Edouard Bergeon : Au nom du père

Edouard Bergeon : Au nom du père

26 septembre 2019
Au nom de la terre d'Édouard Bergeon
Au nom de la terre Nord-Ouest Films - France 2 Cinéma - Artemis Productions Caneo Films - Diaphana Distribution
Dans Au nom de la terre, Edouard Bergeon raconte le quotidien du monde paysan depuis 40 ans à travers l’histoire tragique de son propre père, exploitant agricole, qui a fini par se suicider. Venu du documentaire, il passe pour la première fois à la fiction et raconte ici les raisons de ce changement de perspectives.

Pourquoi avoir eu envie de passer par la fiction après avoir signé de nombreux reportages et documentaires ?

Ça tient en deux mots : Christophe Rossignon ! (rires) C’est un producteur incroyable, lui-même fils d’agriculteurs. Il m’a contacté après avoir vu Les Fils de la terre, le documentaire pour lequel j’avais suivi sur un an une famille d'agriculteurs traversant la même période difficile que mon père quelques années plus tôt. Dès notre première rencontre, il y a eu cette envie commune de faire un film de fiction. Après des reportages télé et des documentaires, je voulais aborder autre chose tout en étant conscient du fossé qui existait entre des docus télé et une fiction cinéma. On a alors pris le temps de se connaître et d’écrire. Car écrire n’est jamais simple et écrire sur sa vie encore moins.

Comment avez-vous procédé ?

J’ai d’abord travaillé avec Bruno Ulmer (Welcome Europa), un réalisateur de documentaires qui a su donner du souffle à cette histoire. Puis après deux ans de cette collaboration fructueuse, Emmanuel Courcol (Welcome) a pris le relais pour épurer ce scénario et y apporter un fil de fiction. Mais en parallèle, j’ai continué à faire mes documentaires. Car je ne voulais pas arriver à sec sur mon plateau après avoir tout donné à l’écriture.

Comment parvenir à parler de soi et des siens sans rester dans l’entre-soi ?

Cela fait des années que mon père est mort. Cela fait un moment que je raconte des histoires de paysans comme documentariste. Et j’avais fait un gros travail de résilience avec Les Fils de la terre. Ce film m’avait beaucoup coûté : une fois terminé, j’ai tout quitté, ma compagne comprise. Du coup, j’ai abordé Au nom de la terre léger, libéré de plein de choses par rapport à ma vie et à celle de ma famille. Et la dimension fictionnelle a amplifié ce sentiment de liberté. Car ce qu’on a vécu dans la « vraie » vie est bien plus violent que ce que décrit le film. Mon grand-père s’est comporté de manière bien pire avec mon père, notre ferme a brûlé deux fois, et la descente aux enfers a duré deux ans et demi…

Le passage par la fiction implique aussi l’apport des comédiens. Pourquoi avoir choisi Guillaume Canet pour incarner votre père ?

Deux mots : Christophe Rossignon ! (rires) En fait Guillaume est arrivé très en amont, deux ans avant le tournage. Il avait aimé Les Fils de la terre et il en a parlé à Christophe sur le tournage de Mon Garçon qu’il produisait. Il lui a dit son envie de le transposer en fiction et Christophe lui a répondu que c’était déjà en projet, et que je tenais à le réaliser. Dès lors, ce fut un travail passionnant d’échanges avec Guillaume. Il s’est glissé au fil des mois dans la peau de mon père en se nourrissant de photos, de vidéos… Ses racines terriennes, son implication dans son travail d’acteur comme sur ce sujet qui le passionne ont emmené le film encore plus loin.

Une fois sur le plateau, comment le réalisateur de documentaires passe dans la peau d’un metteur en scène de fiction ?

Ma grande chance a été de tourner sur deux saisons. Je suis donc arrivé armé pour la deuxième, la plus dense, en hiver, où j’ai vraiment pris beaucoup de plaisir. J’ai appris sur le tas. Y compris sur la direction d’acteurs. Après 15 ans à filmer de « vrais gens », je crois savoir lire la vérité des sentiments. Alors, je me suis fait confiance. J’avais un atout : je racontais mon histoire et personne ne la connaissait mieux que moi.

Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans les premières réactions de spectateurs ?

Au nom de la terre se situe à la croisée de nombreux débats de société sur la transition écologique, le réchauffement climatique, la malbouffe. Avec ce chiffre terrifiant : un agriculteur se suicide chaque jour en France ! On l’a projeté au Président de la République il y a quelques jours, on va le faire à l’Assemblée nationale début octobre. Notre petite histoire de famille finit par raconter la grande histoire agricole et j’en suis forcément très fier.

Au nom de la terre, en salles le 25 septembre, a bénéficié de l’avance sur recettes avant réalisation, l’aide à la création de musique de film, l’aide sélective à la distribution (aide au programme).