Coup de projecteur sur le film franco-brésilien « Baby »

Coup de projecteur sur le film franco-brésilien « Baby »

17 mars 2025
Cinéma
« Baby »
« Baby » réalisé par Marcelo Caetano CUP FILMES - Still Moving

Juliette Lepoutre et Pierre Menahem de Still Moving racontent le processus de production du deuxième long métrage du Brésilien Marcelo Caetano. Une histoire d’amour conflictuelle entre un garçon sortant d’un centre de détention pour mineurs et un homme mûr, récompensée du prix de la révélation lors de la Semaine de la Critique cannoise en 2024.


Comment entrez-vous en contact avec Marcelo Caetano ?

Pierre Menahem : Avec Juliette, on a rencontré Marcelo en 2017, au festival de Rotterdam, où son premier long métrage de fiction, Corpo Elétrico, était présenté en sélection officielle. On avait tellement aimé ce film qu’on avait organisé un rendez-vous juste pour lui dire tout le bien qu’on pensait de son travail. C’est un an plus tard que, toujours à Rotterdam, où le projet de Baby avait été sélectionné au Marché de coproduction, que nous avons scellé notre accord pour devenir les coproducteurs français du film avec Marcelo et son producteur brésilien, Ivan Melo.

Qu’est-ce qui vous donne envie de vous embarquer dans cette aventure ?

Juliette Lepoutre : Le coup de foudre pour Corpo Elétrico. Je pense que Marcelo aurait pu me présenter n’importe quel scénario – et celui de Baby a d’ailleurs beaucoup évolué avec le temps – que j’aurais dit oui ! D’autant plus que Pierre et moi travaillons beaucoup et régulièrement avec le Brésil. Avec Marcelo et Ivan, ce fut vraiment un coup de cœur amical partagé à quatre. Une évidence.

PM : Il faut savoir que Marcelo est vraiment un être humain exceptionnel. Il émane de lui une chaleur, une empathie, une humeur égale, ce qui n’est pas le cas de tous les cinéastes avec lesquels nous travaillons. (Rires.) De plus, Marcelo a une place à part dans le cinéma brésilien contemporain. Par sa façon d’être, son style, sa manière de raconter des histoires. On a retrouvé tout cela dès la toute première version du scénario de Baby qui a beaucoup changé, effectivement, au fil des années. Marcelo vient tout à la fois du cinéma-vérité et du casting – il travaille notamment pour Kleber Mendonça Filho. C’est de là que naît, dans Corpo Elétrico ou Baby, ce sentiment de vie qui explose à l’écran et qui est si difficile à fabriquer en fiction ! Lui sait trouver les bons comédiens après des mois de recherche intense. Il sait aussi les faire jouer avec la vraie vie dans son quartier, dont il connaît chaque recoin. Marcelo filme avec une connaissance tellement fine des lieux de tournage et de ses comédiens qu’on a le sentiment que ses films s’inventent sous nos yeux. C’est, je pense, ce qui le caractérise le mieux. En plus, évidemment, de son goût pour le mélange des genres puisqu’on a avec Baby un mélodrame qui s’inscrit dans une forme d’hyperréalisme. A priori, ça ne va pas ensemble. Chez lui, si !

Marcelo [Caetano] a une place à part dans le cinéma brésilien contemporain. Par sa façon d’être, son style, sa manière de raconter des histoires.
Pierre Menahem
producteur (Still Moving)

Qu’est-ce qui a le plus évolué au fil de l’écriture ?

PM : La rencontre entre les deux personnages principaux, Wellington – qui sort d’un centre de détention pour mineurs – et Ronaldo cet homme plus âgé qui va le prendre sous son aile tout en l’initiant à la prostitution, était là depuis le début. Mais au fil des années, la situation politique brésilienne a changé. Jair Bolsonaro est arrivé au pouvoir. Ça n’a pas modifié l’ADN du film : Marcelo est queer à 3000 % et baroque dans son style. Mais la situation a renforcé son désir de raconter les histoires de personnages marginaux, à un moment où ils devenaient invisibilisés par le pouvoir.

JL : Le scénario a aussi pu évoluer car l’écriture s’est étalée sur plusieurs années faute de financement : l’Ancine, l’Agence nationale du cinéma [l’équivalent du CNC au Brésil, ndlr] a fermé ses portes. Marcelo a donc pu continuer à travailler ses personnages en passant beaucoup de temps avec des LGBT qui vivent dans la rue. Il n’empêche qu’à un moment donné, on s’est demandé si on allait vraiment pouvoir faire le film. On s’est même posé la question de rapatrier le tournage à Paris où vit une communauté brésilienne que Marcelo connaît très bien. Et puis, le financement a finalement été possible au Brésil. Mais il a commencé par la voie régionale et non nationale puisque c’est la ville de São Paulo qui a été la première à s’engager. Quand l’Ancine a rouvert, on avait déjà un début de financement. Nous n’avons pu postuler qu’au guichet de coproduction minoritaire.

Comment s’est déroulé le financement côté français ?

JL : Ça a été aussi difficile puisque nous n’avons obtenu l’Aide aux cinémas du monde du CNC qu’au troisième dépôt. Je crois que la commission voulait sincèrement soutenir ce film, aimait le scénario. Mais du fait de l’incertitude née de la situation politique brésilienne, la question de la capacité de Baby à voir le jour se posait. Au final, on a obtenu cette aide. Et la Région Île-de-France nous a aussi soutenus en postproduction.

Ce financement impliquait-il que certains chefs de poste soient français ?

JL : On a eu deux chefs opérateurs brésiliens pour des raisons contractuelles – ce qui fut un grand atout – car la ville de São Paulo a demandé pour des questions d’équité un homme et une femme à ce poste. Pedro Sotero (Aquarius, Gabriel et la montagne…) qui est un grand directeur de la photographie brésilien, et Joana Luz, brésilienne elle aussi, mais qui vit à Arles et qu’on connaissait car on avait déjà travaillé ensemble. Le son a lui été signé par Graciela Barrault, une Franco-Argentine qui vient du documentaire, ce qui a été un atout majeur quand on tourne dans une ville aussi bruyante que São Paulo. Le monteur Fabian Remy vit, lui, entre la France et Rio de Janeiro. Ce qui lui a permis de travailler sur place avec Marcelo. On a ensuite réalisé toute la postproduction son aux Pays-Bas et la postproduction image en France.

 

Qu’est-ce qui vous a frappé à la découverte des premiers rushes de Baby ?

JL : C’est un moment que j’adore car il me permet de vivre le tournage à distance, de partager l’énergie du plateau. Et dans le cas de Baby, tout cela m’a sauté immédiatement aux yeux.

PM : Moi, je ne les regarde pas. Parce que je sais que si je vois un truc qui ne me plaît pas, je ne pourrai rien faire. Je suis très présent pendant l’écriture et au montage. Mais pas entre les deux. Je déteste aller sur les plateaux, par exemple. C’est pour cela qu’on est très complémentaires avec Juliette. J’attends toujours le premier « ours » du montage en tremblant.

Comment s’est déroulée la collaboration avec Marcelo Caetano sur le montage ?

PM : Ça passe par une très longue série d’allers-retours pour ce qui constitue l’ultime écriture du film. Et encore plus dans le cas de Marcelo dont le travail s’approche du documentaire et ne suit pas exactement le scénario. Le défi du montage de Baby était de trouver le bon rythme, la bonne forme. On a même dû pour cela supprimer un personnage important. Mais Marcelo a été formidable une fois de plus. Car c’est toujours très dur de faire le deuil de moments auxquels on est attaché, même si c’est au service du film. Comme producteurs, on peut passer pour des arracheurs de dents. Mais à chacune de nos remarques, Marcelo a pris le temps de la réflexion pour ne pas réagir à chaud. Il n’a évidemment pas dit oui à tout, mais il a vraiment accepté des coupes de manière très constructive.

JL : Il se trouve que j’étais au Brésil pour participer à un laboratoire de projets. J’ai donc eu la chance de découvrir la toute première version qui faisait 2 h 40. Et j’ai tout de suite envoyé un message à Pierre pour lui dire qu’il y avait certes du travail mais surtout un film. En parlant pendant deux ou trois heures avec Marcelo, son producteur et son monteur, j’ai pu voir à quel point Marcelo était en effet dans le désir d’entendre les choses et même d’être contredit.

PM : En fait, ce travail sur le montage a consisté à l’aider à accoucher de son propre style baroque. Car il y a du chaotique plaisant et du chaotique problématique. Il a donc fallu doser tous les effets de style afin que ce ne soit ni trop indigeste ni trop sobre pour ne pas nier qui il est. Marcelo a compris qu’on était là pour l’aider à aller dans son propre sens.

La découverte des premiers rushs est un moment que j’adore car il me permet de vivre le tournage à distance, de partager l’énergie du plateau. Et dans le cas de Baby, tout cela m’a sauté immédiatement aux yeux.
Juliette Lepoutre
productrice (Still Moving)

Quand le distributeur Épicentre est-il entré dans l’aventure ?

JL : Les vraies discussions ont eu lieu une fois le film terminé. Mais Daniel (Chabannes) et Corentin (Sénéchal) avaient fait part de leur envie de distribuer le film dès la lecture du scénario. Ils connaissaient très bien Marcelo et Ivan. Ça ne nous a pas empêchés, comme on le fait toujours, de montrer le film à plusieurs distributeurs. Mais Épicentre a fini par s’imposer.

Comment avez-vous vécu Cannes et la présentation de Baby à la Semaine de la Critique ?

PM : Ce fut magnifique. On savait que le film allait plaire. Qu’il était très émouvant, très fort, très intense, très joyeux, mais aussi très grave. Toute l’équipe était là. Et je n’avais jamais connu un tel festival de Cannes sans la moindre ombre au tableau. Tout cela a aussi déclenché les ventes internationales, puisque Baby s’est vendu dans le monde entier. La toute première a été annoncée la veille de la projection : les États-Unis et le Canada, pour un très bon montant. Un tremplin parfait pour la suite. Baby a gagné une centaine de prix depuis à travers le monde. Les ventes continuent encore presque un an après. C’est vraiment une histoire magnifique.

L’histoire va-t-elle continuer ? Avez-vous déjà prévu de collaborer à nouveau avec Marcelo Caetano ?

JL : Oui ! On travaille déjà ensemble et Pierre et moi avons même commencé à lire des choses !
 

BABY

Affiche de « Baby »
Baby Epicentre

Réalisation : Marcelo Caetano
Scénario : Marcelo Caetano et Gabriel Domingues
Production : Still Moving
Distribution : Épicentre
Ventes internationales : m-appeal
Sortie le 19 mars 2025

Soutien sélectif du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation