« Planète B » : Aude Léa Rapin raconte les secrets de fabrication de son film de science-fiction

« Planète B » : Aude Léa Rapin raconte les secrets de fabrication de son film de science-fiction

23 décembre 2024
Cinéma
« Planète B »
Adèle Exarchopoulos dans « Planète B » Les Films du bal/Wrong men

Rencontre avec la réalisatrice Aude Léa Rapin, qui détaille la conception du monde dystopique de Planète B, son deuxième long métrage.


Dans quelle mesure le budget dont vous disposiez a-t-il influencé la conception de l'univers de science-fiction que vous avez imaginé pour Planète B ?

Aude Léa Rapin : C’est une question fondamentale. Pour y répondre, il faut commencer par contextualiser et souligner que la science-fiction n’est pas du tout dans notre ADN français ou européen. Autant il y a une très forte émergence du cinéma de genre en France ces dernières années – dans le body horror avec Julia Ducournau ou Coralie Fargeat, dans le fantastique avec Le Règne animal ou Animale, ou dans des genres plus inclassables comme avec les films de Bertrand Mandico ou Alexis Langlois –, autant la science-fiction apparaît comme le parent pauvre de cette tendance. Bien en peine celui qui voudrait citer un film de SF français récent. Les grandes références sont anciennes, comme Malevil, l’adaptation du livre de Robert Merle par Christian de Chalonge. La science-fiction, c’est la création d’univers, de mondes imaginaires, qui impliquent souvent l’idée d’épopée. Or, l’épopée coûte cher. En France, on sait qu’on n’aura jamais le dixième du budget de Dune ou de Matrix. Des générations de scénaristes ont été écrasées sous le poids de cette réalité qui les a empêchés de se lancer. J’avais un profond désir de faire de la science-fiction. Avec ma productrice Eve Robin, nous savions que le budget devait tenir entre 3 et 6 millions d’euros. Tout s’est organisé autour de la question de la faisabilité de ce film. Les questions étaient les suivantes : combien ça coûte ? Comment on fabrique les choses dont nous avons besoin ? Comment donne-t-on au récit une dimension, une atmosphère, qui ne fasse pas carton-pâte, et qui soit en même temps réaliste par rapport à l’économie qui sera la nôtre ? Chaque idée devait être confrontée à sa faisabilité concrète. Très tôt dans le processus, un vrai travail d’équipe s’est mis en place. Il a, par exemple, fallu initier très en amont une vraie réflexion sur les décors. Et il a fallu faire des choix : peu de personnages, un seul costume par personnage, des VFX qui sont presque redondants, des décors dans lesquels on repasse –comme dans un système de boucle… On est dans le « zéro déchet ». C’est presque le commerce équitable du film de genre ! (Rires.) Et cette manière de penser a en effet influencé le récit.

 

Quel rôle a joué dans l’élaboration de Planète B l’aide au parcours d’auteur dont vous avez bénéficié ?

L’aide au parcours d’auteur est intervenue à un moment décisif. Planète B est un film qui a été long à écrire. Cela a duré lors des différents confinements, dont était par ailleurs prisonnier mon premier long métrage, Les Héros ne meurent jamais. Celui-ci, présenté à la Semaine de la critique à Cannes en 2019, n’a pu sortir en raison des fermetures de salles. Il a finalement eu droit à une sortie très technique, en septembre 2020, juste avant une nouvelle fermeture. Tout cela a impacté le travail sur mon deuxième long métrage. Comment se projeter dans quelque chose d’ambitieux quand les conditions économiques sont difficiles ? Je savais que je partais pour deux ans d’écriture scénaristique, et que je m’associais à une productrice elle-même fragilisée par le Covid. L’aide au parcours d’auteur a été une soupape de sécurité, qui m’a permis d’avancer étape par étape, de tenir les mois nécessaires pour aller jusqu’à l’aide au développement. Sans elle, je n’aurais pas pu écrire ce film, ou alors j’aurais imaginé quelque chose de plus petit. Ça m’a donné de l’air du temps et aussi permis des rencontres importantes, puisque mon parrain et ma marraine étaient Jacques Audiard et Virginie Despentes.

Pourquoi avoir choisi de dépeindre une sorte de « futur immédiat », la France de 2039, assez proche de la nôtre ?<

Mon ami, et compositeur de la musique du film, Bertrand Bonello – qui est d’ailleurs l’un des rares cinéastes français qui s’est essayé à la SF récemment – avait dit un jour dans une interview à propos de La Bête que le plus dur dans la science-fiction, c’était de penser à un futur proche. Je crois en effet que l’époque des films de Luc Besson, où l’on pouvait imaginer un avenir avec des voitures qui volent, sans aucune considération sur la réalité de l’état et des ressources de la planète, est terminée. Il y avait dans Planète B l’envie d’être le plus juste dans ce que je ressens profondément du futur : la paupérisation, le tout-sécuritaire, des crises auxquelles on ne trouve pas de solution, qu’elles soient écologiques ou migratoires… Tous ces sujets sont présents dans mon film. J’ai décidé de me confronter à ces problèmes-là et de ne pas chercher à en inventer d’autres. Qu’est-ce que la paupérisation de la société suppose en termes de décors ? Très vite a surgi l’idée qu’en 2039, l’État luttera pour que les centres-villes ne se transforment pas en bidonvilles. D’où les hérissons tchèques partout dans les rues de Planète B – ces hérissons tchèques qui sont normalement utilisés dans les guerres pour empêcher le passage des chars. C’est très discret mais c’est là. Des drones surveillent la population, il y a des récupérateurs d’eau de pluie dans les rues… Toutes ces petites idées s’agrègent et débordent de l’aspect scénaristique du film. Elles naissent quand on s’assoit avec toute l’équipe pour réfléchir aux décors, à la direction artistique du film et des personnages. Ce qui s’est joué sur Planète B, c’est qu’on a travaillé avec nos peurs. Fabriquer un film comme celui-ci, c’était mettre en commun un sentiment assez angoissant de l’avenir proche. Le projet nous obligeait à mettre sur la table nos pensées, nos réflexions, nos appréhensions, et c’est ce qui nous a permis de créer le design de ce monde qui, au scénario, était beaucoup moins précis, plus esquissé. Je me suis beaucoup appuyée sur le film Les Fils de l’homme, qui est particulièrement intéressant dans son appréhension d’un futur à taille humaine. On s’est rendu compte qu’avec des bâches, des poubelles, des matériaux accessibles, on pouvait bâtir un univers crédible, un peu « système D ».

Le monde de Planète B existe-t-il de façon plus vaste dans votre imagination, est-il plus grand que ce qu’on en voit à l’écran ?

Oui, bien sûr. C’est d’ailleurs le risque des gros films à 100 millions de dollars : le réalisateur peut devenir un peu mégalo, trop fier de ses images et de ses focales. Ici, il ne s’agissait pas de tenter de plagier une grandiloquence à l’américaine. Nous aurions souffert de la comparaison. J’ai tenu à aller chercher une directrice de la photographie dans un cinéma très réaliste, quelqu’un qui sait filmer des personnages. J’avais envie de travailler avec Jeanne Lapoirie. Je me disais : qu’est-ce que ça donnerait, l’image de 120 Battements par minute dans un film de science-fiction ? C’était d’autant plus intéressant que Jeanne a aussi travaillé avec Robin Campillo sur Les Revenants, qui était à la lisière du genre. Mais sur le papier, c’est un choix complètement contre-intuitif ! La SF, c’est en mettre plein les yeux. Mais je préférais me concentrer sur cette idée : il fallait que la relation entre deux personnages soit plus forte que les règles du monde. Les personnages devaient donc être au centre du cadre. Il m’a semblé que c’était la seule manière de faire ce film dans cette économie.

Il y a deux films en un dans Planète B, l’un dans le monde réel, l’autre dans le virtuel. La partie virtuelle se déroule au soleil, au bord de la mer, ce qui aussi une manière d’aller contre les conventions de la science-fiction…

Pas totalement, puisqu’il y a aussi toute une tradition de la science-fiction sur des gens prisonniers d’une île, de L’Ile mystérieuse à la série Lost. Tradition qui a donné naissance aux escape games : les jeunes adorent faire semblant d’aller se perdre sur une fausse île alors qu’ils sont en réalité enfermés dans un sous-sol à Paris. Un jeu vidéo comme Far Cry a également beaucoup influencé les décors de ce paradis carcéral. Il y a en effet deux films en un dans Planète B, deux films aux directions artistiques très différentes. L’un qui sculpte le noir, l’autre la lumière. L’un solitaire, l’autre collectif. Ces deux films en un nous ont fait enchaîner deux phases de tournage à peu près similaires, de vingt jours chacune.

Vous citez Les Fils de l’homme, Lost, Far Cry… Aviez-vous d’autres références en tête ?

Un film très important pour moi a été Punishment Park (1971) de Peter Watkins. Watkins réfléchit à la façon de réunir du politique et du récit, dans un film qui est à la fois réflexif et – même si c’est presque horrible de le dire comme ça – profondément divertissant. On est tenu dans un suspense de bout en bout, dans le cadre d’un film de genre qui nous pousse à réfléchir à la société dans laquelle on a envie de vivre. Il y a par ailleurs une adresse très forte à la jeunesse. Punishment Park me renvoie à cette question que j’avais envie de poser dans Planète B, celle de la résistance. Nous avons grandi dans la glorification des résistants de la Seconde Guerre mondiale, qui ont dû, pour résister, saboter et commettre des actes illégaux. Les résistants de demain vont se heurter à une crise écologique très dure. Jusqu’où ira la passivité de la société, quand ce sera un problème de boire de l’eau potable, de bien respirer en ville, de se nourrir correctement ? Tout ça se retrouve dans le geste de Watkins, qui anticipe dès 1971 les glissements de la démocratie qu’on est en train d’observer aujourd’hui aux États-Unis et en Europe… Dans le champ des références, je pourrais aussi citer des films comme Get Out de Jordan Peele ou Take Shelter de Jeff Nichols, des œuvres de divertissement qui nous renvoient à la société dans laquelle nous vivons, et qui peuvent avoir différents niveaux de lecture, selon qui les regarde. Je suis également très nourrie de littérature de science-fiction. Et ce qui m’a beaucoup manqué dans ces récits, ce sont des personnages de femmes auxquels m’identifier. Cette référence absente m’a donné envie de faire de la SF au féminin.

Planète B

Planète B
Le Pacte
Réalisation : Aude Léa Rapin
Scénario : Aude Léa Rapin
Production : Eve Robin (Les Films du Bal)
Coproduction : Benoît Roland (Wrong Men)
Distribution : Le Pacte
Ventes internationales : StudioCanal
Date de sortie : 25 décembre 2024
Soutiens sélectifs du CNC : Aide sélective VFX (2023), Aide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée, Avance sur recettes avant réalisation, Aide au parcours d’auteur, Aide à l’édition vidéo (aide au programme éditorial)