Il allait bientôt fêter ses vingt ans à la tête de La Comète-Scène nationale de Châlons-en-Champagne. Philippe Bachman nous a quittés d’une longue maladie, le 3 février 2024. Explorateur insatiable de la création sous toutes ses formes (musique, spectacle vivant, cinéma…), défricheur de talents, programmateur hors pair… Philippe Bachman vibrait pour la culture qu’il a fait sienne jusqu’au bout.
Compositeur chevronné
Né à Paris au mitan des années 1960, Philippe Bachman est d’abord happé par le virus de la musique. Ce passionné de jazz étudie la musicologie à la Sorbonne avant d’intégrer le Conservatoire national supérieur de musique et de danse. Une formation qu’il complète en Sciences politiques et sociales sur les bancs de Sciences Po, rue Saint-Guillaume.
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C’est en tant que musicien et compositeur que Philippe Bachman débute sa carrière. Il compose pour de nombreuses productions, en France et à l’étranger, notamment celles du metteur en scène canadien Robert Lepage ou de la compagnie de cirque australienne Circa. D’Amsterdam à Sao Paulo, en passant par Vienne, Tunis ou Los Angeles, Philippe Bachman parcourt le monde. Il participe, entre autres, à la résidence Hors les murs de la Villa Médicis et au programme américain d’échange éducatif et culturel Fulbright. À partir de la fin des années 1990, il dirige successivement l’orchestre des Jeunes de la Méditerranée à Marseille et le Chœur Accentus à Paris. En parallèle, il travaille pour la Cité de la Musique, l’Unesco, l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique et musicale) et le ministère de la Culture pour lequel il présidera plus tard la Commission nationale de commandes d’État.
Faire dialoguer les arts
C’est en 2004 que Philippe Bachman prend la tête de La Comète-Scène nationale à Châlons-en-Champagne, l’une des 77 Scènes nationales françaises, reconnues par le ministère de la Culture comme lieux de production et de diffusion de la création contemporaine. Dès son arrivée dans la capitale de Champagne-Ardenne, Philippe Bachman fourmille de projets pour développer et faire rayonner La Comète. Il y propose une programmation ambitieuse et pluridisciplinaire aux confins des arts : cinéma, danse, musique, ciné-concert, cirque, tables rondes… « Le spectacle vivant est un corps organique, qui ne connaît pas de frontières entre les disciplines », défend-il, dans un entretien donné au magazine culturel La Terrasse, en 2015. Ce passionné de cinéma, pour qui la force du septième art réside dans le pouvoir de « convoquer tous les registres pour exprimer sa vision, qu’elle soit lyrique, réaliste, humoristique », dote La Comète d’une salle art et essai labellisée « recherche et découverte », « jeune public », et « patrimoine et répertoire ». Avec ses équipes, Philippe Bachman travaille d’arrache-pied pour proposer à l’année une offre artistique éclectique et ouverte sur le monde.
Sur tous les territoires
En 2008, il impulse la création du réseau 360°, qui réunit 18 lieux de spectacles dans 11 pays, parmi lesquels La Tohu (Montréal), le Teatro Circo Price (Madrid), la Roundhouse (Londres) et l’Ostre Gasvaerk Teater (Copenhague). Sa mission : produire et diffuser des créations à l’échelle européenne et internationale. En 2010, sous sa houlette toujours, le réseau est certifié « Pôle européen de production et de création » par le ministère de la Culture. Ce consortium est porté par la ville de Châlons-en-Champagne, à laquelle Philippe Bachman était intimement attaché. En 2013, c’est une nouvelle fois au sein du territoire châlonais qu’il décide de lancer War on Screen (WoS), un festival international de cinéma unique en son genre, dédié à la représentation de la guerre par l’image. « Rendre hommage à la clairvoyance d’artistes qui ont le courage d’aborder des sujets épineux est important tout comme faire découvrir et vivre un territoire autrement, explique-t-il, en 2023, alors que la manifestation fête sa première décennie. Il y a dix ans, il n’existait pas de manifestation cinématographique d’importance en Champagne-Ardenne. Il fallait combler ce vide dans le paysage national, inscrire ce territoire dans la géographie française des événements », poursuit-il. Philippe Bachman fait de la culture un moteur de rayonnement local et œuvre en parallèle pour qu’elle soit accessible à tous. C’est grâce à sa détermination et à son engagement au sein de War on Screen que deux spécialités cinéma voient le jour dans les lycées alentour. « Nous sommes garants de la vivacité des territoires, des liaisons sociales, générationnelles et artistiques. », se plaisait-il à rappeler.
Au fil des ans, Philippe Bachman poursuit son idéal de pluridisciplinarité artistique avec le même crédo, encore et toujours : démocratiser la culture, décloisonner la création, éduquer à l’image, faire circuler les arts… Il perpétue naturellement cet engagement au sein de la Cinémathèque du documentaire, dont il prend la tête en 2020, multipliant les partenariats avec France Télévisions, Arte, la Bibliothèque nationale de France, la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou, la plateforme Tënk, l'association Images en bibliothèques et un réseau de près de 80 structures de diffusion partout en France. En 2023, il souffle l’idée d’une grande opération destinée à mettre en lumière la richesse et la créativité du cinéma documentaire, à valoriser son patrimoine et à accroître sa visibilité auprès du grand public. Elle prend le nom d’Année du documentaire 2023, une initiative portée par le CNC et soutenue par la Scam au nom des autrices et des auteurs. Philippe Bachman s’investit particulièrement dans le travail de coproduction du ciné-concert La Fête sauvage (1976), le documentaire animalier de Frédéric Rossif, restauré pour l’occasion avec le soutien du CNC, mis en musique par Lucie Antunes avec Les percussions de Strasbourg.
Figure incontournable du secteur culturel à Châlons-en-Champagne comme au niveau national et international, Philippe Bachman laisse derrière lui un héritage immense en faveur de la création. Jusqu’au bout, il l’aura défendu avec ferveur, exigence et pugnacité.