Qu’est-ce qui vous a fait accepter de rejoindre la commission de l’Avance sur recettes ?
Il y a quelques années, j’ai été lectrice de scénarios pour l’Avance sur recettes. Je savais donc en quoi consistait cette mission, et je savais aussi qu’une telle proposition, ça ne se refuse pas ! Etant scénariste, participer à l’avance sur recettes me permet d’avoir un autre regard sur mon travail, de vivre une expérience qui va certainement accompagner mes futurs écrits. C’est une belle opportunité que de pouvoir lire en exclusivité des projets inédits, de profiter de différents regards sur le monde dans un temps si condensé.
C’est également à mon sens l’occasion de découvrir une sorte de renouveau du cinéma français, puisque les membres du premier collège étudient les scénarios de premiers longs métrages. Des projets émergent et avec eux, de nouveaux cinéastes, parfois même des coups de cœur pour des personnalités singulières dont j’aurais plaisir à suivre le parcours et avec qui je pourrais envisager de collaborer. Et quelle chance de côtoyer parmi les autres membres des producteurs, des écrivains, des réalisateurs, des monteurs, des journalistes… et de pouvoir interagir ainsi sur la création. Moi qui navigue à la fois dans un univers lié à la fabrication d’un film et un univers cinéphilique, je me sens particulièrement bien entourée. C’est un espace de rencontre des plus exaltants, qui permet d’échapper quelque peu à la solitude du scénariste !
Découvrir une nouvelle génération de cinéastes
Vous avez été d’abord membre suppléante au deuxième collège puis titulaire du premier collège. Quelle différence cela fait-il ?
Comme titulaire, je ne lis que des scénarios de premiers films, ceux de cinéastes en devenir, alors qu’en tant que suppléante du deuxième collège, je pouvais lire des projets de réalisateurs déjà connus. On est alors peut-être plus perméable aux projets, ayant déjà un avis sur le travail précédent du réalisateur. A l’inverse, le premier collège me donne la sensation de découvrir une nouvelle génération de cinéastes. C’est enthousiasmant ! Il est arrivé d’ailleurs que certains scénarios emportent la commission à l’unanimité. On a alors hâte de découvrir le film en salle pour voir si les promesses du scénario sont tenues voire dépassées. Pour le moment, je n’ai pas encore eu l’occasion d’en faire l’expérience puisque ça ne fait qu’un an que je siège à la commission – les membres de l’ASR sont nommés pour deux ans, ndlr – et réaliser un film prend bien plus de temps.
Comité de lecture, tour de table et plénière
Comment se déroule, dans les grandes lignes, une commission d’avance sur recette ?
L’aventure commence avec les comités de lecture durant lesquels les membres titulaires et suppléants lisent une dizaine de scénarios par comité. Plusieurs comités sont organisés afin de pouvoir traiter tous les projets reçus. Nous faisons alors un tour de table, orchestré par la présidente et le vice-président – actuellement Marie Darrieussecq et Alexandre Gavras – où chacun exprime son avis et argumente en fonction des points forts et des points faibles du scénario. Un travail assez dense et intense qui nécessite de lire non seulement les scénarios mais aussi les notes d’intention qui accompagnent les projets, et de visionner, quand il y en a, les courts métrages précédents du réalisateur - ce qui peut d’ailleurs appuyer le scénario présenté.
C’est au cours du comité de lecture que se décide quel projet passe en commission plénière ou pas. Il arrive que certains scénarios soient invités à se représenter en comité de lecture après un travail de réécriture (« PSR »), ou que d’autres aillent en « plénière différée », c’est-à-dire que le scénario pourra être présenté, après réécriture, à une session ultérieure de plénière sans repasser par le comité de lecture.
Les commissions plénières consistent en un oral où les candidats, réalisateur et producteur, viennent défendre leur projet de film. C’est une étape importante car bien souvent, la suite du projet se joue à cet instant. Cet entretien avec les porteurs de projets nous permet à nous, membres de la commission, d’infirmer ou de confirmer notre premier avis au gré des échanges, d’avoir parfois même une révélation selon la prestation du candidat, mais surtout, de pouvoir voir le projet incarné par ceux qui le défendent. C’est un moment particulier, qui exige de la concentration et de l’écoute, dans une durée très courte – nous avons en moyenne une quinzaine de projets par plénière et les entretiens durent environ 15 minutes. Après délibération, nous votons à bulletin secret des autres membres. Il faut savoir que pour obtenir l’avance sur recette, le projet de film doit avoir récolté la majorité absolue des voix.
« L’intention de cinéma emporte tout »
En tant que scénariste, quelles qualités recherchez-vous dans les projets présentés ?
L’intention et la cohérence du récit. Je suis particulièrement sensible à une certaine forme de radicalité, que ce soit dans l’écriture d’un scénario ou dans la mise en scène. D’ailleurs, si on ne parle pas forcément de mise en scène dans un scénario, un scénario investi peut faire que la mise en scène s’impose d’elle-même.
Même si le scénario n’est pas complètement abouti, s’il souffre de longueurs par exemple – une remarque qui revient d’ailleurs très souvent en commission !- ou si on est peu sensible au genre, aux personnages…, à partir du moment où l’histoire est assumée, s’il y a une ambition formelle, il n’y a pas à discuter.
Une proposition esthétique forte peut être aussi une forme de radicalité. Que ce soit pour parler de thèmes mainte fois traités, l’histoire d’un couple, une tragédie familiale, plus la vision est intime, plus ça m’intéresse dès lors que la forme vient épouser le fonds (l’histoire). Un film, c’est à la fois la rencontre avec un propos et avec une mise en scène, c’est ce qu’on dit du monde et comment on, le dit. Tout doit être intriqué.
Quelle lectrice êtes-vous ?
Lorsque j’étais étudiante, j’étais une lectrice assidue, que ce soit des classiques comme Maupassant, Radiguet, Stendhal, Durras, que j’adorais, ou de la littérature américaine comme Dos Passos, Raymond Carver, Paul Auster, qui m’inspirent beaucoup. J’ai lu aussi pas mal d’ouvrages scientifiques sur le cinéma pendant mon doctorat.
Malheureusement, depuis que j’écris, je lis beaucoup moins alors que la lecture est supposée nourrir l’écriture. Aujourd’hui, mes lectures tournent essentiellement autour des scénarios, non seulement dans le cadre de la commission mais je lis aussi pour une maison d’édition qui cherche à adapter des romans au cinéma. Je regarde également pas mal de films qui m’aident à écrire : ceux de Billy Wilder par exemple, un très grand scénariste – et un très grand metteur en scène qui plus est -, ceux des frères Dardenne, les films de Scorsese, Spielberg et Coppola des années 1970. Et Bergman, évidemment, pour lequel j’entretiens une passion qui relève presque de l’intime. Chaque fois que je revois l’un de ses films, j’ai l’impression qu’il ne s’adresse qu’à moi.
Fanny Burdino en quelques mots
Après des études à Sciences Po, un DEA d’histoire culturelle et un DESS en direction de projets culturel, Fanny Burdino intègre l’atelier scénario de la FÉMIS. Elle est aujourd’hui scénariste pour la télévision (Arte, France 2) et pour le cinéma. Elle a signé notamment les scénarios de L’Economie du couple de Joachim Lafosse, qu’elle a coécrit avec Samuel Doux et Mazarine Pingeot, présenté à La Quinzaine des Réalisateurs 2016, La Prière et Fête de famille de Cédric Khan ou encore L’Emotion animale de Julie Gavras et Arthur Rambo de Laurent Cantet.
Enseignant également l’écriture de scénario et la philosophie autour d’œuvres de grands cinéastes (Ingmar Bergman, Nuri Bilge Ceylan, Kiyoshi Kurosawa) à l’université Paris 8, Fanny Burdino est titulaire d’un Doctorat de cinéma. Elle est l’auteur de la thèse Visible et invisible dans le cinéma d'Ingmar Bergman, la matrice Fanny et Alexandre.