Henri Jeanson, le scénariste qui rendit Arletty immortelle

Henri Jeanson, le scénariste qui rendit Arletty immortelle

06 novembre 2020
Cinéma
Pépé le moko de Julien Duvivier
Pépé le moko de Julien Duvivier Paris Film Distribution - Tamasa Distribution - Discina
Il y a cinquante ans, le 6 novembre 1970, disparaissait l’une des grandes plumes du cinéma français. Pépé le Moko, Hôtel du Nord, Fanfan la Tulipe, La Vache et le Prisonnier… Retour sur le travail d’Henri Jeanson avec cinq metteurs en scène.

Julien Duvivier

« Il a débuté à l’Odéon sous la direction d’André Antoine. Il en a gardé quelque chose. L’amour du travail bien fait, un penchant certain pour les dénouements pessimistes et la vérité à l’état brut. » Ainsi parlait Henri Jeanson de Julien Duvivier, le cinéaste avec lequel il a collaboré à huit reprises. Leur rencontre artistique remonte à 1937. Cela fait déjà quatre ans qu’Henri Jeanson, d’abord journaliste à la plume redoutable et redoutée dans tous les domaines (culture, politique, société…), a entamé sa carrière de scénariste avec La Dame de chez Maxim’s d’Alexander Korda. Il a déjà travaillé avec Edmond T. Gréville (Marchand d’amour) et Robert Siodmak (Mister Flow) quand il s’associe au réalisateur de La Belle Équipe pour écrire Pépé le Moko. Suivront Un carnet de bal (1937), Au royaume des cieux (1949), l’écriture du commentaire de Sous le ciel de Paris (1951), La Fête à Henriette (1952), Pot-Bouille (1957), Marie-Octobre (1959), et enfin Père et mère tu honoreras, Tu ne mentiras point et Tu ne jureras point, trois segments du Diable et les Dix Commandements (1962). Des drames, des comédies, des adaptations de grands auteurs, des films à sketches… Huit collaborations sans jamais bégayer.

Leur film emblématique est le fruit de leur toute première collaboration : Pépé le Moko, adapté du roman éponyme d’Henri La Barthe (le coscénariste de Quai des brumes). L’histoire d’un célèbre malfaiteur qui, planqué dans la casbah d’Alger et traqué par la police, tombe amoureux d’une demi-mondaine, entretenue par un homme riche. Cette plongée dans la pègre d’Alger est un exemple du réalisme poétique français, dans un parfait mélange de mélo tragique et de romantisme désespéré. Mais cette première rencontre entre Henri Jeanson (qui a coécrit cette adaptation avec La Barthe) et Julien Duvivier n’a tenu qu’à un fil. C’est en effet à Jean Renoir que les frères Hakim, producteurs de Pépé le Moko, proposèrent d’abord le film. Mais celui-ci déclina pour signer la même année La Grande Illusion et laissa le champ libre à Duvivier. Bonne pioche. Le film sera un énorme succès en France comme aux États-Unis et lancera la carrière internationale de Jean Gabin. Il inspirera d’ailleurs grandement le Casablanca de Michael Curtiz, et connaîtra deux remakes officiels (Casbah de John Cromwell en 1938 et Casbah de John Berry en 1948) ainsi qu’une version parodique, Totò le Moko de Carlo Ludovico Bragaglia en 1949.

Marcel Carné

C’est en 1938 avec Hôtel du Nord que Marcel Carné et Henri Jeanson travaillent pour la première fois ensemble. Sans se douter alors qu’ils ne se retrouveront que vingt-deux ans plus tard pour Terrain vague ! Entre-temps, Jeanson écrira le scénario d’École communale que devait tourner Carné, mais auquel il renoncera suite à l’entrée en guerre de la France, en 1939. En 1946, Jeanson fut l’un des journalistes qui eurent la plume la plus acide envers Les Portes de la nuit, réalisé par Carné à la fin de la guerre, qu’il rebaptisa Les Portes de l’ennui, tout en affublant le cinéaste d’une phrase assassine : « Je dépense donc je suis. » Le temps a fini par effacer l’outrage.
Leur film emblématique est Hôtel du Nord, où Henri Jeanson s’associe à Jean Aurenche pour adapter l’œuvre d’Eugène Dabit, publiée en 1929. C’est bel et bien à Henri Jeanson, et à lui-seul, que l’on doit les dialogues de ce film passé à la postérité, dont le « Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » d’Arletty. Hôtel du Nord raconte le quotidien des clients d’un hôtel parisien modeste, situé au bord du canal Saint-Martin. Et si elle en est aujourd’hui la figure symbolique, Arletty n’était pourtant pas au cœur du projet. Le producteur Joseph Lucachevitch voulait un film pour la star Annabella (La Bandera) qui partage à cette période sa carrière entre la France et les États-Unis. Il fait part de son idée à Marcel Carné qui accepte d’emblée et déniche le roman de Dabit. Annabella, qui connaît le livre, donne son accord enthousiaste. Logiquement, Carné se tourne alors vers son complice d’écriture de Drôle de drame et de Quai des brumes, Jacques Prévert, mais celui-ci est en voyage outre-Atlantique. Il contacte alors Jean Aurenche et Henri Jeanson. Ce dernier va avoir un impact décisif sur cette adaptation en faisant du couple formé par un ancien voyou et une prostituée les personnages centraux du récit. Pour le plus grand bonheur de ses interprètes, Louis Jouvet et Arletty, qu’Hôtel du Nord va propulser au rang de star. Jeanson a changé son destin.

Marc Allégret

Marc Allégret et Henri Jeanson ont travaillé ensemble sur un seul film : Entrée des artistes, en 1938, où Marc Allégret suit le quotidien de jeunes acteurs en herbe au Conservatoire de Paris. À l’écriture, Henri Jeanson travaille pour la première fois avec André Cayatte qu’il retrouvera par la suite pour coécrire Farandole d’André Zwobada (1945), puis en tant qu’auteur du Glaive et la Balance, que réalise Cayatte en 1962. Une fois encore, les dialogues sont entièrement écrits par Henri Jeanson. Du sur-mesure pour l’interprète du prof du Conservatoire incarné par Louis Jouvet qui, à l’écran, semble se délecter de chaque mot. La petite histoire retiendra aussi le fait que deux ans plus tard, sans être crédité au générique, Henri Jeanson participera à l’adaptation du roman Pipe chien, de Francis Jammes, mis en scène par Marc Allégret (Parade en sept nuits, 1941).

Christian-Jaque

C’est avec lui qu’Henri Jeanson a le plus collaboré. Tout commence en 1944 avec une participation non créditée à une adaptation de Carmen. À partir de là, tout s’enchaîne : Boule de suif en 1945, Un revenant en 1946, Une cravate de fourrure et La Couronne mortuaire, deux segments de Souvenirs perdus en 1950, Barbe-Bleue en 1951, Fanfan la Tulipe en 1952, le segment Lysistrata de Destinées et Madame du Barry en 1954, Nana en 1955, Nathalie en 1957, Madame Sans-Gêne en 1961, Les Bonnes causes en 1963, La Tulipe noire et Le Repas des fauves en 1964 et Le Saint prend l’affût en 1966. Soit seize collaborations avec une prédilection pour les films en costumes.
 

Christian-Jaque fut le premier à porter à l’écran au temps du parlant les aventures de Fanfan la Tulipe, ce personnage de fiction inventé par le chansonnier Émile Debraux en 1819. Ce soldat intrépide et effronté de l’armée du Roi qui va tenter de conquérir le cœur de la fille du sergent recruteur. Un film référence du cinéma de cape et d’épée, rythmé par les scènes virevoltantes d’un Fanfan ne reculant devant aucune cascade, mais aussi par les dialogues imaginés par Jeanson qui retrouvait Gérard Philipe, deux ans après Souvenirs perdus et avant de collaborer de nouveau avec lui sur Montparnasse 19. Ours d’argent à Berlin et Prix de la mise en scène à Cannes, Fanfan la Tulipe a valu à Christian-Jaque le plus gros succès de sa carrière en France avant de triompher aux États-Unis et d’être le premier film français de l’histoire à être doublé en chinois.

Henri Verneuil

Entre les deux hommes, la collaboration débute en 1958 avec Maxime, l’adaptation d’un roman d’Henri Duvernois, où Charles Boyer joue les entremetteurs entre Felix Marten et Michèle Morgan. Elle se clôturera en 1960 avec L’Affaire d’une nuit où Roger Hanin et Pierre Mondy se disputent les faveurs de Pascale Petit. Entre les deux, il y eut La Vache et le Prisonnier qui fut le plus gros succès de la carrière d’Henri Jeanson avec 8,8 millions d’entrées.
 

Le film naît d’Une histoire vraie, un récit écrit en 1945 par Jacques Antoine, le futur célèbre créateur de jeux pour le petit écran (Fort Boyard). L’histoire d’un prisonnier de guerre français qui décide de s’évader en traversant l’Allemagne avec l’aide d’une vache. Si Claude Autant-Lara fut un temps en lice pour le porter à l’écran avec Bourvil dans le rôle principal, c’est finalement Henri Verneuil qui se retrouva aux commandes avec Fernandel en vedette. Il se chargea avec Jean Manse et Henri Jeanson de développer les anecdotes et autres gags qui allaient transformer ce long voyage en sommet populaire de la comédie française. La Vache et le Prisonnier a traversé les décennies puisqu’il fut en 1990 le premier film français colorisé diffusé à la télévision. Avec le même succès.