« Certains pensent encore qu’on ne fait que du coloriage », explique Lesceline Haase quand on l’interroge sur les préjugés auxquels elle est parfois confrontée. Cette coloriste d’animation expérimentée, qui officie depuis une dizaine d’années dans le milieu, a travaillé sur des films prestigieux comme Ernest et Célestine de Stéphane Aubier, Vincent Patar et Benjamin Renner, Le Grand Méchant Renard et autres contes… de Benjamin Renner et Patrick Imbert, et plus récemment Les Hirondelles de Kaboul d’Eléa Gobbé-Mévellec et Zabou Breitman. Il s’agit d’un travail d’équilibriste (il faut réussir à imposer son style sans dénaturer les dessins et l’animation), rarement mis en avant et pourtant indispensable. « Je ne fais pas de la colorisation en tant que telle, mais plutôt ce qu’on peut appeler de l’animation couleur, tient-elle à préciser. La colorisation consisterait à utiliser l’outil pot de peinture du logiciel et à remplir les formes des personnages en un clic ».
Ce qui n’est pas le cas ! La couleur n’est qu’une partie du quotidien de Lesceline Haase. « Comme la plupart des gens qui travaillent dans les métiers de l’animation, je suis ‘multi-casquettes’. Mon emploi principal est l’assistanat d’animation, ce qui consiste à aider l’animateur dans ses différentes tâches, à « cleaner » ses dessins (soit la remise au modèle des personnages pour obtenir un rendu final plus propre) et à faire ses intervalles, les dessins qui, entre les poses-clés, permettent de fluidifier le mouvement. Ce n’est qu’après toutes ces étapes que l’on peut enfin coloriser les poses-clés et revenir sur les intervalles. Il faut donc savoir dessiner et avoir de bonnes connaissances en animation. C’est grâce à cela que j’ai été prise sur plusieurs projets en colorisation. »
La tablette graphique, un outil essentiel
Les trois films sur lesquels Lesceline Haase était en charge de l’animation couleur avaient la spécificité de revenir à une « colorisation plus traditionnelle », presque à l’ancienne. « Bien qu’une partie du travail ait été réalisée par ordinateur, il fallait coloriser chaque dessin de l’animateur à la main ». Quand c’est le cas, les coloristes n’utilisent plus de celluloïds : la feuille plastique, moins pratique que le numérique, est passée de mode depuis des années. Ils ont donc recours à une tablette graphique, un outil qui permet de retrouver « la même approche que sur du papier » et des sensations pratiquement équivalentes.
Lesceline Haase ajoute que ces trois longs métrages avaient également en commun de « tendre vers un rendu aquarelle », ce qui complexifie fortement le processus de colorisation : « Les animateurs ne devaient pas fermer leurs traits. A certains endroits, ils ne les faisaient même plus du tout. Cela rendait l’animation moins lourde mais il fallait alors compléter par de la couleur. C’est là que des connaissances en animation sont absolument nécessaires, le mouvement étant fini par la couleur et non plus par le trait ».
La communication avec le réalisateur
Le ou la coloriste d’animation doit donc s’adapter à chaque projet et travaille étroitement avec le réalisateur. C’est à ce stade que se joue une bonne partie du rendu visuel de son film. Selon le film et le cinéaste, les demandes peuvent être extrêmement variées et laisser plus ou moins de liberté : « Par exemple sur Les Hirondelles de Kaboul, Eléa Gobbé-Mévellec avait une idée très précise de ce qu’elle voulait et nous avons beaucoup échangé afin de concrétiser sa vision », raconte Lesceline Haase. « Comme l’histoire se passe en Afghanistan, Eléa voulait jouer sur le clair-obscur. Pour les extérieurs, nous avons rajouté des liserés blancs sur les personnages afin de donner l’impression qu’ils étaient ‘mangés’ par la lumière. Et en intérieur, nous avons posé des ombres marquées, créant ainsi une véritable ambiance. Ce fut un très gros travail où le terme d’animation couleur a pris tout son sens », se souvient l’artiste.
Formée à l’EMCA, l’École des métiers du cinéma d’animation d’Angoulême (il existe plusieurs autres formations, comme l’ESMA qui possède des campus à Nantes, Lyon, Toulouse, Montpellier et Montréal), Lesceline Haase a commencé sa carrière en tant que traceuse sur Persépolis de Marjane Satrapi, avant de devenir assistante animatrice. « Je l’ai surtout fait sur les longs métrages, car on utilise peu d’assistante animatrice sur les séries, dont les budgets sont bien souvent plus réduits que ceux des films ».
Pour ceux qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure, elle recommande énormément de « patience. C’est un travail long et fastidieux, et beaucoup de mes amis animateurs se sont tapé la tête sur leur tablette en voulant m’aider sur les fins de production ! »