Qu’est-ce qui vous a incité à vous essayer pour la première fois au mélodrame ?
Je me suis fait connaître avec Le Nom des gens que j’ai coécrit avec Michel Leclerc sur le terrain de la comédie sociale. Nous avons ensuite écrit ensemble chacun des films que nous avons réalisés. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte que je n’avais pas uniquement envie de comédie sociale. En effet, ma pente naturelle n’est pas systématiquement comique. Pendant longtemps, à chaque fois que j’ai essayé de « pitcher » un drame, le projet a été retoqué car je n’étais pas dans la « bonne case ». Pourtant, pour qu’une comédie touche, elle doit raconter un sujet important et souvent dramatique. Et puis il se trouve que mes producteurs devaient développer Youssef Salem a du succès, que j’avais commencé à écrire en 2016, juste après mon premier long métrage, Je suis à vous tout de suite. Finalement, cela ne s’est pas fait ainsi. J’étais tellement triste d’être en pause forcée, de ne pas pouvoir tourner, que parallèlement, j’ai développé Mikado. Face à cette situation, mes producteurs ont accepté que je délaisse la comédie pure au profit d’un film sur l’enfance.
Pourquoi vouloir traiter de l’enfance ?
C’est au fond, je crois, ce que je raconte dans tous mes films : comment se remettre de son enfance, de quelle manière se définir soi-même en se libérant de certaines choses que nous avons vécues… Mais aussi le poids de la famille qui vous construit, qui vous fait du bien et en même temps qui constitue une sorte de prison dont il faut s’échapper.

C’est la première fois que vous ne collaborez pas avec Michel Leclerc pour l’écriture. Pourquoi ce choix ?
Je savais que si j’écrivais le film avec Michel, nous allions avoir des réflexes communs. Or, j’avais besoin d’une nouvelle expérience. Je ne savais pas où j’allais, ni ce que je cherchais. Petit à petit, je me suis rendu compte que je travaillais des choses qui m’étaient intimes, comme la manière d’arriver à exister malgré les a priori de la société et le fait de ne pas avoir été regardé par ses parents.
Pour quelles raisons vous êtes-vous tournée vers Magaly Richard-Serrano ?
Je la connaissais depuis longtemps, nous avions déjà travaillé ensemble pour la télévision et j’avais vu ses films. Dans son premier long métrage, Dans les cordes, elle parlait déjà de violence dans la famille avec ce père joué par Richard Anconina qui entraînait ses deux filles à la boxe. Elle me paraissait la personne idéale pour développer ce projet autour d’une famille abîmée malgré ou à cause de son désir de liberté. Nous sommes alors parties sur une piste qui n’est pas du tout celle du film à l’arrivée : l’histoire de Mikado et de ses frères et sœurs qui avaient été éparpillés dans différentes familles d’accueil, et de leur mère, qu’ils voient de temps en temps. Nous avions comme source d’inspiration les films de Ken Loach à l’image de Ladybird, mais mes producteurs craignaient un côté trop déjà vu. Nous avons fait une pause pour imaginer ce scénario différemment. C’est là que nous avons décidé de nous concentrer sur la famille que Mikado avait reconstruite. Il vit la peur au ventre que ses enfants soient récupérés par l’ASE [Aide sociale à l’enfance, ndlr] et qu’il soit jugé mauvais père. Comme une sorte de malédiction puisque toute sa famille avait été « décimée » ainsi quand sa mère avait perdu la garde de ses enfants.
Comment travailliez-vous toutes les deux ?
Nous nous voyions beaucoup, nous discutions, nous nous envoyions des traitements. Il m’est arrivé aussi d’écrire seule de mon côté pendant une semaine et de lui envoyer le résultat. Et elle faisait de même. C’est ainsi que nous sommes arrivées à cette idée de la famille de Mikado débarquant dans la maison de Vincent, ce professeur qui vit seul avec sa fille. Le début d’une parenthèse enchantée qui va bouleverser l’équilibre de la tribu de Mikado quand sa fille aînée se prend à rêver d’une vie normale. Nous étions alors en 2018 et Magaly a dû partir parce qu’elle devait réaliser La Consolation.
Comment avez-vous choisi Olivier Adam pour vous accompagner ensuite dans l’écriture ?
Je suis férue de son écriture. Ses livres et la sensibilité qui les traverse me paraissaient spontanément compatibles avec cette histoire. Olivier a tout de suite accepté. Nous nous sommes mis au travail sur la base développée avec Magaly.
Quel a été le plus grand défi d’écriture à partir de là ?
Nous étions toujours angoissés de savoir si nous allions parvenir à faire comprendre ce qui se jouait dans cette famille. Mais, pour moi le cinéma, c’est un peu une croyance : il faut croire en son histoire pour pousser les gens à la croire ensuite. Tout n’a pas besoin d’être vrai.
Avez-vous travaillé différemment avec Olivier Adam ?
C’était notre première collaboration donc il y avait une certaine excitation à apprendre à se connaître. Très vite, j’ai découvert quelqu’un d’extrêmement brillant, de rapide dans la pensée. Olivier n’a pas un instant essayé d’imposer son univers. C’est quelqu’un qui, au contraire, se fond dans celui du réalisateur. Il est passionné de cinéma, il avait vu mes films et son idée était de se mettre au service de ce que j’avais envie de faire. C’était très émouvant. Il m’a donné beaucoup de confiance parce qu’il lit très vite et a une vision aiguisée de ce qui fonctionne ou non. Il m’a toujours assuré que nous étions dans le juste, qu’il ne fallait pas dévier de notre voie, toujours de manière très positive, ce qui est essentiel dans les moments de doute que nous traversons toujours, où les producteurs peuvent être moins convaincus.

En combien de temps avez-vous terminé le scénario ?
Nous avons écrit beaucoup de versions avant et après le confinement. Cette pause a généré des questionnements, notamment à cause de nombreux retours qui jugeaient Mikado antipathique. Les financements ont d’ailleurs été très compliqués à obtenir avec un personnage considéré comme tel. Je l’avais déjà vécu sur Hippocrate de Thomas Lilti avec le personnage d’un interne qui faisait des bêtises et essayait de les cacher. C’est en effet toujours difficile pour une personne extérieure de se projeter à ce moment-là dans l’incarnation du personnage que nous avons parfaitement en tête. En l’occurrence pour Mikado, l’idée de confier le rôle-titre à Félix Moati qui inspire spontanément de la sympathie. J’ai donc tourné Youssef Salem a du succès puis nous avons écrit toute l’histoire de Mikado et de son enfance que nous ne retrouvons finalement pas dans le film mais qui y a été présente longtemps via des flash-backs. Cette partie a aidé au financement du film, même si de mon côté je n’en voulais pas. Mais sans elle, il était difficile d’adhérer au personnage de Mikado, à sa violence, à sa tyrannie.
Quand savez-vous que la phase d’écriture est terminée ?
Une fois que les producteurs sont convaincus et que nous pouvons partir en financement. Mais je l’avoue, j’ai pu être perdue à certains moments. J’ai eu l’impression que je n’y arriverais jamais. J’ai d’ailleurs continué à modifier et couper des parties même au montage. Ce fut un work in progress permanent. Je craignais que le scénario ne devienne trop explicatif et je me suis attachée à ce que ce ne soit pas le cas.
MIKADO

Réalisation : Baya Kasmi
Scénario : Baya Kasmi, Magaly Richard-Serrano, Olivier Adam
Production : Karé Productions, Films Grand Huit
Distribution : Memento
Ventes internationales : Pulsar content
Sortie le 9 avril 2025
Soutiens sélectifs du CNC : Aide au développement d'œuvres cinématographiques de longue durée, Avance sur recettes avant réalisation