Pourquoi avoir choisi d’évoquer la maladie d’Alzheimer ?
J’avais depuis longtemps envie de faire un film sur cette maladie car je voyais de plus en plus de cas. Il y a un côté roulette russe : cette maladie choisit ses victimes de manière imprévisible et injuste. Je suis tombé un peu par hasard sur les travaux du peintre anglais William Utermohlen qui souffrait d’Alzheimer. Il a peint des autoportraits jusqu’à son hospitalisation : sur les 5 dernières années, on voit l’évolution de la maladie à travers son regard, son visage se transforme, son style graphique évolue, les couleurs changent et il finit en noir et blanc. Je me suis dit qu’il serait intéressant de se placer dans la tête du malade. Ce n’est pas un film médical et pourtant il est utilisé par des médecins dans des colloques.
La peinture est très présente dans le film, il y a par exemple un ciel à la Van Gogh dans une séquence, un des personnages ressemble à un Giacometti…
Je suis un ancien diplômé des Beaux-Arts, il était assez simple pour moi, même si je n’ai pas l’âge du personnage, de me glisser dans la peau d’un vieux peintre. Je suis parti de l’idée assez souvent retenue que les souvenirs les plus anciens restent à peu près clairs alors que ce qu’on a mangé le midi est souvent oublié. Quand Louis perd la mémoire, les vieux souvenirs de différents peintres remontent à la surface et viennent boucher ses trous de mémoire qui sont de plus en plus présents. Il est envahi par ses souvenirs, d’où les apparitions d’œuvres. France 2 voulait de l’humour. Il y avait deux façons d’aborder cette facette-là, soit rire aux dépens du malade, soit que ce dernier en ait. Cette deuxième option était la meilleure solution pour moi. L’humour lui sert de paravent pour se cacher dès qu’il se sent en difficulté. Il botte en touche avec une blague.
Pourquoi avoir travaillé avec des marionnettes en stop motion ?
J’utilise cette technique depuis le début. Là, il y a différents hommages à des peintres, ce qui m’a permis de tester des choses même si je ne voulais pas que ce soit un catalogue d’histoire de l’art. Ces références devaient arriver à des moments imprévus. Plusieurs styles peuvent se télescoper : il y a la maison d’Edward Hopper avec le ciel de Van Gogh par exemple. Le travail de la couleur, de la lumière, de la matière en stop motion surpasse pour moi la 3D. Utiliser des marionnettes est plus qu’un choix esthétique, c’est aussi une volonté de travailler dans la réalité : j’ai une marionnette qui est là, dans un décor, qui est éclairée comme un acteur. On est plus de l’ordre du fétiche auquel on a insufflé la vie. On ramène la marionnette à un univers enfantin, mais là j’aime ce côté un peu plus radical, un peu moins à vif. J’en ai assez d’avoir des personnages toujours élancés, ronds, j’ai envie d’un peu plus de matière, d’accidents. Je trouve ça très créatif. Je prends comme exemple les peintres en lettres qui faisaient les vitres. Aux Beaux-Arts, on apprenait qu’une typo faite à la main accroche plus l’œil que celle par ordinateur qui est entièrement calibrée.
Mais le stop motion n’est-il pas plus coûteux que l’animation ?
Oui, ça coûte plus cher, à cause de la fabrication des marionnettes et des décors qui obligent les productions à avoir des ateliers. Il faut presque autant de monde que pour un dessin animé mais il y a un savoir-faire spécifique dans la construction des marionnettes, des matériaux à acheter, un local à trouver… Le tournage est proche de celui d’une fiction, avec un chef opérateur, des plateaux… Là aussi il faut des locaux adaptés, ce qui coûte cher à la production. C’est pour ça que ceux qui font du stop motion réalisent plutôt des courts métrages, tout le monde freine un peu des pieds pour un long métrage, sauf s’il est dédié aux enfants.
Les marionnettes de Mémorable sont très réalistes et humaines. Comment les avez-vous créées ?
Habituellement, je ne sculpte pas tout le temps mes personnages, mais pour Mémorable, oui. Je travaille en plastiline (pâte à modeler) qui est plus facile que la terre qui sèche. Une fois que j’ai fait mon modèle à la taille du personnage, je le donne aux ateliers qui vont faire un moule et fabriquer la structure interne. Ce squelette va être placé dans le moule avant de couler le latex. Je récupère ensuite la marionnette pour la peindre. Tout est fabriqué à Rennes et pour Mémorable, nous avons utilisé une nouvelle technique : nous réalisons d’habitude les changements de visage grâce à des masques d’expression qu’on clipse sur la tête du personnage. Nous prenons 24 photos pour une seconde de film, et nous changeons le masque pour faire évoluer l’expression du personnage avant de donner l’impression de mouvement grâce à un logiciel. Pour Mémorable, je ne pouvais pas utiliser ces masques pour des questions de texture et de peinture. Prenons par exemple Van Gogh, je ne pouvais pas reproduire 2, 3 ou 6 fois les mêmes traits avec les mêmes couleurs sur différents masques. Si je les avais changés, les traits auraient été modifiés. La seule solution était de faire bouger une seule tête en mousse de latex avec un système de rotule. Il y avait plein de petites tiges en travers de la tête permettant de la faire bouger.
Etait-ce difficile de faire passer l’émotion avec cette nouvelle technique ?
L’émotion pour moi passait par le regard qui est la seule chose qui n’évolue pas dans le film : il y a les mêmes yeux peu importe la tête du personnage ou de sa femme. Même à la fin, lorsqu’elle est en tâches de peinture, elle a toujours le même regard. Nous avons beaucoup travaillé pour avoir des yeux avec des caractéristiques humaines comme la taille des pupilles et de l’iris. Les mouvements de bouche étaient assez simples et très vite les spectateurs arrêtent de la regarder, ce qui n’est pas le cas dans tous les films où les bouches bougent beaucoup et nous hypnotisent. Ici, le regard du spectateur va se fixer sur celui du personnage. Le challenge était de réussir à faire passer l’humanité dans des marionnettes de 30 centimètres.
La scène de fin mêle stop motion et 3D, était-ce pour vous la plus grosse difficulté technique ?
C’était le plus gros challenge car on change totalement de technique. Au départ, on avait le budget pour faire toute la scène en 3D, mais j’avais peur qu’il y ait un décalage avec le reste du film. Si on ratait la scène, le film ne tenait plus. J’ai négocié qu’au moins un personnage reste en stop motion et nous avons travaillé avec l’équipe de la 3D pour créer la femme sans faire trop de mouvements de caméra et de choses folles pour rester dans le niveau défini depuis le début du film. Il y a également un peu de 3D quand le téléphone fond et de l’animation avec le ciel à la Van Gogh. J’aime mélanger ces techniques. Le but est d’être au service de l’histoire.