Exfiltrés est inspiré par une histoire vraie. Pourquoi avoir choisi la fiction et non le documentaire pour la développer ?
Quand je lis sur le sujet de la radicalisation et du Jihad un livre aussi remarquable que Les Revenants de David Thomson, j’apprends énormément de choses mais le récit est tellement implacable qu’il ne laisse aucun espoir. Voilà pourquoi en traitant de ces thématiques par le biais du documentaire, j’aurais eu l’impression de me confronter à un mur. Mais surtout quand on m’a raconté l’histoire qui allait donner naissance à Exfiltrés, j’ai tout de suite eu envie de la raconter par le prisme de la fiction. Pour la faire vivre aux spectateurs de la même manière que je la vivais : en me demandant comment tout cela allait bien pouvoir se terminer. Tout en parlant de sujets politiques qui me passionnent, j’ai d’emblée eu l’intuition que j’allais pouvoir développer la mécanique d’un thriller. Et pour cela, je suis parti des personnages et de leur complexité. Dans Exfiltrés, le monde ne se divise pas en bons et en méchants. Y compris cette mère qui part avec son fils en Syrie : elle ne se résume pas à une personnalité fanatique ou radicalisée et je crois qu’on en vient même à espérer qu’elle s’en sorte. Mon but était évidemment de provoquer une tension comme dans tout thriller mais aussi de montrer que le sujet est un peu plus complexe que ce à quoi on a trop souvent tendance à le résumer.
Avez-vous ressenti une responsabilité en abordant ce sujet ?
On court toujours le risque de se faire tragiquement rattraper par l’Histoire. Quand on a commencé à travailler sur Exfiltrés, l’attentat du Bataclan venait d’avoir lieu. La question d’arrêter le projet a donc été sur la table. Mais j’ai choisi de continuer parce que, de mon point de vue, Exfiltrés n’est pas un film sur la radicalisation. Cette jeune mère part en Syrie pour plein de mauvaises raisons – parce qu’elle ne trouve pas sa place en France et pense trouver en Daech une forme d’Etat social – mais elle va s’en rendre compte très vite. C’est en cela que ce n’est pas une fanatique. Mon récit, quoiqu’ancré dans la réalité, assume son côté fictionnel et sa part de dramaturgie.
On retrouve cette volonté dans vos parti-pris de réalisation, notamment ce choix du cinémascope…
C’était pour moi une évidence dès le départ. Ce n’est pas parce qu’on raconte une histoire dure qu’il faut que l’image soit glauque. C’est un peu redondant et simpliste sinon. Si Beale Street pouvait parler de Barry Jenkins vient encore de le montrer magistralement. Ici, par exemple et toutes proportions gardées évidemment, les images de désert évoquent Lawrence d’Arabie. Parce qu’il s’agit de la réalité de ces territoires par-delà les tragédies qu’ils accueillent.
En quoi votre passé de documentariste a nourri ce projet ?
Dans mon obsession de chaque instant qu’on croit à cette histoire. Cela explique pourquoi tous les rôles de Syriens sont ici réellement interprétés par des Syriens. C’est aussi la raison pour laquelle je n’ai pas voulu tourner au Maroc, lieu pourtant prisé par pas mal de fictions. Ce ne sont pas les mêmes paysages. On n’y parle pas le même arabe. Et, surtout, il n’y a pas de Syriens au Maroc. Or, dans un film comme Exfiltrés, le vécu de ces réfugiés syriens est essentiel au propos. Aucun comédien, aussi génial soit-il, ne pourra jamais le retranscrire. J’ai donc posé ma caméra en Jordanie, pays relativement « safe », qui accueille beaucoup de ces réfugiés syriens. Toute la journée, on échangeait avec des gens venus de Raqqa qui avaient vraiment eu affaire à la police d’Assad ou à celle de Daech. Tout cela infuse évidemment le tournage et sur ce que le spectateur va percevoir à l’écran.
Exfiltrés a bénéficié de l’avance sur recettes après réalisation du CNC.