Comment « Le Syndrome des amours passées » vient revisiter la comédie romantique ?

Comment « Le Syndrome des amours passées » vient revisiter la comédie romantique ?

24 octobre 2023
Cinéma
Le Syndrome des amours passées
« Le Syndrome des amours passées » réalisé par Ann Sirot et Raphaël Balboni. KMBO

En 2021, le CNC a lancé son 4ème appel à projets en faveur de la production de films de genre consacré cette année-là à la comédie romantique. Le Syndrome des amours passées (Tripode Productions), qui réinvente la relation de couple par le prisme de la comédie, est l’un des trois lauréats. Les scénaristes et réalisateurs Ann Sirot et Raphaël Balboni se livrent sur leur rapport à l’écriture et sur la façon dont ils se sont amusés à revisiter les codes de la comédie romantique.


Quelle est l’idée de départ du Syndrome des amours passées ?

Ann Sirot : On en a eu l’idée avant Une vie démente qui fut plus rapide à financer. Et c’est une fois celui-ci terminé qu’on s’est replongés dans Le Syndrome des amours passées, qui se situe à la croisée de plusieurs envies. À commencer par celle de traiter de la réinvention du couple et de la famille déjà présente dans Une vie démente et dans nos courts métrages précédents, mais en lui donnant une nouvelle forme, une nouvelle porte d’entrée. Or, il se trouve qu’on a toujours été amusés par les scénarios dits à « haut concept » et qu’on n’avait jamais encore eu l’occasion de s’y essayer. Je trouve jubilatoire ce principe de jeter un sort aux personnages à qui il arrive toujours quelque chose d’un peu fantastique certes, mais qui touche à un endroit de leur intimité. Portés par notre inclinaison pour la comédie, on a eu envie de passer par ce prisme pour explorer nos thématiques habituelles.

Comment commencez-vous à travailler sur le scénario?

Raphaël Siboni : On se concentre d’abord sur la trame du récit et l’arc dramatique des personnages principaux. Et ensuite seulement, on commence à jouer avec les multiples situations qui nous offrent ce point de départ singulier mais sans jamais perdre de vue l’essentiel : l’évolution des personnages principaux, la manière dont la confiance va changer de camp entre les deux. Chaque histoire avec un ex doit nourrir l’évolution de notre duo tout en permettant de rentrer à chaque fois dans un univers différent, associé à une thématique différente.

Mais il fallait pour cela parvenir d’emblée à faire exister Sandra et Rémy en tant que couple pour ensuite parvenir à développer leurs aventures individuelles…

RS : Vous avez raison et cela passe par un travail avec les deux comédiens –Lucie Debay et Lazare Gousseau– qui a débuté un an et demi avant le tournage afin que les personnages aient le temps d’infuser en eux. On s’est vus une trentaine de fois en répétition… Et, en parallèle, on a fait avec Ann tout un travail de dentelle à l’écriture, au tournage et au montage pour susciter l’empathie nécessaire. Il faut être attentif car on peut vite tomber dans quelque chose d’un peu graveleux, d’un peu lourd. Il fallait rester sur cette ligne de crête à chaque étape pour rendre le couple sincère et juste.

Il était évident dès le départ qu’il y aurait ce déséquilibre entre le nombre d’ex de l’un et de l’autre ?

AS : Oui, car dans ce récit où chacun va se réconcilier avec son passé affectif, il nous paraissait essentiel qu’ils aient deux tempéraments sensuels différents et qu’ils aient pu être amenés à toucher le corps des autres de façon différente. Chez Rémy, les relations amoureuses se construisent avant tout sur la complicité, l’amitié, la confiance avec sa partenaire. Sandra, elle, est dans quelque chose de plus physique, de plus intuitif, de plus expérimental, de plus immédiat.

RS : Ça nous plaisait de jouer –en le retournant– avec ce cliché qui veut que les hommes soient fiers d’avoir eu de nombreuses conquêtes et que les femmes le cachent. Que cela devienne un sujet central dans leurs échanges. Sandra fait remarquer à Rémy que si elle a eu plus de relations que lui, celles qu’il a vécues, lui, ont duré plus longtemps. Donc qu’est ce qui compte le plus ? La quantité ou le temps passé en couple ?

AS : La confusion classique entre expériences et nombre de partenaires.

RS : Et la comédie nous permet d’aborder par la légèreté et le rire toutes ces questions plus profondes qu’elles n’en ont l’air.

Développer autant de mini-histoires avec les ex, c’est aussi imaginer à chaque fois des univers romantiques différents. Comment avez-vous travaillé à les créer avec votre directeur de la photo, Jorge Piquer Rodriguez, déjà à vos côtés sur Une vie démente ?

AS : Ce sont des choses qui se gèrent avec toute l’équipe artistique. Tout au long de l’année qui a précédé le tournage, on a fait des réunions avec Jorge, le chorégraphe Denis Robert et le chef décorateur Julien Dubourg. Et les décisions sur l’image ont été prises conjointement. Par exemple, pour tous les moments de métaphore sexuelle, on a fonctionné par petits ateliers de trois ou quatre jours à chaque fois afin de trouver des idées et d’avancer ensemble.

RB : On aime travailler avec des gens qui ne viennent pas forcément du cinéma. Notre chef opérateur est issu des Beaux-Arts et a commencé par filmer de la danse. Notre chef costumier, Frédérick Denis, vient de la mode et a lui aussi travaillé avec des chorégraphes sur des spectacles de danse. On se nourrit de leurs expériences diverses qui leur permettent d’arriver avec des propositions différentes, inattendues. Il y a une réelle émulation entre nous tous. Évidemment, c’est Ann et moi qui tranchons à la fin, mais on va vraiment s’appuyer sur eux et l’élargissement du champ des possibles qu’ils permettent.

 

Vous n’allez jamais chercher de références cinématographiques ?

AS : Non, quasiment jamais. Pour toutes les métaphores sexuelles, une de nos grandes inspirations fut une série de clichés de Jimmy De Sana, un photographe new-yorkais des années 70, sur l’intimité des couples. Chaque image les représente cachés derrière le mobilier de leur appartement ou jouant avec des vêtements : une paire de fesses qui sort d’un canapé, un couple coincé dans le même pull. On s’est aussi appuyés sur des travaux de plasticiens, sur du spectacle vivant...

Comment vous répartissez-vous les tâches dans cette création en duo ?

AS : Depuis notre premier court ensemble, on travaille toujours un peu de la même façon. Au départ, je me lance seule sur l’écriture des traitements. Puis dès qu’arrive à l’étape du séquencier, on se relaie, mais sans jamais se répartir les tâches. Il n’y a aucun domaine réservé pour l’un ou pour l’autre.

RB : On a une façon d’écrire très différente, qui nous rend complémentaires. Ann est scénariste de formation alors que moi, je viens du montage. Comme on le disait, on travaille très en amont avec les comédiens. Et on filme et on monte ces répétitions. Intervenir au montage sur les répétitions est ma façon de rentrer dans le processus d’écriture. Puis une fois sur le plateau, comme l’a dit Ann, on fait tout à deux. Il n’y en a pas un qui parle aux acteurs et l’autre aux techniciens, par exemple.

AS : Je ne vois pas d’autre manière de fonctionner à deux. Quand il faut prendre des décisions cruciales de mise en place ou de mise en scène, il est impossible de s’isoler à chaque fois plusieurs minutes sur le plateau. Il faut se mettre d’accord en amont et ne plus varier. Alors que quand on réalise en solo, on peut plus facilement prendre des décisions à l’arrache, sur le vif.

L’étape montage a beaucoup modifié la variation singulière autour de la comédie romantique que vous proposez avec Le Syndrome des amours passées ?

RB : On prend toujours un mois de pause après le tournage avant de commencer le montage. Je monte ensuite seul durant les dix premières semaines avant d’être rejoint par Sophie Vercruysse. Et à partir de là, Sophie et moi montons chacun de notre côté, Ann passant d’une salle à l’autre. Tout cela prend beaucoup de temps car on réécrit beaucoup le film à cette étape. On repart à zéro ou presque en essayant d’oublier le scénario pour travailler à partir de la matière du plateau. Le montage du Syndrome des amours passées s’est étalé sur vingt-quatre semaines, entrecoupées de beaucoup de projections tests qu’on débute au bout de huit semaines, chaque mercredi, en réunissant à chaque fois quatre personnes– deux hommes et deux femmes, deux personnes du métier et deux qui lui sont totalement étrangères. À l’issue de la projection, elles nous parlent pendant deux heures de leur ressenti et on essaye de voir si ça trouve un écho avec notre propre sensation. On en a fait une douzaine en tout. On a besoin de ces échanges pour parvenir au résultat que vous avez découvert en salles.

le syndrome des amours passées

Le syndrome des amours passées
Le syndrome des amours passées KMBO

Réalisation et scénario : Ann Sirot et Raphaël Balboni
Photographie : Jorge Piquer Rodriguez
Montage : Sophie Vercruysse et Raphaël Balboni
Musique : Julie Roué
Production : Héliotronc, Tripode Productions
Distribution : KMBO
Ventes internationales : Be For Films
Sortie en salles 25 octobre 2023

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