Sa dernière apparition sur grand écran remontait à 2016 dans Le Cancre de Paul Vecchiali, aux côtés de Catherine Deneuve et Mathieu Amalric. Elle avait 85 ans et cela faisait quelques années déjà, qu’à de rares exceptions près (Post coïtum animal triste de Brigitte Roüan, Merci pour le geste de Claude Faraldo…), le cinéma s’était éloigné de celle qui s’est si bien racontée en 1995 dans son livre de souvenirs, Animal doué de bonheur, publié chez Belfond, et qui surtout, occupera toujours une place à part dans le cœur des cinéphiles pour les rôles de premier ordre qu’elle a enchaînés dans sa flamboyante décennie des 50’s.
Née à Constantine, Françoise Arnoul se découvre l’envie de jouer par le biais de sa mère, elle-même brièvement comédienne, partageant notamment une scène de théâtre avec Charles Vanel, avant de tout arrêter en se mariant. C’est quand Françoise Arnoul arrive avec sa famille en France, en 1945, que tout s’accélère : en se promenant devant le Théâtre de l’Empire, elle tape dans l’œil de Marc Allégret, qui prépare son nouveau film, Les Lauriers sont coupés. Enthousiaste, ce dernier lui explique son envie de l’associer à une autre jeune fille de son âge, une certaine Brigitte Bardot ! Le projet ne verra jamais le jour, mais cet épisode la pousse à franchir le pas. Elle convainc sa mère de la laisser quitter le lycée en seconde pour aller étudier le théâtre dans un cours où elle côtoie notamment Roger Carel et Roger Hanin. Vient le temps des premiers agents et des premiers castings. Puis celui des premières apparitions sur grand écran, d’abord comme figurante dans Rendez- vous de juillet (avec une seule réplique, coupée au montage) du même Marc Allégret puis, très vite, du premier grand rôle dans L’Epave en 1949.
Devant la caméra de Willy Rozier, bien que doublée pour les scènes déshabillées - car elle est encore mineure -, Françoise Arnoul crève l’écran dans un personnage de garce qui annonce les rôles qui seront les siens dans la décennie à venir. Des héroïnes sensuelles, troubles, troublantes, destructrices, en un mot indomptables. On la retrouve chez Henri Verneuil (Le Fruit défendu, adapté de Georges Simenon, où elle campe une entraîneuse face à Fernandel), Ralph Habib (La Rage au corps), Henri Decoin (la résistante de La Chatte et La Chatte sort ses griffes dont l’imperméable noir va marquer toute une génération de spectateurs), Michel Boisrond (en maîtresse du tout jeune Alain Delon dans Le Chemin des écoliers d’après Marcel Aymé) ou Roger Vadim (Sait-on jamais…). Ces années 50 font d’elle une immense star populaire. Aucun des films dans lesquels elle apparaît ne rassemble moins d’un million de spectateurs. Et les rôles marquants se succèdent : la blanchisseuse Nini qui devient star incontournable du Moulin Rouge dans French Cancan de Jean Renoir ; la serveuse qui tombe amoureuse d’un routier incarné par Jean Gabin dans Des gens sans importance, remarquable film sur la classe ouvrière signé Henri Verneuil.
Mais le surgissement irrésistible de Brigitte Bardot sur son terrain de jeu, conjugué à l’arrivée de la Nouvelle Vague, vont sonner la fin de cette période euphorique. Car Truffaut, Godard et les autres ne feront jamais appel à elle. Les premiers rôles se raréfient, les films marquants aussi. Michel Deville l’emploie dans Lucky Joe en chanteuse de Pigalle face à Eddie Constantine, Julien Duvivier l’associe à Micheline Presle dans un sketch du Diable et les dix commandements… Elle refusera le rôle finalement tenu par Ursula Andress dans James Bond contre Docteur No et ne retrouvera plus jamais le statut de star qui était le sien dans les années 50.
Au début des années 70, proche du couple Simone Signoret-Yves Montand, elle signe le manifeste des 343 pour la libéralisation de l’avortement. C’est le moment où, délaissant le cinéma, elle commence une carrière à la télévision. Elle retrouve Jean Renoir dans ce qui sera son ultime projet, Le Petit théâtre de Jean Renoir, pour le sketch Le Roi d’Yvetot face à Jean Carmet. Toujours à la télé, elle travaille sous la direction de Serge Moati et Pierre Tchernia. « Je n’ai jamais été vraiment intéressée par ma carrière, je joue dans les films qui me plaisent avant tout », répétait-elle souvent. Et son amour du cinéma ne s’est jamais essouflé au fil du temps. Outre ses derniers choix de films, toujours pertinents (elle tourne pour Jean Marbeuf, Jacques Rouffio, Agnès Varda ou Raoul Ruiz), elle en a aussi apporté la preuve en 1997. Alors présidente du Jury de la Caméra d’Or au festival de Cannes, elle sacre Suzaku, le premier long métrage d’une jeune cinéaste japonaise dont elle lance ainsi la carrière. Une certaine Naomi Kawase.