Conversation avec les productrices françaises de « Vermiglio ou la mariée des montagnes »

Conversation avec les productrices françaises de « Vermiglio ou la mariée des montagnes »

19 mars 2025
Cinéma
« Vermiglio ou la mariée des montagnes »
« Vermiglio ou la mariée des montagnes » réalisé par Maura Delpero Fabrizio De Blasio

Récompensé du Grand Prix du jury à la dernière Mostra de Venise, ce drame historique de l’Italienne Maura Delpero a été coproduit avec la France via la société Charades. Carole Baraton et Pauline Boucheny Pinon nous en expliquent le processus.


Comment vous êtes-vous retrouvées à coproduire le deuxième long métrage de Maura Delpero ?

Carole Baraton : Il y a une volonté chez Charades de nous rapprocher des cinéastes avec qui nous travaillons. La production nous apparaît donc comme un cheminement logique et naturel. C’est une façon de proposer une aide encore plus large. Nous nous étions occupées des ventes internationales de Maternal, le premier long métrage de Maura Delpero, pour lequel nous avions eu un coup de cœur. Le film a été présenté au Festival de Locarno et a reçu le prix Jeunes Talents Kering en marge du Festival de Cannes en 2024. Maternal a été vendu dans une dizaine de pays. C’est Memento qui avait assuré sa distribution en France. Nous étions donc très curieuses de savoir ce que Maura allait faire ensuite. Je n’ai plus en tête la chronologie exacte des évènements, mais nous avons été au tout départ du projet, dès les premières versions du scénario… Si le récit de Vermiglio est très ancré dans l’Italie du Nord, Maura, elle, vit entre son pays natal et l’Argentine. Sa vision du cinéma est donc très internationale et l’idée d’une coproduction lui semblait logique.

Qu’est-ce qui vous plaisait tant à la vision du premier long métrage de Maura Delpero ?

CB : Maternal traduit un cinéma plutôt exigeant dont l’apparente lenteur ne masque pas la façon qu’a Maura de raconter les choses avec une rare sensibilité. Même si ça peut paraître convenu voire réducteur de dire ça, c’est un cinéma féministe. C’est naturel chez elle. Maura n’a pas besoin d’ajouter un discours partisan ou politique…

Pauline Boucheny Pinon : Maura vient du documentaire. Ça rejaillit énormément dans sa fiction, notamment dans son travail avec les acteurs. Son approche réaliste ne passe pas forcément par les dialogues mais par la présence des corps à l’écran… Ses interprètes habitent littéralement le cadre. Le cinéma de Maura, c’est la combinaison d’un œil, d’une écriture et d’une relation à ses interprètes.

 

Comment avez-vous appréhendé le travail avec elle ?

PBP : Juste après la sortie de Maternal, Maura s’est associée avec des producteurs pour monter une société de production, Cinedora, et ainsi pouvoir mener à bien la réalisation de Vermiglio. Personnellement, je suis arrivée plus tard que Carole sur le projet, au moment du financement, de la composition de l’équipe technique… Nous étions coproductrices à hauteur de 20 %. Cela nécessitait donc d’engager pas mal de personnes. Maura parle parfaitement le français, l’anglais en plus de l’italien et de l’espagnol, donc la communication est assez simple. Elle avait certaines idées très précises sur divers postes clefs comme le choix du chef opérateur, en l’occurrence le Russe Mikhail Krichman, fidèle d’Andreï Zviaguintsev. Idem pour la cheffe maquilleuse, Frédérique Foglia… Elle tenait à travailler avec une Française.

CB : Il ne s’agissait pas d’interférer dans la logique des producteurs italiens mais de les aider au mieux. Ils nous ont sollicitées dès les phases d’écriture. Maura a une écriture précise et dense. C’est de l’orfèvrerie. L’idée était d’essayer d’épurer l’ensemble. Nous avons tous travaillé dans le même sens. Pour revenir sur le choix du chef opérateur, Maura s’est battue avec opiniâtreté pour convaincre Mikhail Krichman, fraîchement exilé en France pour des raisons politiques, d’accepter.

PBP : Tous les techniciens que nous avons sollicités en France ne connaissaient pas forcément le travail de Maura mais ils ont été séduits à la lecture du scénario ainsi que par ses intentions de réalisatrice. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il se passait quelque chose autour du film.

Si le récit de Vermiglio est très ancré dans l’Italie du Nord, Maura [Delpero], elle, vit entre son pays natal et l’Argentine. Sa vision du cinéma est donc très internationale et l’idée d’une coproduction lui semblait logique.
Carole Baraton
productrice (Charades)

Nous évoquions via son chef opérateur le travail du cinéaste Andreï Zviaguintsev. Ce choix paraît très cohérent pour Vermiglio

CB : La crainte de Maura était que l’on sente la dimension « film en costumes », que les choses soient trop esthétisantes avec la volonté par exemple d’avoir une photographie sépia. De plus, la décision narrative et esthétique de suivre le rythme des quatre saisons en montagne pouvait inciter à l’ostentation. Or, si Mikhail ne se prive pas de saisir la beauté par la lumière, il a une approche très douce, jamais excessive. 

Saisir les quatre saisons impliquait un tournage sur un temps long… En quoi est-ce une contrainte de production ?

PBP : En réalité, le tournage s’est étalé sur six petits mois. La partie « été » a été tournée entre fin août et début septembre, la partie « hiver », début décembre… La présence de la neige était la grande incertitude. Il y avait un peu de stress par rapport aux dates théoriques de tournage. La neige a commencé à tomber dix jours avant les prises de vues. Toutefois, jamais la décision de saisir les quatre saisons n’a été un argument qui aurait pu remettre en cause notre volonté de coproduire ce film et ce, même si ça rajoute un coût significatif dès le départ. Heureusement le soutien de tous les guichets de fonds publics, dont Eurimages, a été précieux. Sans eux le film n’aurait pas pu se faire.

Qu’est-ce qui a été effectué concrètement en France ?

PBP : Mikhail Krichman vivant en France, l’étalonnage a été logiquement réalisé ici. Idem pour la partie son puisque le compositeur du film, bien qu’italien, vit lui aussi en France. Nous avons enregistré le peu de musique originale dans un studio français et réalisé ensuite tout le travail sur le son. Quant au mixage, il a été effectué en Belgique, pays également coproducteur de Vermiglio.

À quel moment le distributeur français, Paname Distribution, s’est-il engagé dans l’aventure ?

CB : Dès la lecture du script. Précisons que nous avons eu la chance d’obtenir le soutien de toutes les aides sélectives demandées dont l’Aide aux cinémas du monde du CNC et de l‘Institut français l’aide à la coproduction franco-italienne, le soutien de la Région Île-de-France… Pour autant, nous avions besoin d’un minimum garanti via les ventes à l’étranger, géré en interne, et l’aide du distributeur. Les équipes de Paname Distribution ont donc eu l’audace de s’engager sur la foi du scénario.

Le cinéma de Maura [Delpero], c’est la combinaison d’un œil, d’une écriture et d’une relation à ses interprètes.
Pauline Boucheny Pinon
productrice (Charades)

En quoi la sélection en compétition à la Mostra de Venise a-t-elle été importante ?

CB : Il a fallu faire un arbitrage en fonction des propositions de plusieurs festivals. Il fallait réfléchir au bon positionnement du film. Maura restait une réalisatrice encore méconnue, le casting ne comprend aucune vedette, la langue du film est un patois des montagnes… La perspective d’un grand festival paraissait idéale d’autant que les sélectionneurs de la Mostra ont affiché un enthousiasme sans limite. Il était important pour eux de soutenir une jeune réalisatrice italienne. L’histoire leur a donné raison puisque le film a reçu le Grand Prix du jury.   

Dans le dossier de presse du film, on peut lire une lettre enflammée de Jane Campion… Comment s’est faite la connexion ?

CB : Maura tenait à lui montrer son film. Elle lui a donc écrit. Nous avons essayé d’organiser une projection à Auckland mais ça ne s’est pas fait, donc nous lui avons envoyé un lien. Elle s’est engagée à découvrir le film dans de bonnes conditions, sur grand écran avec ses étudiants. Elle a ensuite écrit cette lettre très gentille et délicate à Maura. Jane Campion a donné son accord pour la publier. Nous étions alors en pleine campagne pour les Oscars, Vermiglio représentait l’Italie.

Vermiglio sort sur combien de copies en France ?

PBO : Quatre-vingt-huit ! Les avant-premières à Paris ont été un beau succès avec près de 10 000 entrées. On le doit aux équipes de Paname qui ont cru au projet dès le début.
 

Vermiglio ou la mariée des montagnes

Affiche de « Vermiglio ou la mariée des montagnes »
Vermiglio ou la mariée des montagnes Paname Distribution

Écrit et réalisé par Maura Delpero
Production française : Carole Baraton et Pauline Boucheny Pinon (Charades Productions)
Distribution : Paname Distribution
Ventes internationales : Charades, Anonymous Content

Soutiens sélectifs du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation, Aide à la coproduction franco-italienne