pour des enfants qui arrivent du monde entier. Quand nous nous sommes installés à Paris, il est devenu directeur d’école avant d’être mobilisé par l’Éducation nationale pour occuper des postes de principal adjoint. Et il a été pendant deux ans le principal adjoint de cet établissement. C’est donc lui qui m’a présenté Véronique Delandre, avec qui on a vraiment eu un coup de foudre. Cette confiance qu’elle m’a accordée s’est ensuite répercutée sur toutes les rencontres que j’ai faites avec le personnel de l’établissement, au fil des semaines. Car j’ai évidemment pris du temps avant de venir avec une caméra. Ça s’est fait par étapes.

Céline, comment en parallèle se construit le financement de ce film pour lequel vous avez notamment bénéficié du Fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle (développement renforcé) et du Fonds Images de la diversité ?

C.L : Des films sur l’école, il y en a beaucoup. Donc en amont, il n’est pas toujours évident de faire entendre la singularité du projet qu’on défend. C’est en tout cas ce à quoi je me suis confrontée : un intérêt certes mais des résistances. Tout le monde avait d’abord envie de voir ce qui ressortirait de la relation entre Hélène et ces élèves. Et c’est d’ailleurs au fil du tournage que les choses se sont précisées en faisant de l’orientation sa thématique centrale. Ce qui n’était pas formulé aussi précisément dans le projet de départ dont le cœur était davantage le rapport entre les adultes et les enfants. Par contre, d’emblée, on a voulu ce film pour le grand écran. On a donc commencé par tenter d’obtenir des fonds classiques, comme l’Avance sur recettes. Mais ça n’a pas fonctionné. On a alors acté le fait qu’il fallait montrer des choses pour convaincre. Donc on est partis démarcher d’autres aides et partenaires à partir d’images qu’Hélène a tournées et que j’ai moi-même montées. L’Aide au développement renforcé est parfaitement adaptée à la manière de produire ce type de documentaire. Et le Fonds Images de la diversité est un fonds spécifique qui se rapporte au thème de la politique de la ville et épouse donc ce projet qui se situe dans un collège où la diversité des élèves est reine. Hélène a obtenu ce fonds-là en écriture – de même que l’aide de la Région Île-de-France. Ce qui lui a permis de mettre en place des ateliers à l’intérieur du collège et de faire des repérages très approfondis en passant du temps avec les élèves et les adultes.

Dans le cas de Château Rouge, je trouvais que le regard d’Hélène sur ceux qu’elle allait filmer et sa manière de les mettre en valeur méritaient le grand écran. En faire un film de cinéma, c’était aussi rendre hommage à tous ses protagonistes.
Céline Loiseau
Productrice (TS Productions)

Pourquoi ce film était-il destiné dès le départ au cinéma ?

H.M : Parce que c’est un terrain où je me sens plus libre à la fois sur les temporalités et sur la forme que prendra finalement cette matière travaillée complètement différemment pour le cinéma.

C.L : Pour ma part, je produis exactement de la même manière pour le cinéma et la télévision. Avec la même ambition. Je n’ai jamais ressenti de manque de liberté en travaillant pour le petit écran. Mais dans le cas de Château Rouge, je trouvais que le regard d’Hélène sur ceux qu’elle allait filmer et sa manière de les mettre en valeur méritaient le grand écran. En faire un film de cinéma, c’était aussi rendre hommage à tous ses protagonistes.

Hélène, comment se déroule le travail préparatoire avant le premier jour de tournage ?

H.M : Ça prend énormément de temps. Le temps d’abord d’expliquer mon projet de manière la plus claire possible. Et donc forcément de répéter plusieurs fois les choses car il y a beaucoup d’informations à assimiler. Mais chacune de ces rencontres a aussi une influence sur le film. Car enfants comme adultes, élèves comme enseignants, tous ont à m’apprendre des choses. Je n’ai plus 14 ans depuis longtemps donc je peux être déconnectée sur certains aspects. C’est aussi dans ces moments que je découvre la profondeur de certains de ces enfants dans le regard qu’ils portent sur l’école et qu’ils n’expriment que rarement car on ne le leur demande pas. Dès lors, une grande partie de mon travail a consisté à ne jamais abîmer leur authenticité afin de leur permettre de transmettre cette profondeur. Et pour cela, j’ai créé une sorte de petite troupe sur la base du volontariat. Ce sont d’ailleurs les élèves les plus en difficulté scolaire qui ont eu envie de l’intégrer. Il y avait une vingtaine d’enfants et on se retrouvait tous les mardis. Dans cet espace-là, je ne voulais pas me situer en position d’observation mais être et faire avec eux. J’ai ainsi pu leur partager des textes très divers : Marivaux, Pommerat, Musset, Koltès ou Virginia Woolf, dont on retrouve un petit bout dans le film. On a fait ensemble des improvisations, des propositions chorégraphiques… Et tout de suite, j’ai mis la question de l’échec au centre. Je leur apportais parfois des propositions qui ne marchaient pas du tout. Et voir que ce n’était pas grave a permis de décomplexer tout le monde, d’éviter toute autocensure.

L’Aide au développement renforcé du FAI Doc est parfaitement adaptée à la manière de produire ce type de documentaire. Et le Fonds Images de la diversité est un fonds spécifique qui se rapporte au thème de la politique de la ville et épouse donc ce projet qui se situe dans un collège où la diversité des élèves est reine.
Céline Loiseau
Productrice (TS Productions)

Céline, comment intervenez-vous auprès d’Hélène pendant toute cette phase ?

C.L : On a énormément discuté. Notamment sur la question de la place d’Hélène. Comme il y avait un désir de film en cinéma direct, je ne savais pas comment pourrait s’articuler le fait de saisir des choses d’un côté et de diriger ces enfants de l’autre. J’étais un peu réticente, j’avoue. Et j’avais tort. Il y a très peu de moments filmés de ces ateliers mais finalement, ils se retrouvent dans le film et c’est même ce qui en fait sa singularité et sa force ! Et puis, au cœur de nos discussions, il y avait aussi la question des entretiens face caméra avec les élèves. Ces séquences ont été tournées à la toute fin. Au départ, Hélène n’en avait pas forcément le désir car elle avait beaucoup filmé la parole de cette manière-là, dans ses films précédents. Mais comme j’ai énormément d’admiration pour la façon dont elle arrive à parler à ces enfants, à les mettre en confiance et leur faire dire les choses, je pensais que les filmer ainsi au calme, pourrait donner lieu à quelque chose d’intéressant. Pas forcément au départ dans l’idée de l’inclure dans le montage final mais au moins pour s’en nourrir à cette étape. Puis, en cours de montage, on a commencé à les intégrer comme des béquilles qu’on pourrait enlever. Et ce qui s’y dit est tellement intéressant et fort que ces moments sont restés.

Hélène, quand vous vous lancez dans le tournage, avez-vous un programme très précis en tête ?

H.M : C’est la notion de cinéma direct qui constitue la colonne vertébrale de ce film. Avec cette idée que rien ne peut être écrit par avance. Parce que chacun de ceux que je filme va forcément évoluer au fil de l’année scolaire jusqu’à ce choix de l’orientation qui va lui ouvrir une nouvelle fenêtre de vie. Chacun porte en lui sa propre dramaturgie. À l’exception des rendez-vous du mardi que j’évoquais, je n’ai mis en place aucun système de rendez-vous fixe. Pour ne pas être dans une logique de rentabilité de ces moments. Château Rouge avance sur deux temporalités. D’une part, une trajectoire qui suit le déroulé d’une année scolaire, des rapports entre élèves, entre élèves, profs et équipe pédagogique au sens large. Et d’autre part, une trajectoire plus en spirale qui est celle d’une forme d’introspection au cœur de ce que traversent les adolescents.

Tout mon travail, jusqu’au montage, a consisté à trouver une manière d’articuler les choses entre ce que vivent les adolescents, l’accompagnement de l’équipe du collège et la violence du système qui atteint son paroxysme au moment de la troisième.
Hélène Milano
Cinéaste

Entamez-vous le montage pendant le tournage ou attendez-vous la fin des prises de vues ?

H.M : J’y réfléchis en tournant, je prends des notes. Mais le travail concret commence vraiment à la fin des prises de vues. Et à nouveau, j’ai vraiment pu compter sur l’accompagnement humain et artistique de Céline. Elle ne m’a mis aucune pression sur le temps par exemple, elle a vraiment été à l’écoute. Tout se faisait de manière assez organique. J’ai eu beaucoup de chance.

C.L : C’est la spécificité des films d’immersion. Un domaine que j’adore et que j’ai eu la chance aussi de pratiquer récemment avec Nicolas Philibert. Je sais qu’on ne peut pas aller plus vite que la musique. D’autant plus quand, comme ici, le film est nourri d’éléments aussi divers. À cette étape du montage, on a encore beaucoup discuté mais je faisais confiance aux intuitions d’Hélène.

Hélène, vous retrouvez ici votre monteuse des Charbons ardents, Cécile Dubois…

H.M : Oui, car je savais qu’elle porterait sur ces jeunes gens un regard qui rejoindrait l’émotion que j’ai ressentie à chaque fois que j’étais à leur contact. C’était essentiel de travailler avec quelqu’un qui avait cette délicatesse. Et puis sur Les Charbons ardents, j’avais beaucoup apprécié son sens de la musique du cinéma du réel dans la manière de monter les séquences et de toujours trouver le bon moment pour les arrêter. Il n’y a aucun tabou entre nous. On peut essayer et se planter. Mais je n’ai jamais eu d’inquiétude sur la manière dont les différents éléments qui constituent Château Rouge allaient s’imbriquer. Et ce qui me rassurait en permanence, c’était que Céline m’encourageait à suivre mon intuition, en dépit de ses doutes qui étaient naturels.

À quel moment le distributeur Dean Medias entre-t-il dans l’aventure ?

C.L : Après l’annonce de notre sélection à l’ACID à Cannes, Isabelle Dubar m’a demandé un lien internet pour visionner le film. Elle l’a regardé le lendemain, a exprimé dans la foulée son enthousiasme, et a fait une proposition qui allait dans ce sens. Cette sélection a été décisive pour que le film puisse vraiment exister. On l’a d’ailleurs toujours eue dans un coin de notre tête et on avait organisé notre planning pour que ce soit possible.
 

CHÂTEAU ROUGE

Affiche de « CHÂTEAU ROUGE »
Château rouge Dean Medias

Réalisation : Hélène Milano
Production : TS Productions
Distribution : Dean Medias
Sortie le 22 janvier 2025

Soutiens sélectifs du CNC : FAI doc - aide au développement renforcé, Aide sélective à la distribution (aide au film par film 2024), Fonds Images de la diversité (aide à l'écriture en 2022 + aide à la production en 2023)