Frédéric Dard et le cinéma

Frédéric Dard et le cinéma

06 juin 2021
Cinéma
Les salauds vont en enfer
Les salauds vont en enfer Gaumont
Le 6 juin 2000, disparaissait le créateur de San-Antonio. Retour sur cinq de ses rencontres, directes ou indirectes, avec le septième art.

Les Salauds vont en enfer de Robert Hossein (1956)

L’histoire entre Frédéric Dard et le cinéma a débuté un an plus tôt. Après des débuts confidentiels, la série des San-Antonio commence à être un vrai succès de librairie. Guy Lefranc est le premier à lui donner sa chance avec La Bande à papa, dont il co-écrit le scénario, sur une idée de Roger Pierre. Cette comédie réunit à l’écran Fernand Raynaud et Louis de Funès, mais Les Salauds vont en enfer est une étape bien plus décisive. Robert Hossein adapte pour le grand écran la pièce de Dard qu’il avait mise en scène quelques années plus tôt - la première d’une longue collaboration théâtrale entre les deux hommes qui se poursuivra jusqu’en 1986 avec Les Brumes de Manchester. Pour Hossein, c’est également un moment-clé  : Les Salauds vont en enfer marque en effet ses débuts de réalisateur au cinéma. Le film raconte comment l'exécution d'un prisonnier, victime d'une dénonciation, amène ses co-détenus à rechercher ceux qui l'ont trahi. Hossein y dirige Marina Vlady qu’il vient d’épouser, Henri Vidal et Serge Reggiani, et il joue le meneur des détenus. Ce film noir va rencontrer son public, ce qui incitera l’année suivante Frédéric Dard à raconter cette histoire en roman. Hossein et lui collaboreront quatre autres fois sur grand écran, avec Toi le venin en 1958, Les Scélérats et La Nuit des espions en 1959 et Le Caviar rouge en 1986.

Le Dos au mur d’Edouard Molinaro (1957)

Là encore, il s’agit d’une première fois. Edouard Molinaro, le futur réalisateur d’Oscar, Hibernatus et La Cage aux folles signe son premier long métrage en portant à l’écran Délivrez-nous du mal, un roman écrit en 1956 par Dard qui participe activement à son adaptation avec Jean-Louis Roncoroni, un proche de Jean Anouilh et Jean Redon, dont Georges Franju adaptera trois ans plus tard Les Yeux sans visage. Jeanne Moreau – qui vient d’accéder au statut de star avec Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle – et Gérard Oury tiennent les deux rôles principaux d’un film, dont Claude Sautet est l’assistant réalisateur avant de signer trois ans plus tard un autre polar marquant, Classe tous risques. Le Dos au mur raconte comment un industriel croit commettre un crime parfait en tuant son rival amoureux, un jeune acteur. Le film séduit la critique qui plébiscite autant la maîtrise technique de Molinaro que la richesse de l’intrigue et des personnages imaginés par Dard.

Une gueule comme la mienne, de Frédéric Dard (1960)

En 1958, Frédéric Dard publie aux éditions Fleuve Noir Une gueule comme la mienne, une histoire d’amitié située à la fin des années 50 entre un pamphlétaire pro-nazi de retour à Paris après 13 ans de fuite avec un visage refait par la chirurgie esthétique et un jeune journaliste, admirateur de ses œuvres, qui le reconnaît instantanément et lui propose d’habiter dans la maison qu’il partage avec sa femme. Quand on lui propose de l’adapter au cinéma, Dard accepte mais choisit de réécrire son intrigue, de garder l’idée d’une femme entre deux hommes, mais de situer l’action en pleine Seconde Guerre mondiale. Le producteur René Modiano engage l’Argentin Luis Saslavsky pour le réaliser. Celui-ci vient de diriger Yves Montand dans Premier mai. Mais à quelques semaines du tournage, le cinéaste se désiste. La production se tourne alors vers Frédéric Dard qui n’avait jamais prévu de passer un jour derrière la caméra. Assisté par Pierre Granier-Deferre, l’écrivain va donc se retrouver à diriger le premier mais unique long métrage de sa carrière. L’expérience fut, comme il le confiera en 1984 dans les colonnes de Télé Ciné Vidéo, très enrichissante : « Très enrichissante, non pas au plan technique, mais au niveau des contacts humains par opposition à mon métier d’écrivain. Un mec qui vit seul avec sa feuille blanche finit par devenir mentalement un petit tyranneau de village. Quand je suis à mon burlingue, je pisse sur la Terre entière. J’écris ce que je veux et si ça ne plaît pas, je vous emmerde. Le film m’a contraint à tenir compte des autres, à courber un peu la tête.  »

Le Crime ne paie pas de Gérard Oury (1962) - sketch L’Homme de l’avenue

Après avoir joué et « dit » du Dard, Gérard Oury le porte à l’écran. D’abord avec l’adaptation de son roman Les Mariolles (qui devient La Menace en 1961). Et un an plus tard, avec l’ultime épisode de ce film à sketchs jouant sur l’ironie hasardeuse qui fait parfois capoter les crimes parfaits les mieux conçus. A la différence des trois sketchs qui précèdent, Dard développe une histoire originale. Le concept ? En sortant du cinéma - où il vient de voir les trois sketchs précédents du Crime ne paie pas - un homme est renversé par une voiture que pilote un colonel qui découvre que sa victime s'apprêtait à commettre le crime qu’il cherchait à empêcher… Ce film surréaliste va constituer un déclic dans la carrière de Gérard Oury qui s’aventurait ici pour la première fois sur le terrain de la comédie. Il dirige là pour la première fois Louis De Funès qui, sur le plateau, lui glisse : « Tu es un auteur comique et tu ne parviendras à t'exprimer vraiment que lorsque tu auras admis cette vérité-là ». Trois ans plus tard, ils se retrouveront pour Le Corniaud.

La Vieille qui marchait dans la mer, de Laurent Heynemann (1991)

En 1988, Frédéric Dard publie au Fleuve Noir La Vieille qui marchait dans la mer, un roman qui séduit deux hommes  : Gérard Jourd’hui, le producteur de La Dernière séance, et Laurent Heynemann, le réalisateur des Mois d’avril sont meurtriers. Celui-ci s’associe avec Dominique Roulet, le scénariste de Poulet au vinaigre et d’Inspecteur Lavardin de Claude Chabrol, pour porter à l’écran l’histoire d’une vieille excentrique initiant un jeune plagiste aux pratiques de l'arnaque. Dans le rôle-titre, entourée de Michel Serrault et Luc Thuillier, Jeanne Moreau semble ravie de pouvoir dire ces dialogues aussi vulgaires que littéraires. Elle remporte grâce à ce film le seul César de sa carrière face à Emmanuelle Béart (La Belle noiseuse), Anouk Grinberg (Merci la vie), Juliette Binoche (Les Amants du Pont-Neuf) et Irène Jacob (La Double vie de Véronique). Quant à Frédéric Dard, il verra encore trois autres de ses œuvres adaptées à l’écran : Le Mari de Léon par Jean-Pierre Mocky, Coma par Denys Granier-Deferre et San Antonio par Frédéric Auburtin. Ce dernier film remonte à 2003. Personne n’a pris le relais depuis.