« Grand Marin » : comment a été composée la lumière du film ?

« Grand Marin » : comment a été composée la lumière du film ?

12 janvier 2023
Cinéma
Dinara Drukarova dans « Grand Marin ».
Dinara Drukarova dans « Grand Marin ». Slot machine/Rezo Films

Réalisatrice et interprète de Grand Marin, l’histoire d’une jeune femme qui plaque tout pour aller pêcher sur les mers du Nord, Dinara Drukarova a fait appel à Timo Salminen, le chef opérateur attitré d’Aki Kaurismäki pour signer la lumière de son film. La cinéaste revient sur leur collaboration.


À quand remonte votre rencontre avec Timo Salminen ?

À mon premier court métrage, en 2018. Je suis tombée dans le cinéma, enfant, par pur hasard en me retrouvant à jouer dans Bouge pas, meurs, ressuscite de Vitali Kanevski en 1989. Puis, de film en film, le cinéma est devenu ma vie, mon meilleur moyen d’expression. Alors, peu à peu, j’ai eu envie de raconter des histoires avec ma propre vision. La perte d’un être cher a été le déclic. J’ai décidé de faire de cette douleur un film, Ma branche toute fine, l’histoire d’une jeune femme qui prodigue les derniers soins au corps sans vie de sa mère. Pour ce court métrage, je voulais un poète de l’image. Et qui mieux que Timo Salminen, le directeur de la photo des si beaux films d’Aki Kaurismäki, correspond à cette définition ?

Comment êtes-vous entrée en contact avec lui ?

Par la plus simple des manières : j’ai réussi à trouver son mail et je lui ai écrit pour lui demander si je pouvais venir lui raconter mon projet. Il m’a tout de suite répondu et proposé de nous voir à Paris où il devait se rendre, les jours suivants. Je n’oublierai jamais cette rencontre place de la République. Je lui serre la main, on se regarde dans les yeux et je sais que c’est lui. Je lui parle de mon court, il accepte de lire mon scénario. Et deux jours plus tard, je reçois un SMS. Mes mains tremblent d’émotion à l’idée de le découvrir. Timo, c’est un taiseux. Il s’exprime à travers ses images. Et je lis ces quelques mots : « C’est très poétique. Faisons-le ! En noir et blanc. » Là, je comprends qu’il a tout compris de ce film qui parlait de la mort et du deuil. Que le noir et le blanc allait le sublimer. Cette première collaboration s’est déroulée comme dans un rêve.

Timo Salminen est un poète de l’image […] Il a eu l’idée décisive de tourner Grand Marin en scope. Ce format est idéal pour montrer le contraste entre l’immensité de la nature et la solitude de cette jeune femme que j’incarne.

C’est là que vous commencez à lui parler de Grand Marin ?

Oui, peu après le tournage, je lui envoie le scénario tiré du livre autobiographique de Catherine Poulain [Le Grand Marin], qui a elle-même largué les amarres pour découvrir cet univers des pêcheurs en mer du Nord. Je lui explique à quel point ce récit m’a touchée, moi qui ai aussi, un jour, dans les années 90, décidé de quitter ma Russie natale pour venir vivre en France. Et comme pour Ma branche toute fine, je reçois le lendemain un très court SMS : « Ça peut faire un bon film. Let’s go ! »

 

Quelles sont vos premières idées sur ce qu’allait devenir la lumière de ce film ?

Dès le départ, je sais que je ne veux pas d’images trop en mouvement, de plans trop découpés. Moi, j’aime la peinture. Je veux des cadres définis et que des choses se passent à l’intérieur de ces cadres. Qu’ils soient comme des tableaux. Je suis en quête de minimalisme. Mais le but était aussi de coller en permanence à la vérité. Pour préparer Grand Marin, moi qui ne connaissais rien au monde de la mer et des pêcheurs, je suis régulièrement partie en mer sur des chalutiers. Et j’ai très vite compris qu’avec la mer, tu ne peux pas tricher. Elle révèle qui tu es profondément. Mettre en scène la pêche ne pouvait donc pas fonctionner, sous peine de trahir cette vérité que je recherchais pour raconter cette énergie, cette urgence, cette sorte de ballet en pleine mer où chaque geste est extrêmement précis.

Dès le départ, je sais que je ne veux pas d’images trop en mouvement, de plans trop découpés. Moi, j’aime la peinture. Je veux des cadres définis et que des choses se passent à l’intérieur de ces cadres. Qu’ils soient comme des tableaux. Je suis en quête de minimalisme.

Timo Salminen avait-il, lui, une expérience de la mer ?

Plus que moi car il a un bateau et aime la mer. On a tourné en Islande en plein Covid-19. Il est arrivé sur place quelques semaines avant le premier clap. Moi, j’étais là depuis cinq mois. J’avais donc avancé sur le choix des bateaux, j’avais déjà filmé la pêche et je lui ai montré les petits films que j’avais pu faire avec mon smartphone pour lui expliquer concrètement vers quoi je voulais tendre. Puis on est sortis en mer pour qu’il prenne ses marques, pour qu’il puisse concrètement voir ce qui était faisable ou non, sachant, par exemple, que sur un chalutier, tu es obligé de fonctionner en équipe réduite. Que les cabines de couchage sont trop petites, donc qu’il faut les reconstruire en décor. Mais pour le reste, rien n’est impossible pour Timo ni pour moi ! (Rires.) Avec lui, on n’a pas besoin de beaucoup échanger pour se comprendre. La meilleure preuve : c’est lui qui a eu l’idée décisive de tourner Grand Marin en scope. Ce format est idéal pour montrer le contraste entre l’immensité de la nature et la solitude de cette jeune femme que j’incarne. Et puis, un peu plus en amont, alors que j’hésitais à jouer en plus de réaliser, c’est lui – comme mes productrices –, qui a su trouver les mots pour me convaincre, en m’assurant qu’il ne voyait personne d’autre pour incarner ce personnage et qu’il serait toujours à mes côtés pour que j’y arrive. Et il a tenu parole !

Dinara Drukarova dans « Grand Marin »
Dinara Drukarova dans « Grand Marin » Slot machine/Rezo Films

Tourner en pleine mer implique aussi de jouer avec les caprices de la météo…

On en était même totalement tributaires. Avec notre budget, notre tournage n’a duré que 23 jours dont seulement 6 en mer. Et parfois, en effet, on sortait sans pouvoir tourner car la mer était trop démontée ou, à l’inverse, trop calme. Je ne vais pas vous mentir, je n’ai pas pu avoir toutes les images de mer que je voulais. Il me manquait des moments de poésie. Des scènes avec le bateau, la nuit. La mer qui respire. Et ça m’a sauté à la figure au début du montage.

Comment vous en êtes-vous sortie ?

Je le dois à ma monteuse Valérie Loiseleux [césarisée en 2014 pour Un couple épatant de Lucas Belvaux]. Elle avait un regard neuf sur le projet. Je lui avais parlé des images que j’avais filmées pour préparer le film, en amont. Et Valérie a suggéré que je les utilise. Sur le moment, j’étais plus que réticente. Je pensais que ces moments souvent captés avec mon téléphone allaient jurer avec les sublimes images de Timo. Mais elle a insisté car pour elle, mes images correspondaient au style du film, à cette vérité que j’ambitionnais de raconter. Alors on a essayé et, d’un coup, Grand Marin a trouvé son âme, des scènes de nuit, des scènes de mer hypnotiques venant peupler le récit. Et je trouve que le mélange fonctionne.

GRAND MARIN

Réalisation : Dinara Drukarova
Scénario : Dinara Drukarova, Raphaëlle Desplechin, Léa Fehner, Gilles Taurand d’après le livre de Catherine Poulain
Photographie : Timo Salminen
Montage : Valérie Loiseleux
Musique : Jean-Benoît Dunckel
Production : Slot Machine, Rouge International, Scope Pictures, Rezo Productions, CTB Film Company, Mystery Production, Gulldrengurinn, Gullstodidd, Kinoprome Foundation, Arte France Cinema
Distribution : Rezo Films
Ventes internationales : Slot Machine
Sortie le 11 janvier 2022

Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la distribution (aide au programme)