Vous avez dit avoir été “saisi d’effroi” quand vous avez découvert le documentaire de Mosco Boucault à la télévision…
C’était en 2008, sur France 3. Je rentrais du travail et avais machinalement allumé la télévision. Quand j’ai vu le titre, Roubaix, commissariat central, je me suis dit que c’était pour moi (Arnaud Desplechin est originaire de Roubaix, ndlr). Le twist du récit m’a fasciné : on voyait notamment deux jeunes femmes qu’on croyait d’abord victimes et qui avouaient finalement le meurtre de leur vieille voisine. Ce documentaire est resté ancré en moi pendant onze ans avec l’envie d’en faire un jour ou l’autre l’adaptation.
Pourquoi vous a-t-il fallu autant de temps ?
Il fallait trouver l’angle et le bon moment. Quand j’ai fini Les Fantômes d’Ismaël qui était extrêmement romanesque, j’ai eu envie d’un film où il n’y aurait plus aucune fiction, d’une histoire qui soit entièrement basée sur le réel.
Concrètement, comment avez-vous écrit l’adaptation ?
En étant le plus fidèle possible à la matière du documentaire. Il y avait cette idée de s’en tenir à des dialogues banals, factuels, assez proches des propos tenus dans le film de Boucault, que les acteurs professionnels diraient comme si c’était du Shakespeare. J’avais envie de m’appuyer sur un texte qui pouvait sembler humble et lui donner la dignité d’un spectacle théâtral. Quant aux acteurs amateurs qui tiennent des rôles secondaires, je leur ai imposé d’improviser leurs dialogues en se basant sur ce qui était écrit. Dès qu’ils jouaient, ils n’étaient pas bien. Je devais les mettre en position d’être eux-mêmes.
Pour le personnage joué par Roschdy Zem, vous vous êtes directement inspiré du commissaire Haroune qu’on voit dans le documentaire ?
Tout à fait. En revanche, dans le documentaire, il ne croise jamais les deux jeunes femmes qui ont été interrogées par plusieurs policiers anonymes à qui j’ai voulu donner un visage. C’est pour cette raison que Daoud, joué par Roschdy, “récupère” l’affaire dans mon film. Je voulais d’un personnage un peu omniscient qui comprend et qui voit les choses. Daoud représente aussi cette communauté algérienne de Roubaix que je n’avais pas su traiter jusque-là. Lui et la jeune fugueuse, notamment, me permettent de lui rendre hommage.
On voit rarement les personnages en dehors de leur lieu de travail, à l’exception de Daoud rendant visite à son neveu en prison
C’est une des rares parties inventées du film qui nous apprend que Daoud est haï par ses proches. On ne sait pas pourquoi. Ça lui apporte une fragilité que je ne voulais pas développer davantage. J’ai retenu la leçon de Jean-Pierre Melville qui ne rentrait jamais dans la psychologie des personnages.
Pour adapter un livre ou faire le remake d’un film, on en achète les droits. Est-ce la même chose ici ?
J’ai d’abord rencontré Mosco Boucault dont j’admire le travail. Je lui ai parlé de mon désir d’adaptation et d’acheter les droits de remake de son documentaire comme on le ferait pour un film de fiction. À ma connaissance, c’est inédit. Le seul exemple que je connaisse est celui du Faux coupable. Hitchcock s’était inspiré d’un fait divers qui avait été adapté en docudrama pour la télévision américaine dont il a acheté les droits. Mon film est donc officiellement un remake. D’ailleurs, je n’ai pas souhaité mettre au générique “un film de” mais “un film dirigé par Arnaud Desplechin” car c’est une adaptation du documentaire de Mosco Boucault cité en premier.
Cela vous ouvre-t-il de nouvelles perspectives pour la suite ?
Je ne sais pas trop encore. J’ai pris un plaisir énorme à travailler avec des non professionnels, à mélanger des acteurs naturels et des acteurs savants. Je pense que la vie du commissariat n’aurait pas été la même avec des professionnels qui auraient apporté une couleur fausse. C’est tentant de réitérer l’expérience. J’aimerais retrouver cette trace de réel brut dans mes prochains films alors que je m’en protégeais avant.
Roubaix, une lumière qui sort le 21 août, a bénéficié de l’avance sur recettes avant réalisation, l’aide sélective à la distribution (aide au programme) et de l’aide à l’édition vidéo (aide au programme éditorial) du CNC.