Public Housing (1997)
Frederick Wiseman vient tout juste de terminer sa plongée en immersion à la Comédie-Française (La Comédie-Française ou l’amour joué) quand il choisit de poser sa caméra pendant six semaines au cœur de la cité Ida B. Welles de Chicago, gérée par le gouvernement et destinée aux plus démunis. Public Housing raconte la vie dans cet ensemble de logements sociaux où la majorité des habitants sont noirs. Wiseman se confronte directement à la misère et aux dommages collatéraux qu’elle engendre : la violence, la drogue, la guerre des gangs… Mais il ne s’arrête pas à ce qui fait la Une des journaux dès lors que l’on parle de cités et s’intéresse à tout ce qui constitue le quotidien des habitants : une fête des voisins, une ronde de patrouille de police, le combat des différentes associations en charge du soutien à l’emploi, de l’éducation sexuelle, de l’aide à l’obtention de logements sociaux… Comme à son habitude, le cinéaste n’utilise ni commentaire en voix off ni interviews. D’ailleurs, il ne s’invite pas chez les gens, il y est toujours emmené par un tiers. Son film n’est pas dans le constat stérile, mais dans l’action de ceux qui veulent, à partir de ce constat, construire un univers plus vivable. Un geste fort de cinéma politique.
State Legislature (2007)
Frederick Wiseman a toujours expliqué ne pas vouloir filmer le siège d’un parti politique ni suivre une campagne électorale comme Raymond Depardon a pu le faire en France avec 1974, une partie de campagne. Pour une raison toute simple : le mur de la communication érigé autour d’eux par les politiques qu’il se sentait incapable de percer. Durant les années 2000, il a cependant eu envie de raconter le politique en s’intéressant à l’élaboration des lois par le Parlement d’Idaho, État dirigé par les Républicains. Douze semaines de sessions et 160 heures de rushes qui ont donné naissance à un film de plus de trois heures. Réunions, débats, discussions de couloirs, pressions des lobbies sur les différents élus… Wiseman met ici à nu le processus démocratique américain, de manière pédagogique, sans complaisance ni esprit de dénigrement. Dans les différents échanges, on voit naître les prémisses de ce qui deviendra le Tea Party, alors considéré comme poids politique négligeable et qui transformera peu à peu de l’intérieur le Parti Républicain.
In Jackson Heights (2015)
Frederick Wiseman aime, à intervalles réguliers, se plonger dans les villes et leurs quartiers. Après Aspen en 1991 et Belfast, Maine en 1999, le voici qui raconte, en 3 h 10 (fruit de neuf semaines de tournages et neuf mois de montage), Jackson Heights, ce quartier du Queens qui accueillit une partie du tournage d’Usual Suspects et symbolise plus que tout autre le cosmopolitisme de New York puisque les quelques 130 000 personnes qui y vivent parlent pas moins de 167 langues. En filmant les différentes communautés qui composent Jackson Heights, Wiseman signe un nouvel acte politique. Il s’empare des questions d’immigration et de multiculturalisme communes à toutes les grandes villes occidentales. Mais à travers la lutte des petits commerçants du quartier, il raconte aussi un autre point commun à toutes ces métropoles : la gentrification qui repousse ses habitants les plus pauvres de plus en plus loin du centre. D’une simple envie de filmer ce lieu – née après deux après-midi passés à arpenter ses rues –, il signe un grand film sur l’intégration, loin des débats souvent vains qui s’agitent autour.
Monrovia, Indiana (2018)
Deux ans après l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis, Frederick Wiseman pose sa caméra au cœur d’une de ces régions qui ont fait basculer la présidentielle. En l’occurrence une petite ville de 1 400 habitants, dont les trois quarts ont voté pour le candidat républicain face à Hillary Clinton. On peut voir Monrovia, Indiana comme le pendant d’In Jackson Heights, l’autre face d’une même pièce. Celle d’une Amérique à mille lieues de tout multiculturalisme puisque Monrovia est composée à plus de 96 % de Blancs. Ce désir de filmer une petite ville du Midwest a pu voir le jour grâce à une amie, professeure de droit, qui a présenté à Frédérick Wiseman une collègue, dont la cousine étant la responsable des pompes funèbres de la ville. Le réalisateur s’est installé sur place durant neuf semaines afin de filmer le quotidien d’une population pour qui le monde se résume aux rues de Monrovia qu’elle ne quitte quasiment jamais, même pour se rendre à Indianapolis, pourtant située à seulement 30 minutes en voiture. En donnant à voir une Amérique moins exposée aux yeux du monde et souvent caricaturée, Wiseman raconte la montée en puissance – qui a surpris tant d’observateurs – du vote pour Trump, dont le discours a épousé le mode de vie et les aspirations de cette partie de la population américaine. Une fois encore, Wiseman ne se pose ni en juge ni en procureur. Juste en observateur.
City Hall (2020)
Retour à la case départ pour Frederick Wiseman, dans sa ville natale, Boston, dirigée depuis 2014 par le démocrate Marty Walsh. City Hall complète Monrovia, Indiana. Après un voyage en terre « trumpiste », il explore un possible modèle anti-Trump en donnant à voir, en 4 h 32, les succès d’une politique municipale aux antipodes de celle prônée par le président républicain, refusant le repli sur soi, les coupes dans le budget public et la loi du plus fort. C’est Joyce Linehan, le bras droit du maire, grande admiratrice des films de Frederick Wiseman, qui lui a ouvert toutes les portes ou presque. Seules les réunions purement politiques autour de la stratégie de la réélection de Walsh lui ont été interdites. Mais celles-ci étaient de toute façon hors sujet pour le cinéaste qui entend se concentrer sur les actions au quotidien dans les différents services publics de la ville (police, hôpitaux, aide aux précaires…). « J’ai réalisé City Hall afin de montrer en quoi un gouvernement est nécessaire à la réussite d’un mieux vivre ensemble. Celui de la ville de Boston est le contraire de ce que représente Trump. Il s’efforce d’offrir une grande variété de services d’une manière conforme à la Constitution et aux normes démocratiques » déclare le cinéaste dans sa note d’intention. Et, alors qu’ils ne s’étaient parlé qu’une trentaine de minutes avant le début du tournage, Wiseman place Marty Walsh au centre de son documentaire, comme jamais dans son cinéma il avait mis en avant un individu. Un anti-Trump qui n’a pas été épargné par les aléas de la vie et qui a choisi de mettre la résilience au cœur de son existence et de son action politique. Que City Hall sorte juste avant les élections présidentielles américaines ne doit donc rien au hasard…
CITY HALL en salles le 21 octobre. Ce film a bénéficié de l’Aide sélective à la distribution (aide au film par film 2020).