Comment est née chez vous l’envie de faire du cinéma ?
Stéphane Ly-Cuong : Je crois que, depuis ma plus tendre enfance, j’ai envie de raconter des histoires, sans savoir par quel moyen l’exprimer. Et puis pré-adolescent, j’ai eu l’occasion de participer à des tournages et j’ai tout de suite aimé l’esprit d’équipe qui y régnait. À 15 ans, je me suis donc vraiment dit que je raconterai des histoires à travers le cinéma, à la fois en écrivant et en réalisant.
Sur quels plateaux vous étiez-vous retrouvé ?
Le tout premier, c’était celui de Kung-Fu Master d’Agnès Varda ! Car un des amis de ma sœur était son premier assistant. À l’époque, j’avoue que je ne savais pas qui était Agnès Varda. Mais j’étais déjà un grand admirateur de Jane Birkin qui tenait le rôle central du film. Je me suis donc retrouvé à être figurant dans un bar quand Agnès Varda m’a demandé de jouer l’ami de Mathieu Demy ! Elle m’a donné une phrase à dire et j’étais totalement tétanisé. Mais cette phrase est restée dans le montage final ! Ce baptême de cinéma reste un moment inoubliable.
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Comment votre envie de raconter des histoires va-t-elle se concrétiser par la suite ?
Après mon baccalauréat, je suis allé en faculté de cinéma et j’ai essayé une première fois de passer le concours de la Fémis. Sans succès. Puis je suis parti un an aux États-Unis, au Brooklyn Collège. À mon retour en France, au lieu de retenter la Fémis, j’ai décidé de commencer à faire des courts métrages. J’en ai réalisé deux et comme je n’arrivais pas à passer au long, j’ai décidé de bifurquer vers le théâtre. Une parenthèse que j’ai adorée et qui a nourri l’écriture de Dans la cuisine des Nguyen. On y retrouve l’esprit de la petite troupe dans laquelle joue mon héroïne Yvonne qui se produit dans des salles pas forcément remplies. Mais, au bout d’un moment, j’ai assumé que mon vrai désir était le cinéma. Même si je devais quasiment repartir de zéro car je n’avais plus de réseau. J’ai donc postulé pour l’atelier scénario de la Fémis où cette fois-ci, j’ai été pris. Et c’est vraiment là que j’ai commencé à réfléchir à Dans la cuisine des Nguyen.
Comment avez-vous construit les bases du projet ?
Quand j’ai commencé à y réfléchir, je me suis spontanément mis des barrières. Comme si, puisque j’étais à la Fémis, je devais forcément réaliser un film d’auteur très sérieux. Il m’a fallu du temps pour me débarrasser de ça et revenir à ce que je voulais vraiment faire au fond de moi : de la comédie. De la comédie musicale. Faire rire à travers des choses légères mais non dépourvues d’émotions.
À quel moment rencontrez-vous votre productrice Amélie Quéret ?
Peu de temps après la Fémis, au moment où je me remets à réaliser des courts métrages. Amélie va en produire deux : Feuilles de printemps en 2015 et Allée des Jasmins en 2018 qui explorent déjà des questions relatives à la diaspora vietnamienne. On s’est bien entendu artistiquement et humainement. Et on a décidé de passer au long ensemble car pour elle aussi, c’était une première fois. De mon côté, j’ai été sélectionné dans plusieurs résidences d’écriture qui m’ont permis d’avancer, de renforcer la dramaturgie, les personnages… Ce fut vraiment une étape essentielle. Puis une fois le scénario prêt à partir en financement, notre première étape a été l’Avance sur recettes qu’on a eu la chance d’obtenir du premier coup. Le même jour d’ailleurs qu’Hiver à Sokcho – que j’ai coécrit. Ce fut une journée mémorable pour moi !
Quel type de comédie musicale avez-vous eu spontanément envie de faire ? Quel équilibre entre les moments chantés et parlés par exemple ?
J’ai réfléchi très tôt à la place des chansons et des numéros musicaux. Pour qu’ils soient totalement intégrés au récit et ne tombent jamais comme un cheveu sur la soupe. Je suis parti du principe que tous les numéros musicaux – à l’exception du premier qui est un rêve – allaient naître d’une situation concrète. Une audition, une répétition, une représentation à partir desquelles je pourrais ensuite aller vers des dimensions plus oniriques. Dans mon processus d’écriture, j’ai fait une première passe de simulation de paroles puis je les ai travaillées avec Christine Khandjian, avec qui j’avais déjà collaboré sur mes spectacles. J’ai constitué ensuite un binôme de compositeurs : Clovis Schneider avec qui j’ai déjà travaillé sur un de mes courts et Thuy-Nhân Dao dont j’adore l’univers pop car je trouvais leurs deux mondes assez complémentaires. Je leur ai donc attribué des chansons différentes selon ce que j’imaginais pour eux et parfois j’en confiais certaines aux deux. On a fait beaucoup d’allers-retours pour peaufiner la musique, les arrangements, la couleur. À cette étape-là du travail, on était dans une bulle de création, en dehors des contingences matérielles et financières.
Comment avez-vous abordé le financement du film ?
On a eu la chance d’avoir des interlocuteurs comme Canal+ qui ont tout de suite perçu la singularité du projet. Le fait qu’au-delà de l’aspect comédie musicale, la communauté française d’origine vietnamienne – ou plus largement d’origine asiatique – n’est jamais vraiment représentée sur nos écrans. Ils ont vu que j’avais quelque chose à raconter, que je connaissais ce sujet et qu’il était important de laisser un espace à cette diversité-là. D’autres interlocuteurs ont été moins convaincus par l’aspect comédie musicale mais, heureusement, suffisamment de personnes y ont cru pour que le film voie le jour. Le fait de ne pas avoir de visages connus en tête d’affiche n’a jamais été vraiment un problème puisque c’est précisément ce que le film raconte. Et là encore, ceux qui nous ont accompagnés l’ont compris tout de suite.
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À quel moment Clotilde Chevalier, l’interprète d’Yvonne – cette femme qui rêve de carrière dans la comédie musicale alors que sa mère préférerait la voir reprendre son restaurant en banlieue – arrive dans l’aventure ?
Je l’ai rencontrée il y a quasiment quinze ans ! Quand je mettais en scène un petit spectacle que j’avais écrit, Cabaret jaune citron, où il y avait déjà le personnage d’Yvonne – même si mon film n’est pas une adaptation du spectacle – qui se posait déjà beaucoup de questions sur sa double culture, sur son identité. Clotilde était venue auditionner et j’ai arrêté le casting juste après car elle m’a tout de suite séduit. Quand l’idée du film a pointé le bout de son nez, ça ne pouvait être qu’elle tant elle avait apporté de choses à Yvonne au fil des représentations.
Connaissiez-vous aussi Thomas Jolly qui incarne le metteur en scène de la comédie musicale pour laquelle Yvonne va passer une audition ?
Pas du tout ! C’est une amie qui m’a suggéré son nom. On était allé découvrir tous les deux le Richard III qu’il avait mis en scène en 2015 et dans lequel il jouait. J’avais donc vu le comédien qu’il était. Une autre amie qui jouait dans Starmania nous a mis en contact. Et tout s’est fait très naturellement. À la fois parce qu’il a très envie de jouer, mais aussi parce qu’il a tout de suite aimé l’aspect politique du film, la question de la représentation de la diversité aujourd’hui sur scène et en France. Et il possède l’autodérision indispensable pour interpréter le rôle de ce metteur en scène.
Qui dit comédie musicale, dit chorégraphie. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous tourner vers Caroline Roëlands ?
Je n’avais jamais travaillé avec elle mais je la connais depuis trente ans. J’ai suivi sa carrière d’abord d’artiste, puis de chorégraphe. Parmi tout ce que j’aime chez elle, il y a sa capacité à mettre de l’humour dans ses chorégraphies.
Aviez-vous des références de comédies musicales en tête pour Dans la cuisine des Nguyen ?
Je suis un grand amoureux des comédies musicales. Mais si mon film est truffé de clins d’œil, je ne voulais pas avoir un modèle en particulier. Car les modèles sont par essence inégalables et je souhaitais mettre toute mon énergie à essayer d’être moi-même. Alors si je dois parler de références, je ne citerai pas des comédies musicales mais quelqu’un comme Pedro Almodóvar pour ses personnages de femmes, même si la culture espagnole est très différente de la culture vietnamienne. Ou quelques cinéastes d’origine asiatique comme Wong Kar-Wai ou Ang Lee, à la fois pour leur esthétique et leur exploration des liens familiaux.
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Il se trouve que l’an passé, on vous a vu comme acteur dans une autre comédie musicale, Emilia Pérez de Jacques Audiard où vous campez un chirurgien…
Ce fut vraiment comme un cadeau tombé du ciel. J’étais à une séance de sport quand j’ai reçu un message de mon agent qui me demandait si j’étais disponible pour auditionner pour le prochain Audiard ! J’y suis allé, le lendemain on m’a rappelé pour me dire que Jacques Audiard voulait faire une séance de travail avec moi et deux jours plus tard, j’ai appris que j’étais engagé ! En termes de timing, avant de me lancer dans la réalisation de Dans la cuisine des Nguyen, ce fut tellement génial de pouvoir observer – même si les budgets étaient évidemment différents – la fabrication d’une comédie musicale. Car il existe une méthodologie qui s’applique à toutes les économies. Et c’était vraiment un bonheur de voir cette équipe travailler. La bienveillance qui était à l’œuvre. J’ai vraiment eu l’impression d’être dans un rêve.
Voilà quelques mois, on retrouvait aussi votre nom au générique d’Hiver à Sokcho de Koya Kamura que vous avez coécrit…
J’ai rencontré Koya lors d’une résidence d’écriture. Je développais Dans la cuisine des Nguyen et lui un projet qui sera sans doute son deuxième long. On est devenu amis. L’année suivante, le producteur Fabrice Préel-Cléach lui a proposé d’adapter ce livre d’Elisa Shua Dusapin. Or Koya ne se sentait pas de l’écrire seul et il a suggéré mon nom à Fabrice. La coécriture a vraiment été fluide, alors que je n’avais jamais écrit pour quelqu’un d’autre. Et ce d’autant plus qu’il y a des connexions entre nos deux films : une relation mère-fille, une quête identitaire…
Comment envisagez-vous l’après Dans la cuisine des Nguyen ?
Je travaille à l’écriture de mon deuxième long qui sera de nouveau produit par Amélie Quéret où je traiterai toujours de thématiques liées à la diaspora vietnamienne. Mais je parlerai cette fois-ci de retour au pays et de la manière d’être en paix avec son passé quand il est lié au traumatisme de la guerre. En parallèle, je travaille sur différents projets de coécriture pour d’autres.
DANS LA CUISINE DES NGUYEN
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Réalisation et scénario : Stéphane Ly-Cuong
Production : Respiro Productions
Distribution : Jour2Fête
Ventes internationales : The Party Film Sales
Sortie le 2 mars 2025
Soutiens sélectifs du CNC : Aide au développement d'oeuvres cinématographiques de longue durée, Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la production - Fonds Images de la diversité (2023)