Claire Simon : « Le documentaire, c’est le cinéma de la première fois ! »

Claire Simon : « Le documentaire, c’est le cinéma de la première fois ! »

27 janvier 2025
Cinéma
« Apprendre » réalisé par Claire Simon
« Apprendre » réalisé par Claire Simon Condor Distribution

Après Récréations et Premières Solitudes, la réalisatrice poursuit avec Apprendre – tourné au sein d’une école élémentaire publique d’Ivry-sur-Seine – son exploration du monde scolaire et de ce qui s’y joue entre élèves et enseignants, entre enfants et adultes. Elle nous détaille le pourquoi et le comment de ce pan essentiel de sa filmographie documentaire.


Récréations, en 1992, Premières Solitudes, en 2018, et aujourd’hui Apprendre. Qu’est-ce qui fait que vous avez envie de revenir à intervalles réguliers explorer le jeune âge dans le milieu scolaire ?

Claire Simon : D’abord parce que j’adore la jeunesse. Et parce que pour moi, le documentaire, c’est le cinéma de la première fois ! La plupart du temps ceux qu’on filme le sont pour la première fois de leurs vies. Et ces enfants, ces préadolescents, ces adolescents qu’on voit dans mes documentaires sont vraiment des êtres de la première fois. J’adore observer et filmer ces moments-là. Ce côté éphémère qu’on cherche à retrouver toute sa vie. Cette exaltation qu’ils ont en pensant au futur. Chaque endroit que je suis allée explorer est différent. Aucun établissement ne ressemble à un autre. Aucun enfant, aucun ado, aucun professeur non plus… D’ailleurs, je continue sur ce chemin puisque je tourne mon nouveau film avec des lycéens !

Comment est né le projet Apprendre ?

J’ai eu envie de raconter la vie d’une école primaire en banlieue parisienne. D’abord en me concentrant sur les enfants avant que, au fil de mes visites préparatoires, naisse le désir de montrer les échanges entre enfants et adultes qui constituent le cœur de leurs quotidiens respectifs. J’ai voulu notamment donner à voir les choses qui évoluent dans le bon sens. Je pense à cet outil formidable qui s’est peu à peu imposé : la médiation, qui permet de résoudre au plus vite dans l’échange et la discussion un conflit naissant et empêche la situation de se dégrader. Ça donne aux enfants des clés pour maîtriser les conflits et les débordements qu’ils rencontreront forcément en grandissant. Ça les responsabilise. J’ai adoré filmer ces moments-là.

Pourquoi avoir choisi l’école Makarenko à Ivry-sur-Seine ?

Parce qu’elle brille dans notre monde tout gris ! Elle est jaune, orange, magnifique… Les architectes qui ont remanié ce lieu en sont très fiers. Je voulais filmer une école d’aujourd’hui, différente de celle de Récréations, qui pourrait encore appartenir à l’époque de Jules Ferry. Rencontrer le directeur de l’école Makarenko, me retrouver face à quelqu’un d’aussi formidable, d’aussi drôle, d’aussi amoureux de la pédagogie et d’aussi engagé pour faire en sorte que tous les enfants vivent vraiment ensemble entre ces murs, n’a fait que renforcer mon coup de foudre. J’ai ressenti la même chose ensuite avec les enseignants. Cependant, je n’ai pas fait Apprendre pour dire que tout allait bien mais pour filmer l’école de la République.

N’avoir aucun plan préconçu s’est révélé la meilleure manière de faire ce film.

Quand vous vous êtes lancée, aviez-vous une structure, une colonne vertébrale ?

Aucune. Je savais juste que je voulais commencer et terminer par une rentrée scolaire. Pour le reste, Apprendre s’est construit au fil de ce que j’ai découvert en tournant, en faisant fi de mes a priori. Par exemple, j’avais peur de ne pas savoir filmer la classe et encore plus de m’y ennuyer. Erreur absolue ! (Rires.) N’avoir aucun plan préconçu s’est révélé la meilleure manière de faire ce film.

Aviez-vous un emploi du temps précis des jours où vous veniez tourner ?

Non, je venais quasiment tous les jours. J’ai commencé par filmer les récréations puis, petit à petit, je me suis mise à déjeuner avec les instituteurs dans leur salle des professeurs. J’échangeais avec eux. Ils m’expliquaient ce qu’ils comptaient faire dans l’après-midi et je leur demandais si je pouvais venir filmer. Ça a été vraiment très fluide.

 

À travers eux, avez-vous aussi conçu Apprendre comme un hommage à ce corps enseignant ?

Complètement ! J’ai voulu filmer le travail magnifique qu’ils font au quotidien, leur implication sans faille pour inculquer, au-delà d’un savoir, un savoir-être. J’ai été totalement éblouie par ce que j’ai pu voir. J’ai grandi à la campagne dans un village où il n’y avait qu’une classe. Et je n’ai jamais oublié qu’être écolière m’avait permis pour la première fois de me sentir citoyenne. Je pense que c’est la même chose, plus ou moins consciemment, pour tous les enfants. Je vois l’école comme un abri où ils se développent, grandissent et peuvent pour l’une des rares fois de leur existence être tous égaux.

Filmer l’école a ceci de singulier que c’est un des rares lieux interdits habituellement aux caméras. Un lieu sacralisé…

Complètement ! Et je crois que l’intérêt d’Apprendre réside aussi dans le fait qu’il permet aux parents de voir ce qui se passe à l’école, l’implication des enseignants, ce qui se joue entre eux et les enfants. Ça bat en brèche nombre d’idées reçues. L’école républicaine est l’une des rares choses qui nous unit car tous autant que nous sommes, nous avons passé du temps sur ses bancs. Le travail que les professeurs font, leur patience et leur bienveillance n’ont pas de prix !

Comment avez-vous construit le montage de cette année passée en immersion ?

J’ai suivi la méthode Frederick Wiseman ! Monter d’abord chaque séquence avant de faire du « bonneteau » et de couper. On passe ainsi des 3 heures initiales à 1 h 40 en un mois. Mais ça a été un sacré travail avec énormément d’équilibres à préserver : entre les adultes et les enfants, entre ce qui se passe dans la classe et en dehors. Ma seule certitude concernait le début du film : l’accueil des élèves par le directeur lors de la rentrée des classes. Puis j’ai voulu qu’on montre assez vite les différentes manières de travailler des enseignants avec les enfants et les temps de médiation que j’évoquais plus tôt, où les discussions sur la religion abondent. Des discussions auxquelles les enseignants sont évidemment formés. D’autant plus que, comme je le montre, la question de savoir si on doit obéir à toutes les obligations religieuses enflamme très vite la classe car le sujet est abrasif, même s’il a lieu à travers des échanges où il y a quand même beaucoup de sourires, de rires, de blagues…

L’école Makarenko à Ivry-sur-Seine brille dans notre monde tout gris ! Elle est jaune, orange, magnifique […] Je voulais filmer une école d’aujourd’hui, différente de celle de Récréations, qui pourrait encore appartenir à l’époque de Jules Ferry.

Le fait de montrer ce ton qui peut monter s’inscrit-il pleinement dans votre logique de transparence ?

Oui. Ce film ne nie rien mais insiste sur le fait que des cas particuliers – qui sont bien évidemment tragiques et violents – ne constituent pas la règle, contrairement à ce qu’on peut voir ou lire sur les réseaux sociaux et dans certains médias. Je pense au harcèlement par exemple. Toutes les écoles de France ne sont pas le théâtre du harcèlement. Notamment parce que dans chaque école, à Makarenko comme ailleurs, il existe énormément de prévention avec des gens qui viennent mettre des mots sur les maux et apprennent aux enfants à dénicher les abus, à prendre appui sur leurs copains ou les adultes qui pourraient les aider.

Comment ont réagi les enfants de l’école Makarenko à la projection d’Apprendre ?

Ils ont adoré ! Leur enthousiasme m’a touchée droit au cœur. Apprendre a été projeté sur grand écran au cinéma Luxy d’Ivry. J’ai été surprise par l’incroyable concentration de tous les enfants, du CP au CM2. Le cinéma opère une reconnaissance. En regardant ce film, ces enfants se sont sentis reconnus comme des héros de cinéma. Dans leur tête, ça les aide à se dire qu’ils existent. C’est à mes yeux l’une des raisons majeures de l’existence de ce film.
 

APPRENDRE

Affiche de « APPRENDRE »
Apprendre Condor Distribution

Réalisation : Claire Simon
Production : Les Films Hatari
Distribution : Condor Distribution
Sortie le 29 janvier 2025

Soutiens sélectifs du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, FAI doc - aide à l'écriture et développement, Fonds Images de la diversité (aide à la production 2023)