« Vous devez vous oublier complétement ! », répétait, à propos du doublage, Roger Carel qui vient de mourir à l’âge de 93 ans. La notion d’égo semblait totalement étrangère à ce comédien qui avait fait de l’effacement son plus sûr allié pour durer dans un métier où la longévité n’est jamais acquise. Depuis 1949 et ses débuts au théâtre jusqu’à son ultime doublage d’Astérix dans Le Domaine des Dieux d’Alexandre Astier et Louis Clichy en 2014, Roger Carel n’aura pas arrêté de « jouer ». L’homme dont on retient la joie indéfectible, semble avoir toujours su allier plaisir du jeu et rigueur du travail. Ainsi dans une brève archive de Disney Channel, on peut le voir enchaîner avec une facilité déconcertante les voix des trois personnages qu’il interprétait dans le dessin animé Winnie l’Ourson, soit Winnie, Coco Lapin et Porcinet. Roger Carel s’amuse alors de l’effet produit sur son interlocuteur comme si tout allait de soi. « Mon job aura été principalement de conformer mon jeu à celui des autres en essayant de rester le plus fidèle possible, c’est-à-dire sans trahir ceux qui avaient déjà joué. » Peter Sellers, Peter Ustinov, Jack Lemmon, Anthony Daniels (le célèbre robot C-3PO de la saga Star Wars), Oliver Hardy, Eli Wallach, Rod Steiger ou encore Charlie Chaplin dans Le Dictateur et Jerry Lewis dans La Valse des Pantins de Martin Scorsese. Et lorsqu’il arrivait au comédien lors d’un séjour à l’étranger, de tomber à la télévision sur une série française dans laquelle il apparaissait en chair et en os (Arsène Lupin, Les Saintes Chéries…), il s’étonnait de voir les libertés prises par les doubleurs de certains pays, qui pouvaient « totalement défigurer votre travail ».
Une voix très animée
C’est au début des années cinquante que les choses se sont scellées. A l’issue d’une représentation au théâtre, un spectateur vient le voir pour lui proposer de doubler la voix de Peter Lorre dans la comédie musicale de Rouben Mamoulian, La Belle de Moscou. Dès lors, la voix sera sa seconde peau. Mais la postérité retiendra surtout sa voix malicieuse et gourmande grâce aux productions Disney (il est au générique des plus gros succès du studio). Kaa le serpent du Livre de la jungle, Jiminy Cricket dans Pinocchio, Pongo dans Les 101 Dalmatiens ou encore Bernard dans Bernard et Bianca, c’était lui. Le nom de Roger Carel est également indissociable de celui d’Astérix dont il a pris littéralement possession à partir de 1967 dans les adaptations pour la télé et le cinéma.
La peur de la monotonie
Roger Carel est né en 1927 à Paris. Une éducation très stricte l’incite d’abord à entrer dans les ordres. Dans son autobiographie J’avoue j’ai bien ri (JC Lattès), l’intéressé raconte comment il amusait déjà la galerie en imitant ses professeurs. Exit donc les habits de prêtre - forcément trop étroits pour un jeune homme qui préfère changer de costumes le plus souvent possible. Cela passera d’abord par le théâtre à partir des années 50 où il enchaîne si bien les « grands » textes (Shakespeare, Dumas…) que la prestigieuse Comédie-Française lui fait les yeux doux. Mais le comédien qui multiplie les rôles au cinéma et à la télévision refuse de « s’enfermer » au sein d’une institution qui risquait selon lui d’engendrer la « stabilité », et donc la « sécurité » et la « monotonie ». De fait, il va varier les plaisirs, quitte à ne jamais reprendre son souffle. « En une journée, on passait d’un studio d’enregistrement à un plateau de cinéma ou de télé. Le soir, on était au cabaret ou au théâtre. »
De sa carrière au cinéma, on peut citer : Le Vieil homme et l’enfant de Claude Berri, Le Viager de Pierre Tchernia, Le Coup du parapluie de Gérard Oury, L’Eté meurtrier de Jean Becker, Papy fait de la résistance de Jean-Marie Poiret ou encore Mon homme de Bertrand Blier dans lequel il incarnait un passant fatigué et énigmatique.